Star Wars : une hexalogie cathartique

/ Dossier - écrit par riffhifi, le 07/11/2007

Tags : star wars dark histoire film cinema films

Une analyse très libre du rapport entre la vie de George Lucas et celle de son personnage Anakin Skywalker.

La chose est connue : il existe un lien indéfectible entre l'artiste et son œuvre, entre le créateur et la créature, entre l'auteur et son héros, bien au-delà parfois de la simple explication rationnelle. Dans le Frodo du Retour du roi, minuscule et originaire de la Comté mais acclamé par les seigneurs qui vont jusqu'à s'agenouiller devant lui, difficile de ne pas voir le Peter Jackson rondouillard et néo-zélandais porté aux nues à la Cérémonie des Oscars ; dans les Aventures du Baron de Münchausen où le héros terrasse le maître d'œuvre de la guerre rationnelle à coups de fantasmagories et d'imagination, impossible de ne pas voir le Terry Gilliam fantasque qui détroussa les producteurs pour imposer sa vision baroque sur l'écran.
George Lucas, à l'époque de la première trilogie, pouvait sans doute être assimilé à Luke Skywalker l'illuminé, héraut d'une nouvelle ère tout en portant les couleurs d'une ancienne religion (l'ordre Jedi pour Luke, les feuilletons type Flash Gordon pour George). Mais à la lumière des épisodes I à III, et considérant le parcours si particulier de George Lucas, on peut se risquer à établir un parallèle entre le Lucas de 1977 à 2005 et le Anakin Skywalker des épisodes I à VI... Inutile de dire que l'article suivant est un nid à spoilers, et qu'il est impératif d'avoir vu les six films avant de le lire.

Episode I : entrée en scène du petit nouveau talentueux


La menace fantôme
 : Anakin Skywalker, encore enfant, fait preuve de talents de pilote exceptionnels et laisse à penser que la Force est avec lui. Le conseil des Jedi, un ordre établi depuis quelques années et qui a succédé à celui des puissants Sith, se demande si Anakin ne serait pas l'Élu annoncé par la prophétie, celui qui est destiné à ramener l'équilibre dans l'univers.

1977 : George Lucas, âgé de 33 ans (l'âge du Christ à sa mort, gnagnagna), est le cadet d'une génération de cinéastes composée de Francis Ford Coppola, Martin Scorsese ou encore Brian De Palma, qui a "succédé" à l'ère des majors hollywoodiennes toutes-puissantes pour créer un "ordre" d'auteurs intègres et respectueux de l'art plus que du profit. Lucas fait preuve de réels talents de réalisateur (THX 1138, American Graffiti) et d'une ambition créative importante, qui l'amène à se lancer avec enthousiasme dans le projet Star Wars, dont le premier volet sorti en 1977 remporte un succès considérable. Ses amis voient en lui un porte-parole idéal, capable de réconcilier cinéma de divertissement et œuvre personnelle.

Episode II : la découverte de nouveaux plaisirs


L'attaque des clones
 : Anakin, couvert d'éloges depuis le premier film, est devenu légèrement arrogant. Attaché à la protection de Amidala, il laisse son mentor Obi-Wan mener l'enquête sur les clones, tandis qu'il se la coule douce aux côtés de la jeune fille qui occupe désormais ses pensées.

1980 : George Lucas, après le succès du premier film, décide de laisser la réalisation du deuxième à son professeur de cinéma Irvin Kershner. Pendant ce temps, il découvre les joies du marketing et des produits dérivés, le label Star Wars étant désormais déclinable à l'infini sous forme de jouets, livres, bandes dessinées, lunch-boxes, gadgets et autres déguisements.

Episode III : le pacte avec le diable


La revanche des Sith
 : Anakin ne cherche pas à ramener l'équilibre dans l'univers, mais à préserver sa bien-aimée de la mort, qu'il voit dans ses cauchemars. Il apprend que le côté obscur peut l'aider à acquérir la puissance dont il a besoin. Et s'il faut pour cela tuer des enfants à coups de sabre laser, il n'hésite pas. Son ami Obi-Wan, terrassé de découvrir qu'Anakin a fait ce choix, lui fait part de sa déception avant de le laisser meurtri, engoncé dans une armure qui isole l'homme et ses sentiments du monde extérieur. Devenu Darth Vader, il est désormais à la tête d'un Empire galactique.

1983 : George Lucas ne réalise pas Le retour du Jedi, négligemment confié à l'inconnu Richard Marquand. Soucieux de vendre des peluches, Lucas incorpore dans le film de mignons Ewoks supposés plaire aux enfants.
Le film est un succès, mais on peut imaginer de houleuses discussions entre Lucas et (par exemple) Coppola, le deuxième accusant le premier d'avoir sacrifié l'art sur l'autel du marketing. Lucas s'enferme dans sa tour d'ivoire, devient invisible et artistiquement inactif, produisant de lamentables dérivés de Star Wars (L'aventure des Ewoks) et un nanar miraculeux, culte malgré lui (Howard le Canard). Lucas est désormais à la tête d'un empire, on le traite de vendu.

Episode IV : un nouvel espoir


Un nouvel espoir
 : Depuis vingt ans, la Galaxie est sous la coupe de Darth Vader. Désireux de balayer toute résistance, il traque les rebelles pour démanteler leur réseau. Mais ses enfants Luke et Leia, séparés à la naissance, sont eux aussi copains avec la Force...

1999 : Depuis vingt ans, George Lucas occupe une position dominante grâce à la franchise Star Wars et à ses produits dérivés. Il décide de sortir de sa retraite en réalisant son premier film depuis 22 ans : l'épisode I de Star Wars, titré La menace fantôme. Aux yeux des fans au cœur pur, Lucas livre un film commercial, il est un monstre vendu depuis longtemps aux dieux du merchandising. Mais ses enfants, ceux que la première trilogie a nourri et influencé, rôdent dans la galaxie.

Episode V : le vernis craque

L'empire contre-attaque : Darth Vader n'est pas une machine mais un être
humain : on aperçoit son crâne meurtri au détour d'une scène, et il révèle à Luke qu'il est son père, afin de lui proposer une alliance. Luke, de son côté, s'est soumis à un entraînement de Jedi ; il est pratiquement en mesure de vaincre son père.

2002 : Lucas, en réalisant un épisode II moins porté sur l'action que le premier et plus chargé en romantisme, perd une partie du public et réalise le pire score de la nouvelle trilogie. De son côté, Peter Jackson s'apprête à sortir cette année-là le deuxième volet de sa trilogie à lui : Le seigneur des anneaux. Un épisode 2 qui rapportera dans le monde 300 millions de dollars de plus que l'épisode II de Star Wars.

Episode VI : une fin digne

Le retour du Jedi : Darth Vader finit par affronter son fils, et réalise brusquement
qu'il a perdu son identité depuis longtemps. Il se décide à mourir, laissant à ses enfants le soin de continuer le combat. En mourant, il redevient Anakin Skywalker, sous la forme d'un fantôme bienveillant.

2005 : George Lucas n'est pas une truffe, il sait que le Seigneur des Anneaux l'a battu. Le retour du roi a amassé plus d'un milliard de dollars dans le monde sur son exploitation en salles, battant ainsi n'importe quel Star Wars malgré ses 3h20 de métrage. Il ne lui reste plus qu'à partir dignement, signant un dernier film plus intime que les précédents, traversé de vrais moments forts. L'héritage de Lucas est incontestable, mais l'homme n'est plus qu'un fantôme, effacé depuis longtemps par son œuvre d'origine.


Bien entendu, une telle analyse nécessite une bonne dose de mauvaise foi, une propension à ne considérer que les éléments qui alimentent la thèse de départ, et une volonté d'examiner les faits sous un angle déterministe hautement discutable. Mais après tout, Star Wars est un sujet dont suffisamment de gens se sont emparé pour qu'on puisse supposer que de pires bêtises ont déjà été écrites.