Dossier Spécial : Ces acteurs qui jouent ou qui surjouent

/ Dossier - écrit par Hugo Ruher, le 11/05/2012

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Cette semaine sort Dark Shadows, l'énième déclinaison du duo Burton-Depp. On pourra encore une fois compter sur les admirateurs pour vanter le développement toujours plus en profondeur de l'univers si particulier de ce cher Tim et de sa symbiose visible avec son acteur fétiche. On pourra aussi lire l'avis des détracteurs qui leur reprocheront de tourner en rond dans une valse nombriliste et de refaire inlassablement le même film depuis dix ans. Ce qui est sûr c'est qu'on entendra aussi parler du jeu de Johnny Depp car lorsque certains louent sa subtilité et sa richesse, d'autres pointeront ses éternelles mimiques et ses expressions caricaturales. Car oui en effet Krinaute, moi le premier j'adore Johnny Depp mais il faut reconnaître que parfois, avec sa moue dédaigneuse ou ses yeux écarquillés, et bien on est à la limite du surjeu. Le summum étant atteint avec la saga des Pirates des Caraïbes ou Alice. Bien souvent c'est volontaire et agréable tant qu'on rentre dans l'ambiance mais il faut comprendre que pour certains c'est insupportable. D'ailleurs, Johnny Depp n'est pas le seul à se rapprocher de la frontière qui différencie « jouer » de « surjouer » et nous allons voir dans ce dossier les acteurs qui aiment se placer sur cette ligne si difficile à appréhender sans se casser la figure. C'est le dossier Krinein spécial surjeu !

 


Stanley, fais pas l'con et file moi la hache.
Un jeu à la hache.

On va commencer avec le plus évident, Jack Nicholson dans Shining. Alors avant de recevoir des colis piégés et du polonium 210 dans mes mails (si, si ça peut arriver), je tiens à préciser que j'adore ce film et que Jack est génial. Mais ici c'est le personnage de Jack Torrance qui veut ça avec sa lente montée vers la folie furieuse. Et si on est dans l'ambiance du film, il est vraiment effrayant mais imaginez quelqu'un qui regarde passivement l'écran avec un bol de chips et une Kro tiède, et bien l'effet est différent et tout ce qu'il voit c'est un taré avec des yeux de cinq centimètres de diamètre qui s'agite en faisant des grimaces et en jouant avec les intonations plus ou moins stridentes de sa voix. Mais comment ne pas être effrayé quand on voit une trogne comme celle-là dépasser de la porte. Il faut dire que la hache y est peut-être pour quelque chose mais bon... D'ailleurs, Jack Nicholson nous a habitué à ce genre de personnage toujours très excessif, que ce soit dans Batman, Les infiltrés ou même dans Chinatown où son personnage est pourtant plus réservé et traditionnel. Même dans ce rôle d'un détective privé froid et cynique, il arrive à cabotiner donc une mention spécial surjeu pour Jack avec tout mon amour.

 


Une petite soif?
La rage de surjouer

Quand on parle de David Cronenberg, le mot modération n'est pas celui qui vient forcément en premier à l'esprit alors il n'est pas étonnant que les acteurs qu'il dirige soient aussi dans un état second. C'est le cas avec Rage. Il faut dire que ce n'est pas évident d'être dans la demi-mesure lorsqu'on est atteint de cette maladie, et Marilyn Chambers nous le fait bien savoir. En fait, dans les moments où le personnage se sent bien son jeu est plutôt correct, elle est douce, souriante et complètement normale, même charmante. On arrive même à en oublier que l'actrice est davantage familière du monde du X que du cinéma traditionnel. Mais dans les scènes où elle pète une pile ou quand elle est prise de ce qui ressemble à une grosse fringale sexuelle, elle reprend ses réflexes professionnels et s'en donne à cœur joie dans les cris stridents ou les expressions hallucinées et effrayantes. En tout cas c'est facile de critiquer mais je pense que quand on se réveille avec un dard suceur de sang sous l'aisselle, ça peut faire péter les plombs.

 


Je suis sympa en vrai.
Mon précieux talent d'acteur.

Et voilà je vais parler de mon personnage préféré de ma trilogie préférée, Gollum dans Le Seigneur des Anneaux. Andy Serkis, qui prête sa voix et bien plus au personnage a été recalé par l'académie des oscars comme acteur susceptible d'être nommé sous le prétexte que son travail de motion capture n'est pas comparable au jeu d'acteur. Mais je te conseille, Krinaute, de regarder le making-of du Seigneur des Anneaux pour te rendre compte du travail immense qu'il a accompli. Andy EST Gollum et toutes les expressions qu'on voit sur le visage de la créature dans les films sont celles de l'acteur. Et comme bien sûr, le personnage de Gollum est dans une ambiguïté et une exagération omniprésentes tout au long des films, le jeu d'Andy Serkis s'en ressent. Personnellement j'adore les passages où il jongle entre ses deux personnalités et ceux où il est doucereux et sournois. Par contre, j'ai l'impression qu'il en fait un peu trop dans les scènes où il crie de rage ou de souffrance, surtout dans le dernier volet. Le personnage en devient alors plus caricatural et moins ambiguë mais cela est dû au fait que l'anneau lui fait oublier toute contenance donc le surjeu est totalement justifié.

 


Jusqu'au bout dans la lumière.
"Je suis toujours une grande star, c'est le cinéma qui est devenu trop petit."

Si tu es d'accord Krinaute, on va faire un petit saut dans le temps pour revenir à la belle époque des films noirs et en l'occurrence, de Billy Wilder. Dans Boulevard du Crépuscule, Gloria Swanson incarne Norma Desmond, une star déchue du cinéma muet devenue folle dans sa solitude, ne vivant que dans la perspective illusoire de son grand retour sur le devant de la scène. Elle s'attache à un pauvre scénariste tombé chez elle par hasard et il s'installe entre eux une relation malsaine. Norma Desmond est alors un personnage extrêmement intéressant, surtout par son aspect lunatique qui la rend tantôt douce, tantôt violente, tantôt excessivement joyeuse ou tantôt triste à tendance suicidaire. Pas facile alors pour Gloria Swanson d'interpréter cette palette schizophrène et sa performance est tout bonnement ahurissante. On voit que l'actrice se fait plaisir, elle cabotine à mort et rend un bel hommage au cinéma muet dont elle est elle-même une ancienne illustre représentante. Ce qui peut agacer à ce moment-là c'est ce côté théâtral très expressif, surtout dans les passages où Norma Desmond est dans un état proche de la transe, notamment vers la fin du film. Gloria mérite donc d'être dans ce dossier car son jeu tout en exagération colle parfaitement à son personnage et au climat malsain et extrémiste qui règne dans le film.

 


Et oui c'est éprouvant de jouer pour Lynch.
Bébé veut jouer.

Cette partie est encore une fois consacré à un type qu'on aime ou qu'on déteste : David Lynch. Un de ses films les plus... disons... abordable, est Blue Velvet avec Kyle MacLachlan (comme d'habitude chez Lynch) et Isabella Rossellini. Mais ici on va s'intéresser à un rôle secondaire, celui de Frank Booth incarné par Denis Hopper. Ce personnage est jusqu'au-boutiste, totalement barré, complètement détraqué et réellement fascinant. Bref, il représente tout ce qui fait que Lynch a de profonds admirateurs comme de féroces détracteurs. Il s'agit d'un psychopathe, kidnappeur, tueur, tortionnaire, obsédé sexuel et dépendant de fantasmes pour le moins étranges. C'est ce personnage qui fait qu'on peut adorer le film ou s'ennuyer ferme devant, d'ailleurs, je te conseille, Krinaute, de tester ta résistance à la folie de David Lynch en regardant cette scène ou Hopper nous sort dans un sanglot râleur un « Baby wants to fuck » en rampant vers les jambes de Rossellini. Si cette scène te paraît malsaine, saisissante et effrayante, c'est bon, tu es un fan de Lynch. Par contre, si tu ris devant l'aspect grotesque et le jeu de Hopper, je te conseille de ne pas pousser plus loin ta connaissance de la filmographie du réalisateur, tu risques de ne pas en revenir entier. Lynch sublime ou caricature l'art de surjouer, tout dépend du récepteur.

 


Elle est plus gentille quand elle chante.
Niark, niark, niark, je joue pour Tarantino!

Comme David Lynch, Tarantino ne donne pas dans la demi-mesure et c'est ce qui fait que ses défenseurs sont aussi extrémistes que ceux qui voudraient qu'il s'étouffe avec ses bobines. Et comme Tarantino aime y aller à fond, c'est la consigne qu'il donne à ses acteurs, notamment dans Inglorious Basterds avec Mélanie Laurent. Pour être honnête, je sais que Mélanie Laurent fait partie des actrices les plus critiquées sur internet mais j'avais trouvée notre petite frenchie plutôt bien dans le film. On ne peut pas dire que le film brillait par sa présence, surtout à côté de Christoph Waltz, mais elle était correcte. En fait, la scène qui m'a gêné est celle de la fin, avec Mélanie Laurent qui lance un rire diabolique façon pire méchant de James Bond. Je sais que venant de Tarantino c'est voulu, c'est pour accentuer le côté « farce » de son film et rendre encore une fois hommage au cinéma en général mais pour le coup, Mélanie Laurent en faisait un poil trop.

 


C'est à moi qu'tu parles?
- Que la demi-mesure soit avec toi. - Non, merci.

Je ne sais pas pour toi, mais un de mes personnages préférés dans la trilogie originale de Star Wars, c'était Dark Sidious. Il était mystérieux, toujours dans l'ombre, avec un air doucereux qui donnait l'impression qu'il jouissait à chaque mot. Et puis même s'il ne faisait pas grand chose on pouvait se rendre compte de son immense pouvoir. Quand son rôle a été repris par le même acteur, Ian McDiarmid dans la nouvelle trilogie, c'était pour moi une des réussites de ces films car il restait toujours en retrait, plutôt calme et tout en subtilité. J'ai peut-être d'ailleurs sublimé cette vision en le comparant à Jar Jar mais ça n'enlève rien au fait que ce personnage était vraiment cool. Le seul problème d'après moi se situe dans la scène où Palpatine se révèle, dans l'épisode III, et se bat contre Mace Windu. Cette scène pourrait être vraiment dramatique mais McDiarmid, avant tout acteur de théâtre, casse l'ambiance en hurlant, en faisant des grimaces à outrance, avant de changer totalement d'attitude et de sangloter comme un vieillard. Bien sûr, à ce moment-là dans le film, le Sith est censé jouer la comédie pour pousser Anakin à se joindre à lui mais quand même, il aurait pu le faire un peu plus subtilement je trouve. Si j'étais à la place d'Anakin, en voyant ce jeu d'acteur je lui aurai mis mon sabre où je pense au lieu de m'en prendre à Samuel L. Jackson qui est sacrément plus classe. Cette scène est pour moi la pire épreuve des défenseurs de la prélogie qui veulent à tout prix lui trouver des qualités (et il y en a) mais qui se retrouvent confrontés à cet instant mal joué et pourtant si important pour la suite.

 


Qui aurait cru qu'elle finirait mal?
Un jeu céleste.

Il fut un temps où Peter Jackson était complètement fou. Il n'y a qu'à voir Braindead ou Bad Taste pour s'en rendre compte. Mais ici, on va s'intéresser à son premier film dit « normal » qui est encore aujourd'hui d'après moi un de ses meilleurs : Créatures Célestes. Kate Winslet incarne ici Juliet, une jeune fille issue d'une famille aisée qui entretient une amitié dévorante avec Pauline, une amitié qui va les mener loin, très loin. Le traitement du sujet par Jackson est étonnant de subtilité et de pudeur, surtout lorsqu'on voit ses films précédents qui laissaient peu de place à la réflexion et aux sentiments. Mais ce qui peut être énervant est cette façon de jouer de la toute jeune Kate, qui s'amuse à mettre de l'emphase sur des mots qui ne le méritent clairement pas et à articuler à outrance pour marquer son appartenance à la haute société. Car on le sait, les aristos prononcent bien et étirent chaque syllabe à l'infini. Après, elle est beaucoup plus juste et mesurée dans les scènes où Juliet est triste mais le reste du temps, elle donne à fond dans l'exubérance, un aspect qui finalement va bien avec le film qui baigne dans un onirisme et une théâtralité permanente. En tout cas, cette performance n'aura pas handicapé la carrière de Kate, bien au contraire, et heureusement pour nous.

 

 

Et voilà pour ce dossier spécial surjeu au cinéma. Donc la prochaine fois que tu regarderas un film avec Johnny Depp, Krinaute, essaye de repérer tous ces signes du surjeu qui peuvent rendre le film génial ou au contraire totalement raté. Et à bientôt pour un prochain dossier !