Orang-outang en emporte le vent : la saga de la Planète des Singes
Cinéma / Dossier - écrit par riffhifi, le 29/07/2011Tags :
Alors qu’une nouvelle "Planète des singes" débarque au cinéma, un coup d’œil sur la franchise existante s’impose. Du roman de Pierre Boulle à la version de Tim Burton, le thème a inspiré de nombreux médias et s’est déclinée de différentes manières.
Lorsqu’il écrit La Planète des Singes en 1963, le Français Pierre Boulle est déjà bien connu des deux côtés de l’Atlantique, puisque son roman Le pont de la rivière Kwaï a été adapté par Hollywood près de dix ans plus tôt, avec le succès que l’on sait. Sa vision acide d’un monde où l’humain a été remplacé par le macaque, découvert avec stupeur par un héros appelé Ulysse Mérou, inspire rapidement le producteur Arthur P. Jacobs, qui cherche à en faire une superproduction. Le projet met plusieurs années à se monter, et passe notamment entre les mains de Blake Edwards, avant d’être finalement écrit par Rod Serling (maître d’œuvre de la célèbre série La Quatrième Dimension) et réalisé par Franklin J. Schaffner (déjà vainqueur de quelques Emmy Awards pour ses réalisations télévisées, et lauréat en 1970 de l’Oscar du meilleur réalisateur pour Patton).
En 1968, alors que les anthropoïdes de 2001 l’odyssée de l’espace font déjà sensation auprès du public, La Planète des singes (Planet of the Apes, et non Monkey Planet comme le livre fut parfois titré en anglais) fait une sortie tapageuse, appuyant sa promotion sur la star Charlton Heston (dans le rôle de l’astronaute égaré, rebaptisé Taylor) et sur les maquillages étonnants mis au point par John Chambers. Si Edward G. Robinson, qui devait interpréter l’orang-outang Zaius, s’est finalement retiré pour problèmes de santé, on note cependant la composition convaincante de Roddy McDowall dans le rôle du chimpanzé Cornelius ; l’acteur, qui effectuait là son come-back après une carrière d’enfant-star, reviendra dans la plupart des suites.
Le scénario s’avère assez fidèle au roman, à ceci près que la technologie des singes est moins évoluée dans le film. La principale différence réside dans la scène finale, qui restera dans les annales du cinéma et fera de La Planète des singes un classique de la science-fiction. L’aridité des décors, les angles déformants choisis par le réalisateur installent un climat oppressant, hostile, et la violence des réactions du héros sonnent juste (sa voix éraillée, attribuée dans le film à une blessure, résulte en réalité d’une méchante grippe que Charlton Heston s’est trimballée durant la quasi-totalité du tournage).
Triomphe public, le film reçoit un accueil discret des professionnels, récoltant simplement un Oscar pour les maquillages (tout de même), ainsi qu’une nomination pour le compositeur Jerry Goldsmith et sa musique expérimentale aux sonorités agressives.
La première adaptation de La Planète des singes en bande dessinée, contrairement à ce qu’on pourrait croire, n’est ni française ni américaine, mais japonaise : un manga tiré du scénario du premier film est sorti dès 1968 ; en revanche, c’est bien sous forme d’un comic book édité par Gold Key que le deuxième film sera adapté en 1970. Car succès oblige, Zanuck n’a pas tardé à mettre en route la production d’une suite. Le scénario initial, écrit par Pierre Boulle lui-même, montrait le personnage de Taylor quatorze ans après les évènements du premier film, menant l’insurrection humaine contre les singes ; il fut écarté au profit d’une histoire située dans la continuité immédiate du premier épisode, écrite par Paul Dehn (ce dernier, scénariste entre autres de Goldfinger, restera attaché à toutes les autres suites de La Planète des singes). Dans Le Secret de la planète des singes (Beneath the Planet of the Apes), Taylor et sa compagne Nova, toujours incarnés par Charlton Heston et Linda Harrison, disparaissent dès les premières minutes, tandis qu’un nouvel astronaute appelé Brent débarque dans les mêmes conditions que ses collègues du premier opus. Découvrant à son tour le monde des singes (bonjour les redites), il attendra la deuxième moitié de l’intrigue pour tomber sur le "secret" promis par le titre.
Kim Hunter et Maurice Evans reprennent leurs rôles de Zira et Zaius, mais Roddy McDowall pointe aux abonnés absents. Tourné par Ted Post, réalisateur de télévision qui venait de passer au grand écran grâce au western Pendez-les haut et court avec Clint Eastwood, Le Secret parvient à divertir, tout en ménageant quelques surprises dans la dernière partie. Rien n’indique cependant qu’une autre suite ait été envisagée durant sa production…
Et pourtant, dès 1971, Les évadés de la planète des singes (Escape from the Planet of the Apes) vient prolonger la saga, dont la popularité ne se dément pas ! Cette fois, le couple de chimpanzés formé par Zira et Cornelius (retour de Roddy McDowall, qui ne quittera plus la franchise) arrive dans notre présent en compagnie d’un troisième singe appelé Milo. Réalisé par Don Taylor, habitué des séries télé et des films de série B, cet épisode renverse le concept d’origine, pour immerger trois singes savants dans notre monde d’humains sceptiques. Ce qui permet de diminuer le budget, et d’insuffler davantage d’humour en éludant l’aspect "post-apocalyptique" des films précédents. Le résultat est rafraîchissant, mais possède un ton très différent des autres épisodes.
L’année suivante, La Conquête de la planète des singes (Conquest of the Planet of the Apes) se situe dans un futur proche, où les singes ont été dressés à servir l’homme, et occupent un statut à mi-chemin entre l’animal domestique et l’esclave. Jack Lee Thompson, qui avait failli réaliser le premier film, se rattrape en prenant les rênes ici, faisant de cette suite un brûlot politique nerveux et poignant, loin du ton léger adopté par le précédent opus. Ricardo Montalban reprend son rôle du film précédent, tandis que Roddy McDowall joue son propre fils César, devenu grand depuis les évènements dépeints dans Les évadés. Reflétant les tensions raciales qui secouaient l’Amérique à cette époque, La Conquête se fait fort de représenter les émeutes de singes avec une violence très graphique, à tel point que certaines scènes ont été censurées durant plusieurs années, pour tenter de conserver à la saga un public relativement familial.
En 1973, le dernier film de la lignée retourne à un type de divertissement plus léger : La Bataille de la planète des singes (Battle for the Planet of the Apes) se situe quelques années après le précédent, dans un monde où la civilisation que l’on connaît semble s’être écroulée bien vite. C’est à nouveau Jack Lee Thompson que l’on retrouve à la tête de ce dernier épisode, purement commercial, dans lequel singes et humains cohabitent mollement autour d’une aventure convenue. Malgré la présence de John Huston en vieux sage (à qui on n’apprend pas à faire la grimace), et le talent intact de Roddy McDowall en chimpanzé (un rôle qu’il maîtrise désormais sans peine), le jus de la saga semble épuisé, il ne reste plus qu’à exploiter l’univers dans une série télévisée.
Dès 1974, c’est donc sur le petit écran que l’univers est prolongé, avec une série exploitants les décors, les accessoires, les costumes et surtout les maquillages de la saga cinématographiques. L’intrigue reprend le principe des deux premiers films : de pauvres astronautes de notre époque se retrouvent coincés en plein futur, forcés de fuir les singes qui les pourchassent. Virdon et Burke, les Starsky et Hutch du pauvre, sont interprétés par un duo d’acteurs improbables, que l’on devine choisis pour leurs capacités de cascadeurs davantage que pour leur talent dramatique ; Roddy McDowall, dans le rôle de Galen, incarne son troisième personnage de chimpanzé avec aisance, mais se retrouve cantonné dans une fonction de faire-valoir peu enthousiasmante.
La série est diablement kitsch, mais reste idéale pour accompagner un goûter ; on y croise Marc Singer, qui sera le héros de V dix ans plus tard, et un enfant appelé Jackie Earle Haley, qui deviendra en grandissant l’interprète de Rorschach dans Watchmen, et de Freddy dans le récent remake. La série est un four aux USA, et s’arrête après une toute petite saison. Pourtant, elle remporte un certain succès en Europe, où ses rediffusions continuent d’enchanter un public familial. La musique agressive et claironnante de Lalo Schifrin (connu pour le thème de Mission Impossible) reste sans doute son composant le plus mémorable.
La même année, la télévision japonaise propose sa propre version, Saru no Gundan (Le temps des singes), où une femme et ses deux enfants cryogénisés se réveillent dans un lointain futur où les singes règnent sur la Terre.
Ultime effort d’exploitation de la franchise, une série de dessin animé est produite en 1975 sous le titre Return to the Planet of the Apes (inédit en France). Friz Freleng et David H. DePatie, les créateurs de La Panthère Rose, sont en charge de cette série de 13 épisodes, clairement conçue pour un public enfantin. L’animation est sommaire, les intrigues poussives, et La Planète des singes ne connaîtra plus de film ni de série officielle durant de nombreuses années.
L’engouement pour les acteurs en costume de singe perdurera au court des années suivantes : John Landis enfilera une défroque de chaînon manquant dans Schlock (1973), les envahisseurs de Godzilla vs. MechaGodzilla (1974) ressemblent à une version "papier mâché" des singes de la saga…
Immensément populaire, la saga s’est déclinée en produits dérivés, a fait l’objet de diverses parodies (revoir La folle histoire de l’espace de Mel Brooks) et a notamment beaucoup inspiré les gagmen des Simpson, qui s’y sont référés plusieurs fois dans la série. Le cinéma porno est un peu long à se raccrocher aux branches, mais propose trois opus dans les années 2000 : World of the Erotic Ape (2002), La Playmate des singes (2002) et La Planète des seins (2006).
A partir de 1974, la carrière des singes décolle en BD pour quelques années, chez Marvel Comics. Au début des années 90, Malibu Comics proposera sa propre mini-série, et c’est Dark Hors qui se chargera d’adapter le film de 2001. En 2011, BOOM Studios sort une nouvelle série consacrée à La Planète des singes, sans pour autant établir de lien avec le film qui sort cette année.
Un remake flotte dans les limbes des projets hollywoodiens dès les années 80, et attire des cinéastes tels que Sam Raimi, Oliver Stone, Roland Emmerich, Michael Bay et Peter Jackson. Au milieu des années 90, James Cameron est sur le point de le tourner avec Arnold Schwarzenegger, mais il jette finalement l’éponge au profit de Titanic. Pierre Boulle meurt en 1994, il ne verra donc pas les versions suivantes de son livre.
En 2001, c’est Tim Burton qui gagne la timbale, et réalise La Planète des singes nouvelle génération. Réunissant un casting hétéroclite composé de Mark Wahlberg (l’humain Leo Davidson), Tim Roth (le vilain chimpanzé Thade) et Michael Clarke Duncan (l’imposant gorille Attar), le réalisateur dirige également trois actrices : la très chaude Estella Warren, mannequin à la carrière cinématographique biodégradable ; Lisa Marie, compagne de Tim Burton, dans le rôle sous-écrit de Nova ; et Helena Bonham Carter, FUTURE compagne de Burton, en guenon scientifique. Autant dire que le tournage a probablement représenté davantage sur le plan amoureux que sur le plan artistique pour l’auteur de Batman, Mars Attacks et Sleepy Hollow, qui signe là son film le plus décevant et impersonnel. Davantage un remake de la série de 1974 que du livre ou du premier film (les humains parlent, l’accent est mis sur l’aventure plus que sur l’intrigue), La Planète des singes cuvée 2001 ne remplace pas la saga d’origine dans le cœur des spectateurs.
Au rayon des points forts, on note que Charlton Heston et Linda Harrison caméotent, le premier dans le rôle d’un vieux singe mourant ; décédé en 1998, Roddy McDowall n’est pas de la partie. Les maquillages sont l’œuvre de Rick Baker, qui ne démérite pas, et la musique de Danny Elfman évoque avec talent une gigantesque horloge déréglée.
Après s’être provisoirement appelé Caesar et Rise of the Apes, c’est sous un titre interminable que débarque en 2011 la nouvelle version : Rise of the Planet of the Apes, traduit en français par La planète des singes - les origines. La performance capture remplace les maquillages, et le casting réunit James Franco, Freida Pinto, Brian Cox, David Hewlett et John Lithgow autour du chimpanzé interprété par Andy Serkis (lire la preview).
L’action prend place de nos jours, alors qu’une expérience donne naissance à un chimpanzé supérieurement intelligent ; assistant aux folies des hommes, subissant une mise à l’écart qu’il juge injuste, il va mener l’insurrection avec l’aide de ses copains gorilles et orangs-outangs. L’intrigue évoque directement La Conquête, mais le traitement promet plus de réalisme : les singes ne parlent pas, ne sont pas habillés, et le scénario permet d’imaginer que les évènements puissent se produire demain. Ce qui est sûr, c’est qu’une nouvelle franchise pourrait naître si ce film-ci remporte un succès suffisant… Affaire à suivre, à partir du 10 août.