Titanic
Cinéma / Critique - écrit par Nicolas, le 13/03/2008 (Tags : titanic naufrage navire epave passagers paquebot film
Un titan, oui monsieur.
Attention, cette critique est susceptible de contenir de nombreux spoilers.
Onze Oscars, dont meilleur film, meilleur réalisateur, meilleur montage, meilleurs effets visuels, meilleure photographie, et meilleure musique du film, aucune statuette n'ayant été décernée au casting malgré quelques nominations. Un record incontesté reproduit depuis 1998 par Peter Jackson et son Retour du Roi (2003), et précédé par le mythique Ben-Hur de William Wyler (1959). Expliquer les raisons de ces trois succès à la fois académique, critique, et publique serait une perte de temps au vue du nombre de paramètres et de ramifications que cela impliquerait, chacune de ces entités bien pensante étant autonome et régie par ses propres lois. La critique que vous avez sous les yeux n'est donc pas une vérité établie et ne constitue en aucun cas une explication au triomphe de James Cameron, il s'agit juste de quelques pistes de réflexion visant à expliquer pourquoi Titanic est un grand film d'un point de vue artistique et technique, ainsi qu'une invitation à découvrir l'une des œuvres majeures de la fin du siècle dernier.
Le 10 avril 1912, le luxueux paquebot Titanic quitte le port de Southampton pour son voyage inaugural le menant à New York. Long de près de 270 mètres, le navire transatlantique représente à la fois ce qui se fait de mieux en termes de voyage de plaisance, par son opulence et son confort, et jouit d'une réputation d'invincibilité. "Insubmersible", tel est le terme le plus usité pour le qualifier, jusqu'à sa rencontre inopportune avec un iceberg le 14 avril 1912, aux alentours de minuit. L'insubmersible Titanic se révèle au final submersible, et submersiblera dans les trois heures, emportant avec lui presque 1.500 victimes issues de toutes catégories sociales.
En avril, ne te découvre pas d'un film
Telle est la réalité, cruelle et pleine de sens (les conséquences de l'ambition technologique et de la course au gigantisme), et pourtant si froide, si distante, un peu comme pourrait l'être l'horreur des camps de concentration expliquée à des adolescents d'aujourd'hui. Qui n'a pas connu le contexte ne sera pas en bonnes conditions pour ressentir, s'émouvoir du sort infligé à une génération lointaine. Comme bon nombre de faits et de personnages, le Titanic et son funeste destin demeurent prisonniers d'un carcan historique que seuls les écrits et les mots pouvaient alors retranscrire.
Un thème aussi puissant constitue une aubaine pour Hollywood, cela va sans dire. Néanmoins, si l'on peut reprocher à James Cameron un certain nombre de choses, il est impossible de ne pas trouver d'argument en la faveur du traitement choisi pour raconter sa propre histoire du Titanic. Pas la réalité, pas la vraisemblance, mais une œuvre hybride entre la reconstitution et la fiction s'attardant avant tout sur le côté humain de la catastrophe. Cette approche est clairement exposée au spectateur : l'équipe du chasseur de trésor Brock Lovett présente à Rose, survivante du naufrage, une reconstitution technique de l'accident, que cette dernière considère comme très éloignée de ce qu'elle a vécu - ce qui la pousse à partager ses souvenirs avec l'équipage.
« Hit the Rose, Jack ! »
Ainsi nous sont présentés Jack et Rose, respectivement troisième et première classe, principaux protagonistes d'une histoire d'amour impossible affichant chacun un sentiment tout particulier par rapport à l'énorme navire (Rose : répulsion ; Jack : attraction). Là est toute la subtilité du script de Cameron : présenter une histoire d'amour au premier plan et reléguer le navire au second, privilégiant du coup la sensibilité et l'aspect humain. Tout est construit pour que le spectateur se sente à l'aise, s'identifie aux personnages, se prenne d'affection et se solidarise aux amoureux que « rien au monde ne pourra séparer ». Ainsi se créée une classique histoire d'amour dite "impossible" entre deux êtres humains que tout dissocie, se rencontrant à la poupe du navire (par le biais d'une tentative de suicide, élément suffisamment fort pour abattre les barrières sociales) et atteignant son point culminant à la proue (« Mais je vole ! »). Main dans la main, Jack et Rose devront abattre les murs qui les séparent, l'ex-petit ami jaloux et impulsif, l'égoïsme maternel, et le regard d'autrui.
Parallèlement à cette histoire, le dénouement se dessine. Par petites touches, James Cameron pose les bases de ce qui a construit le mythe du Titanic : son naufrage, pour ne pas le citer. L'ambition du commandant, le manque de canots de sauvetage, la confiance aveugle de l'architecte, tout est évoqué et intégré à l'histoire, comme pour rappeler au spectateur que la catastrophe ne pourra être évité tout en ne perdant pas de vue l'histoire de Jack & Rose (l'information sur les canots de sauvetage est immédiatement suivie par la déclaration du jeune homme, qui amène le spectateur à négliger l'information tout autant que les personnages la négligent). Les deux histoires fusionnent petit à petit pour se retrouver très intiment mêlées dans la nuit du 14 au 15, où les vigies en place détournent leur attention vers Jack et Rose alors que le paquebot fonce vers l'iceberg. Ici commence alors la dernière partie du film, véritable feu d'artifice de sentiments et d'effets spectaculaires.
Festival de canots
Les personnages secondaires, esquissés dans la première partie, se révèlent peu à peu au contact de la catastrophe. L'éventail est large, et tout le monde peut se retrouver dans tel ou tel personnage, que ce soit dans son courage (le commandant et l'orchestre jusqu'au-boutistes), sa couardise (certains membres de l'équipage), son nombrilisme (la mère de Rose), ou plus simplement sa volonté de survivre. Le parallélisme fiction / réalité est néanmoins conservé, la tension dramatique liée à la collision avec l'iceberg trouve écho dans les déboires de Jack et Rose, qui sont une nouvelle fois confrontés à de sérieuses difficultés (les fausses accusations de l'ex-petit ami). Un exemple parmi d'autres où chaque élément, chaque début de réflexion est accentué par la présence des deux protagonistes, permettant au spectateur de ne pas tomber dans l'effroi pur et dur. C'est ainsi que Cameron parvient à gérer le drame, à utiliser la beauté du plastique de la catastrophe (accumulation de plans larges montrant le bateau sombrer petit à petit) sans pour autant oublier le côté humain qu'il chérit depuis le début, et provoque une émulation avec le public.
Cependant, nous sommes devant un film de James Cameron, habitué à l'action et au spectacle, et même si Titanic constitue une œuvre atypique, par sa sensibilité, dans la filmographie du réalisateur, certaines images, certains choix nous ramènent directement à ses amours filmiques. Le Titanic, au plus mal, nous fait davantage penser à un animal blessé qu'à un objet, émettant des bruits de fauve et se défaussant sous les pieds des passagers avec fourbe. Egalement, dans de nombreuses séquences, l'eau s'insinuant dans les étages inférieurs du navire représente un danger immédiat pour les héros, un monstre puissant et invincible que nul ne pourra vaincre et auquel il faudra s'y soustraire, par sa propre volonté. Le grand écart effectué depuis le début du film nous fait penser à un ascenseur, celui-ci traversant différents étages de sensations très distinctes, et atteint parfois des paroxysmes d'horreur - une horreur bien différente de films de série Z bien sûr, surtout que Cameron suggère au lieu de montrer.
Conclusion
Il est difficile d'être exhaustif sur un film comme celui-ci. Néanmoins, comme beaucoup d'autres, Titanic est un film qui mérite d'être vu, non pas parce qu'il a été récompensé outre mesure, non pas parce que tout le monde autour de vous l'a vu, non pas parce que les sommes engagées sont pharaoniques (un dossier sur la production du film pourrait facilement être constitué, tellement les aléas, les problèmes, et les enjeux furent nombreux) simplement parce qu'il est indéniable qu'en dépit de toutes les difficultés qu'il a pu rencontrer pendant la production, James Cameron a su construire une leçon de cinéma évidente en transformant un pan archi-connu de l'Histoire en drame sentimental immersif et spectaculairement mené. Leonardo DiCaprio a beau être souvent décrié (principalement par la gent masculine), il reste un acteur très valable doté d'un véritable sens artistique et d'une filmographie intéressante, formant avec Kate Winslet un couple crédible bien qu'en deçà des grandes figures du septième art.
Return of the King of the World ?
Pour l'anecdote marrante, une suite envisagée mettait en scène Jack, miraculeusement sauvé des eaux, en train de chercher partout sa petite fleur. On bénit le ciel que personne n'ait cru en ce projet...