Dossier cinéma - Les années trente (1930-1939)
Cinéma / Dossier - écrit par iscarioth, le 01/12/2005
L'arrivée du son est saluée par une forte augmentation de la fréquentation dans les salles. De l'autre côté du film, les maîtres réalisateurs et acteurs voient ce "progrès technique" d'une toute autre façon et ne sont pas si enthousiastes que le public. L'épreuve du microphone va sonner le glas de bien des carrières, comme celle d'Emil Jannings, victime de son accent allemand. Mais il s'agit surtout du fait que le cinéma muet a mit trois longues décennies pour trouver la voix de la perfection (avec, en France, des films comme L'Argent, par exemple). On croit que l'arrivée du "bruyant" va anéantir tous les efforts accomplis jusque là pour faire du cinéma un art à part entière. Mais la décennie du cinéma que représentent les années trente va être riche et diverse. Très tôt, le parlant va acquérir ses lettres de noblesse avec des films comme Hallelujah (1929). Le cinéma va, avec l'avènement du parlant, être réellement redéfini. La révolution n'est pas seulement technique mais aussi esthétique et artistique. Le cinéma des années 1930 montre aussi au monde une Amérique qui a pris de l'avance et qui, au travers d'Hollywood, surclasse toute autre production. Articulée autour de ses "majors" comme la Warner Bros. ou la 20th Century Fox, Hollywood alimente en film les cinémas du monde entier. Tout est contrôlé, grâce à ces "major companies", de la conception jusqu'au montage. Pendant ces années 1930, on voit très distinctement évoluer le cinéma vers une codification, un découpage en "genres" : western, drame, burlesque, thriller, comédie musicale, mélodrame, fresque historique... Tous ces genres ont leur code de conduite et leur déroulement propre, ils répondent à des codes techniques et artistiques précis définis par le tout puissant Hollywood. Symbole de cette Amérique au cinéma tout puissant, le premier succès cinématographique mondial, Autant en emporte le vent, qui clôture brillamment ces années trente.
Coté européen, l'Italie fasciste va placer le cinéma sous contrôle tandis que l'Allemagne l'utilise comme une arme de combat idéologique (après la chute de la République de Weimar). La France, malgré la chute de ses deux monstres Pathé et Gaumont, prospère grâce aux oeuvres de Clair, Renoir, Guitry, Pagnol ou encore Vigo... La Grande Bretagne connaît un renouvellement économique jusqu'à la guerre avec beaucoup d'entreprises cinématographiques. Le nom d'Hitchcock ne va pas tarder à résonner comme celui d'une référence.
En 1930, les américains revivent étrangement la défaite allemande de la Grande Guerre, par trois films : A l'ouest, rien de nouveau, la Patrouille de l'aube et les anges de l'enfer. Le plus marquant des trois est sans conteste A l'ouest, rien de nouveau de Milestone qui est récompensé par le prix du meilleur film et celui du meilleur réalisateur aux Academy Awards. Le film dénonce la tragédie de la Grande Guerre et l'incroyable aveuglement barbare des militaires de haut rang. Coté allemand, c'est Pabst, le célèbre réalisateur de Loulou qui s'attaque aux horreurs de la guerre par son film : Quatre de l'infanterie. Un film qui raconte la vie quotidienne des soldats allemands dans les derniers mois de lutte contre la France...
L'Ange BleuMais le grand succès de cette année 1930 est sans conteste l'Ange bleu dont le nom résonne dans l'histoire du cinéma à ampleur égale à celui de son actrice Marlene Dietrich. Josef Von Sternberg devait réaliser un film centré sur le célèbre acteur allemand Jannings mais le film prend rapidement pour clé de voûte le personnage incarné par la belle Dietrich : Lola-lola. Heinrich Mann, l'auteur naturaliste du livre ayant inspiré le film déclara : « le film devra son succès aux cuisses dénudées de Mademoiselle Dietrich ». En effet, la jeune femme a séduit le public par sa voix rauque et par ses chansons. Elle le chante elle-même : « Je suis faite pour l'amour, de la tête aux pieds ». Marlene Dietrich marque l'histoire du cinéma comme étant la première figure internationale de la femme fatale. En 1934, elle triomphe à nouveau avec l'Impératrice rouge, pour lequel elle incarne l'impératrice Catherine II de Russie. Le duo Joseph Von Sternberg / Marlène Dietrich est alors à son apogée. En 1934, La femme et le Pantin sonne le glas de cette collaboration fructueuse, Sternberg allant bientôt quitter la Paramount pour la Columbia.
Toujours en 1930, Luis Bunuel livre au monde un film qui, vu le choc qu'il a provoqué, peut être vu comme le manifeste du surréalisme cinématographique. En décembre, le préfet de police a interdit les projections de ce film appelé L'Âge d'or, qui est une célébration de l'amour fou et qui s'attaque à l'ordre social l'entourant. Le film s'en prend aussi au cléricalisme ainsi qu'à la bourgeoisie. L'oeuvre de Bunuel déchaîne les fureurs de la ligue antijuive.
C'est aussi lors de cette année 1930 qu'est promulgué un code de production cinématographique, présenté par Hays. Le code s'articule autour de trois principes généraux :
- Les films produits ne doivent pas tendre à abaisser le niveau moral des spectateurs : ils ne doivent pas glorifier le crime, le mal, le péché...
- Des modes de vie décents doivent être montrés au public
- La loi divine, naturelle ou humaine ne devra pas être ridiculisée, de même qu'on ne devra pas susciter de sympathie pour sa violation.
Ce code sera appliqué jusqu'au milieu des années soixante. Il est paraphé de nombreuses interdictions ou mises en garde annexes : toute vulgarité verbale se doit d'être écartée, la nudité totale n'est pas autorisée... Le code Hays a de quoi irriter les cinéastes : le texte empêche la moindre critique sociale.
M le MauditEn 1931, alors que la République de Weimar touche le fond et que le nazisme pointe le bout de son nez, le cinéma allemand connaît une de ses années les plus brillante, avec trois chefs d'oeuvres : M le Maudit, L'opéra de Quat' sous et Jeunes filles en uniforme.
M le Maudit est le premier film parlant de Fritz Lang. Il aurait dû s'appeler « les assassins sont parmi nous » si les nazis ne s'en étaient pas mêlé. Peu importe, cependant, tant le film s'explique par lui-même. L'oeuvre raconte l'histoire d'un tueur d'enfant. Lang dresse le portrait de ce psychopathe sadique. Par l'analyse de ce cas clinique, Lang dresse le portrait d'une Allemagne malade, mûre pour la dictature. M le maudit dénonce les structures et les logiques sociales qui détruisent l'individu et souligne le fait que le mal est en chacun de nous.
Le plus grand safari cinématographique est organisé autour du réalisateur Van Dyke. Une actrice débutante est choisie pour s'engager dans cette expédition périlleuse au coeur de l'Afrique, toutes les grandes stars hollywoodiennes s'étant refusés de prendre de tels risques. Pour son film, Van Dyke n'a pas voulu d'une postsynchronisation ou de bruitages. D'incroyables moyens ont donc été déployés pour permettre l'enregistrement du son sur place. Il résulte de cette épopée le film Trader Horn qui fait un malheur au box office en 1931 et lance l'exotisme africain aux Etats-Unis.
Côté français, Pagnol lance Marius, un film adapté de ses pièces et réalisé par Alexander Korda. Pagnol surprend par sa capacité à s'adapter à cet art nouveau qu'est le cinéma parlant. L'auteur a su s'encadrer des meilleurs techniciens et autres professionnels du cinéma. Le film va faire le tour du monde mais les traductions qui en seront faite vont toutefois dénaturer la saveur régionale de l'oeuvre au fort accent de Provence. Le film lance d'ailleurs, sur ce ton, l'une des plus fameuse répliques du cinéma français : « tu me fends le coeur ».
En 1932, la crise économique touche, avec un certain retard, le cinéma hollywoodien. Celle-ci a pour principal effet d'empêcher la réalisation de coûteuses reconstitutions. Certains genres comme le film historique sont donc mis de côté. Autres genres boudés : le western et la comédie musicale, le public étant certainement '"saturé". A cette époque, c'est le genre "fantastique" qui a le vent en poupe. Le genre horrifique émerge dès 1931 avec deux films : Dracula de Tod Browning et Frankenstein de James Whale. Deux carrières sont lancées, celle de Bela Lugosi, dans le rôle du vampire et celle de Boris Karloff, dans le rôle du monstre. En 1932, vont exploser deux autres films très connus et retenus : Docteur Jekyll et Mr Hyde et Freaks ou, en français, La monstrueuse parade.
La fameuse histoire imaginée par R.L. Stevenson est transposée au cinéma par le réalisateur Rouben Mamoulian, une forte tête d'Hollywood. Avec Docteur Jekyll et Mr Hyde, ce réalisateur a reconstitué avec minutie l'Angleterre victorienne et a présenté cette "histoire schizophrène" comme étant le combat entre le civilisé refoulé et le primitif extraverti. De son côté, Tod Browning présente avec son Freaks l'un des summums de l'horreur. De multiples coupures ont été exigé de ce film qui nous montre, au coeur d'un cirque, une véritable enquête documentaire sur des être disgracieux tels une femme à barbe, un homme tronc, des nains et des soeurs siamoises... Le film a été plutôt incompris, voire même maltraité, à sa sortie en 1932, compromettant sérieusement la carrière de son auteur. Il reste cependant, dans l'histoire du cinéma, un film mythique, un sommet... Par ce film, le but du réalisateur était bien de montrer au spectateur la réelle monstruosité intérieure d'individus extérieurement beaux.
ScarfaceLe principal autre genre en expansion, avec le fantastique, est le film de gangster. Scarface, en la matière, est le principal succès de 1932. Le contexte social de l'époque et l'apparition du cinéma parlant se prêtent à l'émergence du thriller. Au-delà du gangstérisme, Howard Hawks dresse le portrait, dans Scarface, de l'arrivée de la famille des Capone à Chicago, il enquête sur l'arrivisme, la violence et la descente aux enfers du plus célèbre des gangsters... L'auteur connaît des déboires avec la censure qui exige de nombreuses coupures pour ce film ainsi que le tournage de séquences moralisatrices.
1933, c'est l'année King Kong. Réalisé par Merian C. Cooper et Ernest B. Schoedsack, des parvenus du documentaire, le film ressuscite le mythe de la Belle et la Bête. Un singe gigantesque, ramené en captivité à New York, s'échappe, sème la panique dans la ville avant de se réfugier au sommet de l'Empire State Bulding. Est salué pour cette performance technique, le modéliste Willis O' Brien. Le film, au budget colossal, s'anime autour de maquettes, de pantins articulés. A travers l'animal, le film pousse le spectateur à réfléchir sur la perversité et les dangers du monde civilisé tel que nous le connaissons. Dans ce contexte de crise économique et politique, le fantastique fait figure de seule échappatoire cinématographique possible.
Cette année 1933 est aussi connue pour l'ascension de Hitler et des nazis au pouvoir en Allemagne. Le 30 janvier, c'est l'avènement du IIIème Reich. Ce nouvel état totalitaire ne tarde pas à faire main basse sur le cinéma, qui va être utilisé à des fins propagandistes. Goebbels, en plus d'être ministre de l'information et de la propagande, est « mandaté par le Führer pour tout ce qui concerne la vie culturelle et artistique de la nouvelle Allemagne ». Les financements et productions des films sont placés sous le contrôle de l'état. Il faut être aryen pour avoir le droit d'oeuvrer pour le septième art. L'Allemagne nazie se donne de grands moyens pour encadrer le cinéma, vu comme une arme idéologique puissante. Les nouveaux films propagent l'idéologie nazie. Un des films les plus connu de ce courant est le Jeune Hitlérien Quex. Devant les événements, Fritz Lang disparaît de la capitale Berlin, une nuit de mars. Il gagne Paris, fuyant les avances de Goebbels, l'homme qui a interdit la parution de son film Le Testament du docteur Mabuse. Le séjour de Lang en France est rapide. Le réalisateur est rapidement contacté par la MGM pour aller tourner aux Etats-Unis où il dû se plier aux méthodes américaines (happy end, réécriture des dialogues par le producteur...). Son premier succès américain arrive en 1936 avec Furie. Le film connaît un vif succès, aussi dû à la présence du grand acteur Spencer Tracy... Mais revenons à l'Allemagne nazie. Murnau, lui, n'a pas attendu l'avènement de Hitler au pouvoir pour quitter l'Allemagne : il signe son dernier film pour l'UFA en 1926 avec Faust. Les oeuvres qui ne sont pas jugées conforme à l'idéologie nazie selon Goebbels sont détruites. C'est l'un des points qui précipite le départ de nombreux réalisateurs, acteurs, scénaristes et autres opérateurs... L'Allemagne nazie laisse partir ses créateurs, assainissant ainsi le pays des éléments les plus subversifs... Face à ce début de totalitarisation du monde, deux oeuvres montrent une belle insolence cinématographique : La Soupe au canard des Marx Brothers côté américain et Zéro de conduite de Jean Vigo côté français.
Groucho MarxLa soupe au canard (Duck soup) est le nouveau film des Marx Brothers. Groucho Marx incarne un dictateur prêt à assaillir la nation voisine. Le scénario est prétexte à moquerie à l'égard des pouvoirs. Les frères Marx se sont en partie inspiré, et ce, bien avant Chaplin, des discours de Hitler. Avec ce film, Chico, Harpo, Groucho et Zeppo sont à l'apogée de leur carrière burlesque. Aucun autre de leurs films n'atteindra ce zénith de 1933. Bien que les Marx soient de véritables frères, à l'écran, les bonshommes jouent des rôles très distincts les uns des autres : Groucho le grincheux, Chico le bavard à l'accent italien, Harpo le silencieux... Zeppo, le quatrième frère interrompt sa carrière au cinéma avec ce film. L'humour « marxiste » des frères marx est détonant de vigueur. Pour reprendre la formule de Yves Alion : « le marxisme des frères Marx est un matérialisme hystérique ».
Jean Vigo se voit refuser le visa d'exploitation de son film Zéro de conduite. Le caractère subversif du film, qui raconte la révolte libertaire de quatre écoliers, a été très mal accueilli. La censure n'a pas pu tolérer cette apologie de la rébellion. Dans cette optique, la scène de bataille de polochon est restée célèbre. Zéro de conduite sera interdit jusqu'en 1945. L'année suivante, en 1934, le réalisateur Jean Vigo, appelé par certains cinéphiles « le Rimbaud du grand écran », meurt des suites d'une maladie. De santé fragile, Vigo n'a pu réaliser que quatre films. Deux courts métrages : A propos de Nice (1930), Jean Taris (1931) et le célèbre moyen métrage interdit par la censure Zéro de conduite (1933). L'Atalante est sa dernière oeuvre. Les commerçants du cinéma sont peu sensibles au film, à sa présentation. La société productrice plaque alors une chanson à la mode sur la bande son du film qui est rebaptisé du nom de cette chanson : « le Chaland qui passe ». Le tournage du film a été effectué lors du très rude hiver 1933-1934, ce qui a fortement contribué à aggraver l'état de santé déjà fragile de Jean Vigo qui déclarera lui-même : « Je me suis tué avec l'Atalante ».
1934 annonce le véritable commencement de la crise du cinéma américain. Cela va profiter aux britanniques. La vie privée d'Henri VIII, film de l'hongrois Alexandre Korda, sorti en 1933, a relancé complètement l'industrie du cinéma britannique. Le film sort l'Angleterre de sa léthargie et lui donne l'occasion de percer au sein du marché américain. Le cinéma britannique va connaître jusqu'en 1937 un petit âge d'or. Pendant cette période va notamment se révéler le tout jeune Alfred Hitchcock. Les trente-neuf marches, en 1935, est le premier film au retentissement international de l'auteur, qui accède au statut de réalisateur confirmé.
Tchapaïev est l'un des films les plus forts du cinéma réaliste socialiste introduit par Jdanov, avec l'appui de Staline. Si le réalisme socialiste a toujours été considéré comme une "longue nuit" dans le cinéma russe, Tchapaïev est, lui, un chef d'oeuvre. Jdanov avait demandé à ce que l'art épouse la cause soviétique et serve « l'éducation des masses dans l'esprit du socialisme ». Ce film, dans ce cadre, est l'archétype du film propagandiste mettant en scène le héro socialiste positif, optimiste et généreux. D'ailleurs, ici, le fond, le contenu, surplombe la forme qui est ultra conventionnelle.
Il s'agit bien, pour ce qui est du réalisme socialiste, d'encourager l'adhésion de la population au nouveau régime et d'éduquer son goût. Cette nouvelle donne va sonner le glas des carrières des réalisateurs d'avant-garde comme Eisenstein, qui sont accusés de porter trop d'importance à la forme, au montage. Tchapaïev de Gueorgui et Sergueï Vassiliev connaît un énorme succès critique et public, en Russie, pendant ces années.
Clark GableNew York-Miami est la nouvelle comédie de Frank Capra, réalisée en un temps record de quatre semaines, avec des acteurs très réticents à la lecture du scénario (Clark Gable et Claudette Colbert). Pourtant, le film fait date dans la carrière de tous ceux qui y ont participé. Pour ce film « bricolé », préparé à la hâte, le succès est aussi retentissant que surprenant. Le film est auréolé de récompenses à la septième cérémonie des remises des trophées américains de 1935 : meilleur long métrage, meilleure adaptation, réalisateur, actrice (Colbert) et acteur (Gable). L'appellation "Academy Award" est remplacée par "Oscar". Autre très grand film américain récompensé aux Oscars par le prix du meilleur film, l'année suivante : Les révoltés du Bounty, réalisé par Frank Lloyd avec, encore une fois, Clark Gable. L'histoire du film est assez connue et a été plusieurs fois interprétée au cinéma. Cette version reste jusqu'à aujourd'hui la plus réussie. Frank Lloyd avait déjà eu le temps de se spécialiser dans le film d'aventure maritime, par ses anciennes oeuvres comme Aigle des mers (1924). Laughton et Gable, les deux acteurs principaux, ont véritablement ébloui public et critiques, par leur prestation dans ce film.
Côté allemand, Le Triomphe de la volonté de Leni Riefenstahl retrace les fastes du Congrès national-socialiste de 1934. Le film a été commandé par Hitler et est un hymne au régime nazi. Leni Riefenstahl est la cinéaste officielle du parti nazi (dont elle ne fait toutefois pas parti) et elle réalise là une réussite technique. Dans ce film, tous les moyens sont déployés pour nous faire palper le charisme du führer. Avec les décennies de recul dont nous bénéficions, il est facile de percevoir les dangers de la fascination pour le nazisme. Cependant, à l'époque, Italie et France ont accueilli le film à bras ouvert (prix du festival de Venise en 1936 et projection à l'Exposition Universelle de Paris de 1937). En 1938, la réalisatrice allemande finalise les Dieux du stade, une évocation de la Grèce antique et de ses jeux. Le film est un chef d'oeuvre du reportage filmé mais occulte disgracieusement la victoire à la fois méritée et spectaculaire de l'afro-américain Jesse Owens devant les coureurs allemands.
En France, La kermesse héroïque de Jacques Feyder est un des gros succès d'avant guerre. Le fait qu'il ait été tourné en deux versions : française et allemande, en offusque plus d'un. Le film nous plonge dans l'atmosphère d'une ville flamande du XVIIème siècle extrêmement bien reconstituée par le décorateur Lazare Meerson, qui va marquer le film de son savoir-faire. Cette farce, au scénario il est vrai plutôt léger a cependant été injustement méprisée.
Les temps modernesDepuis cinq ans et après son ébauche mélodramatique de Les lumières de la ville, Charles Chaplin s'est absenté des écrans. Avec Les temps modernes en 1936, l'homme réalise un retour fulgurant. Le seul survivant de l'ère muette réalise une satire du machinisme et de la mécanisation de la vie très appréciée du public. Un message que certains n'hésitèrent pas à qualifier de bolchevique. Le film représente aussi un merveilleux pied de nez au parlant, huit ans après son invention. En cette année 1936, le « bruyant » envahissait les écrans. Chaplin s'est offert le succès avec un film dont la seule scène sonore est celle où Chaplin danse et chante, avec des paroles qui ne sont en fait qu'une succession de syllabes incohérentes, sans aucun sens. La belle Paulette Goddard est resplendissante dans ce film où elle apparaît en haillon et dépourvu de tout maquillage.
En 1936, Jean Renoir fait parler de lui. Il réalise un film qui aura la réputation d'être son "oeuvre inachevée" : Partie de campagne (il quitte le tournage de ce film pour respecter ses engagements vis-à-vis du tournage du film Les Bas fonds). Partie de campagne a cependant le réputation d'être la plus belle des oeuvres de Renoir. Dans ce film perce le frémissement des images, la trame oscillant entre comique et pathétique. La même année Renoir lance Le crime de Mr Lange, en collaboration avec Jacques Prévert. Oeuvre de propagande politique influencée par le groupe progressiste « Octobre », ce film n'en reste pas moins empreint du puissant génie de ses deux créateurs : Renoir et Prévert et est porté à l'image par d'acteurs excellents tels Jules Berry. Toujours en France et en 1936, Sacha Guitry lance une comédie sur l'art de tricher : Roman d'un tricheur. Une histoire racontée en voix off par un narrateur qui n'est autre que Guitry lui-même. L'auteur a réalisé beaucoup de films et il est critiqué et accusé de ne pas passer beaucoup de temps au fignolage de ses films, à leur finition technique. Il "bâcle" presque ses réalisations qui reposent essentiellement sur la vivacité du dialogue.
La grande illusionL'année suivante, en 1937, Jean Renoir, toujours lui, fait du bruit avec sa Grande illusion, que beaucoup considèrent comme son chef d'oeuvre. Il s'agit d'un film sur la Grande Guerre réunissant de prestigieux acteurs comme Erich Von Stroheim, Jean Gabin et Pierre Fresnay. Renoir ne prend pas parti pour un camp politique ou national (France et Allemagne n'y sont pas fustigés en un stéréotype). Durement marqué par la guerre, l'ancien combattant Renoir s'illustre dans cette oeuvre par son pacifisme, sa foi en la liberté et en la fraternité des peuples. Roosevelt déclarera à propos de la Grande Illusion : « Tous les démocrates du monde doivent aller voir ce film ».
Toujours en France et en 1937, s'achève la trilogie marseillaise de Pagnol : Marius (1931), Fanny (1932) et dernièrement César (1937). Il n'existe à la base qu'une seule pièce : Marius. Mais le succès qu'en a tiré Korda a poussé Pagnol à rajouter deux volets à son oeuvre. Le succès de Marius a amené Pagnol à transformer son oeuvre en diptyque, puis en triptyque. Explosent dans la trilogie des acteurs français de légende comme Raimu et Fresnay. Côté acteur, si l'on devait ne retenir qu'une figure du cinéma français de l'époque, on citerait très certainement Jean Gabin. Avec Pépé le moko de Julien Duvivier en 1937, Jean Gabin est au firmament de sa carrière. Exotique, le film a presque entièrement été tourné en studio (on a reconstitué une Casbah). Il s'agit d'un huit clos pesant, aux personnages très typés. Jean Gabin marque le film de son génie, il est celui que l'on retient et qui empreint le film de sa personnalité. Il devient, dès cette année 1937, l'acteur français le mieux payé.
Il est temps, au moment où l'on parle des films et réalisateurs ayant marqué la fin de cette décennie, de nous arrêter sur le plus grand duo de la comédie musicale hollywoodienne : Fred Astaire et Ginger Rogers. Fred Astaire, dans les années vingt, se construit une grande réputation de metteur en scène et de chorégraphe à Broadway. La carrière cinématographique de Fred Astaire est lancée en 1933 avec deux films : Le tourbillon de la danse (Dancing Lady), avec notamment Clark Gable et Carioca (Flying down to Rio), qui est son premier film avec Ginger Rogers. La carrière du couple est lancée. En 1935, La Joyeuse Divorcée (The Gay Divorcee) confirme le succès du duo. Trio, même : il ne faut pas oublier Hermes Pan, le chorégraphe, à qui l'on doit bien des scènes d'anthologie. Les années trente voient le couple Astaire-Rogers au sommet, mais il voit aussi sa fin. Shall We Dance et Amanda en 1937 et 1938 ayant eu un succès public moindre, le duo décide de clore son équipée avec le tournage de La Grande Farandole (The Story of Vernon and Irene Castle) en 1939. Dix ans plus tard, le couple effectuera un retour légendaire pour The Barkleys of Broadway.
Les malheureuses péripéties de Josef Von Sternberg se poursuivent. Moi, Claudius, son nouveau film, bénéficie d'une production signée Alexander Korda, d'un budget considérable et d'acteurs réputés comme Laughton. Pourtant, la production est arrêtée au vu du gouffre financier que représente le film. Les rumeurs disent que Sternberg est allé jusqu'à régler l'éclairage d'une scène pendant toute une après midi. Son intransigeance et son souci de la perfection poussé au paroxysme lui fond une nouvelle fois défaut.
En 1937 sort le premier dessin animé en long métrage, parlant et en couleur. Il s'agit de Blanche Neige, conçu pendant trois années par Walt Disney et son équipe. Le film a nécessité pas moins d'un million et demi de dollars et on estime le nombre de croquis réalisés à un million ! Le perfectionnisme de Disney est récompensé par le succès, pour ce film féérique et chantant.
L'an 1938 est principalement marqué par le film Alexandre Nevski de Eisenstein. « Le plus émouvant des films fascistes » selon Bardèche et Brasillach. « C'est le film que l'Allemagne nationale socialiste aurait dû inventer si elle avait eu le génie du cinéma ». Ce film met en scène Nevski, un autre Perceval ou Roland, un grand prince blond joué par Tcherkassov. La commande de ce film donne une bonne occasion à Eisenstein pour essuyer les nombreux échecs connus depuis Le cuirassé Potemkine (Que Viva Mexico, le Pré de Béjine, Octobre...). L'histoire du film nous place au 13ème siècle mais semble actuelle, voire même prophétique, avec le recul. Le prince Alexandre Nevski coalise toute la Russie autour de sa personne pour repousser l'envahisseur teutonique. Une véritable ode au culte du chef. Cette épopée connaît son apogée stylistique et graphique lors de la longue scène de fin (environ 35 minutes) montrant le combat sur le lac gelé (une scène en fait tournée sur un plan de sable en plein été).
En France, Raimu fait à nouveau vibrer le coeur du public en jouant dans le nouveau film de Pagnol La femme du boulanger, inspiré du roman de Jean Giono Jean le bleu. Raimu incarne ici un boulanger trompé par sa jeune femme, il confère une envergure gigantesque à ce "cocu magnifique".
Jean Renoir avait promis un grand film sur la révolution française. Il l'a fait. En 1938 sort la Marseillaise. La surprise vient de deux particularités. Tout d'abord, Renoir choisit de représenter les événements d'Août 1791 et pas ceux de 1789, comme à l'habitude dans ce type de sujet. Ensuite, Renoir s'attarde sur le peuple et pas sur les « grands hommes de l'époque ». Ainsi, les véritables héros du film sont un maçon, un paysan et un peintre. En plein front populaire, Renoir soulève par ce film les notions de fraternité et d'union du peuple français contre le fascisme.
Côté hollywoodien, Bette Davis triomphe dans le film L'Insoumise, réalisé par William Wyler. Elle incarne une jeune femme de bonne famille du 19ème siècle qui se révolte contre les tabous et autres convenances. Henry Fonda fait aussi une prestation remarquée dans ce film polémique. L'insoumise est sans aucun doute le film le plus marquant de la filmographie de ses deux principaux artisans : William Wyler et Bette Davis.
1938 est l'année pendant laquelle sont lancées les deux plus fameuses répliques de l'histoire du cinéma français. Jean Gabin participe au troisième long métrage de Marcel Carné : Quai des brumes et à la nouvelle oeuvre de Jean Renoir La bête humaine, film symbolisant le renouement de l'auteur avec la fresque zolienne. Dans Quai des brumes, Gabin lance à Michèle Morgan, qui, dit-on souvent, a les plus beaux yeux du cinéma français : « T'as d'beaux yeux, tu sais ». L'autre fameuse réplique, c'est celle d'Arletty dans le film de Marcel Carné Hôtel du nord : « Atmosphère, atmosphère... Non mais ! Est-c'que j'ai une gueul' d'atmosphère ? »
Autant en emporte le vent1939, c'est avant tout l'année de Autant en emporte le vent de Victor Fleming. Le film est l'adaptation du best-seller de Margaret Mitchell et présente une histoire d'amour sur fond de guerre civile. Une colossale superproduction très attendue. Quinze scénaristes et quatre réalisateurs se sont succédés sur le tournage du film ! George Cukor, le premier réalisateur, est limogé après seulement deux semaines de tournage, après de nombreux désaccords avec la vedette Clark Gable. Lui succède Victor Fleming, qui, épuisé, passe le relais à Sam Wood. Pour ce film "arc-en-ciel" c'est, en tout, 88 heures de pellicules qui sont impressionnées pour un montage final d'environ 3h30. Pour le rôle de la vedette masculine (Rhett Butler) le nom de Clark Gable s'impose tout naturellement. Par contre, la Scarlett idéale est plus difficile à trouver, le producteur Selznick n'arrivant pas à se décider. Paulette Goddard est pressentie par le public mais le regard de Selznick tombe finalement sur Vivien Leigh. Au final, le film est un des plus grand succès et moment de l'histoire du cinéma. Le coup qu'il a porté résonne encore jusqu'à aujourd'hui, avec force, dans le monde entier. Mais Autant en emporte le vent est aussi un film impersonnel, industriel, produit avec faste plutôt qu'avec force créatrice.
John Ford réalise en 1939 trois films : La chevauchée fantastique, Sur la piste des Mohawks et Vers sa destinée. Ford définit sa vision du western au travers de la chevauchée fantastique, avec l'exposition d'une nature vierge, sauvage, encore inviolée par l'homme. John Ford est un grand "réformateur" du cinéma western. La chevauchée fantastique s'articule autour d'une diligence et de ses passagers : une fille de saloon, un médecin alcoolique, un tricheur professionnel, et un hors la loi sentimental incarné par John Wayne. Tous les stéréotypes se rencontrent dans ce film clôturé par la désormais très atypique "attaque des Indiens".
Pour réaliser la Règle du jeu, Renoir jouit d'une totale liberté de création. Alors que le monde entier est patriote, Renoir, influencé par Musset, dresse un portrait peu flatteur de la société française, une satyre sociale ne mâchant pas ses mots. Dès les premières projections, le nouveau film de Renoir est rejeté violemment par le public. A sa présentation parisienne, il est violemment hué et sifflé. Deux semaines après sa sortie, il est retiré de l'affiche. Le rejet du public est unanime, celui de la critique l'est moins. Renoir, à la suite de cet échec (il s'était énormément investi dans ce film au budget de 2,5 millions de francs) s'exile en Italie.
Toujours en 1939 sort l'unique film de l'écrivain André Malraux, ayant pour sujet la guerre d'Espagne. Malraux compose une sorte de poème lyrique sur le courage, l'homme face à la lutte et à la mort. C'est le gouvernement républicain qui donne à Malraux carte blanche pour réaliser un film sur la guerre civile. Il est handicapé par les difficultés de tourner dans un pays en guerre et par les limitations financières.
Malgré la destruction des négatifs sous l'occupation par les nazis, une copie survivra à la guerre et Sierra De Teruel pourra ainsi sortir en 1945 sous le nouveau titre Espoir et avec une introduction grandiloquente signée Schumann.
L'investigation de la Pologne par Hitler et l'entrée en guerre de la France provoque l'annulation de la première du festival de Cannes, annoncé pour septembre 1939. La cérémonie des Oscars, elle, a bien lieu et récompense le film de Capra Vous ne l'emporterez pas avec vous, l'acteur Spencer Tracy et l'actrice Bette Davis.