Dossier cinéma - L'ère pionnière (1895-1914)

/ Dossier - écrit par iscarioth, le 08/10/2005

Le cinéma est aujourd'hui un art reconnu par toutes les franges de la population. Un art qui a fêté, dans la deuxième moitié des années quatre-vingt-dix, ses cent années d'existence. Un art à propos duquel on aime parler, disserter, théoriser. Mais aussi, et on l'oublie souvent, un art qui a une histoire, une origine et qui a tardé à s'encrer dans les moeurs comme un genre noble. Par ce modeste dossier, nous tenterons de nous remémorer les origines techniques et spirituelles du cinéma, une merveille apparue au croisement de deux siècles...

Le mot « Cinéma » vient du grec kinêma qui veut dire « mouvement ». Les frères Lumière sont réputés comme étant les pères du Cinéma. Avec leur appareil, ils concrétisent en fait, en les compilant, les multiples découvertes et inventions déjà réalisées à propos de l'analyse et de l'illusion du mouvement. Le Cinématographe, aboutissement technique qui a permis le cinéma, n'est pas un avènement ponctuel. Son élaboration est à rattacher à de multiples étapes.

Le Cinéma ne s'est pas fait en un jour

Depuis que l'homme s'est appliqué à peindre son environnement, il se pose des questions sur les mouvements. En matière de décomposition du mouvement, première pierre à l'édifice cinéma, le célèbre inventeur et artiste Léonard de Vinci (1452-1519) est un précurseur. Il essaye en son temps de décomposer le galop du cheval en superposant les dessins de chevaux munis de plusieurs membres en mouvement. Une entreprise qui échoue. Les hommes, jusqu'au 19ème siècle, continuent de chercher à découvrir le mystère de la décomposition du mouvement.

En 1826, le Docteur Paris crée la première animation qu'il nomme le « Traumatrope ». Il s'agit d'un jouet qui produit, en tournant, une illusion optique. Les figures dessinées sur chaque face se succèdent si rapidement qu'on les perçoit en même temps. L'illusion générée par le Traumatrope est due à un phénomène appelé « persistance rétinienne ». Une particularité de l'oeil humain. Les images que nous percevons s'attardent sur notre rétine. Les yeux de certains insectes, comme les mouches, n'ont pas cette faculté. Devant une projection cinématographique, les mouches n'aperçoivent qu'une succession d'images fixes représentant des attitudes différentes alors que nous voyons le mouvement.


Au moment où Niepce (1765-1833) et Daguerre (1787-1851) travaillent sur la photographie (Niepce obtient la première photographie en 1816 et Daguerre invente le premier procédé de photographie fiable, « la Daguerréotypie », en 1837), de nombreux chercheurs travaillent sur cette illusion d'optique. Un physicien anglais, Faraday (1791-1867), publie en 1831 cette découverte qui peut paraître anodine : « On obtient une bien curieuse illusion lorsque l'on fait tourner une roue dentée devant un miroir si, en se plaçant à quelque distance de celui-ci, on la regarde tourner, en se penchant, à travers ses dents : elle semble parfaitement immobile ». L'année suivante, en 1832, Joseph Antoine Ferdinand Plateau (1801-1883), qui a soutenu en 1929 une thèse sur la persistance rétinienne, met au point le « phénakistiscope », une invention qui concrétise les constatations de l'anglais Faraday. Le phénakistiscope était constitué d'un disque de carton percé sur son pourtour de fines fentes radiales équidistantes et comportant une couronne de dessins représentant les phases successives d'un mouvement cyclique. Faisant tourner rapidement le disque, les dessins sont observés par réflexion dans un miroir en plaçant l'oeil au niveau des fentes. Leur vision successive crée l'illusion du mouvement. L'appareil est commercialisé sous le nom de « Fantascope » et connaît un gros succès.

Le zootrope de William George Horner Puis vient le « zootrope », prolongement de l'invention de Plateau. C'est William George Horner (1786-1837), en 1834, qui améliore l'idée du phénakistiscope. Il remplace le disque par un tambour de bois ou de métal ouvert sur le haut et percé d'encoches rectangulaires, espacées régulièrement. Les images sont placées sur une bande circulaire à l'intérieur du tambour. Ce nouveau dispositif permet ainsi d'avoir plus de cinquante images alors que le disque ne pouvait pas contenir plus de vingt-quatre figures. Mais le zootrope présente le même défaut que le phénakistiscope. Il ne présente que la vision toujours répétée des mêmes mouvements (jongleries, danse, galop, etc.).

Emile Reynaud, inventeur du « praxinoscope », est lui aussi parti du "joujou scientifique" élaboré par Plateau pour arriver à son invention. Reynaud remplace les fentes du disque par des glaces afin d'augmenter la luminosité. Son appareil à projeter des dessins animés : le praxinoscope, breveté en 1877, est une nouvelle étape importante. Il remporte un vif succès commercial car Reynaud y avait dessiné de très belles bandes zootropiques à projeter. Grâce à Reynaud, la naissance du dessin animé précède de peu celle du cinéma. Mais le principal reste à faire : trouver un moyen de reconstituer un mouvement par l'emploi de pellicules photographiques.

Les travaux de Muybridge sur la décomposition du mouvement En 1878, le photographe anglais Eadweard J. Muybridge (1830-1904) réalise le vieux rêve de Léonard de Vinci : décomposer la marche du cheval. Grâce à douze caméras qu'il déclenche l'une après l'autre, au moyen d'un astucieux système de fils tendus sur le passage d'un attelage, Muybridge réalise la décomposition du mouvement. Ces photos sont utilisées dans les zootropes. Le 25 janvier 1879, le cheval en mouvement est montré aux parisiens stupéfaits. Mais un problème persiste : le zootrope ne peut projeter qu'une trentaine d'images et, de fait, l'expérience ne dure que deux ou trois secondes avant de se répéter invariablement.

Le célèbre physiologiste français Marey (1830-1904) étudie le mouvement des animaux, ce qui l'amène à s'intéresser à la photographie. Pour saisir le vol des oiseaux, il met au point en 1882 un fusil photographique avec lequel il obtient douze images sur une plaque circulaire. Il perfectionne son système en construisant un Chronophotographe à pellicule en 1888. C'est la première caméra. Mais le film, en l'absence de perforations, possède une image trop instable. C'est à Edison que l'on doit l'invention du film cinématographique avec perforation.

En 1888, au cours d'une tournée où il expose à l'aide de son « Zoopraxiscope », ses expériences sur la locomotion animale et humaine, Edweard Muybridge (1830-1904) s'arrête à Orange, dans le New Jersey. Il y rencontre un jeune homme connu pour ses inventions et ayant déjà déposé une centaine de brevets : Edison. C'est peu après cette entrevue que le jeune Edison se met en tête de construire une sorte de phonographe optique. Il baptise son futur appareil « le kinétoscope ». Pour fixer les vues photographiques, Edison songe à utiliser des cylindres. Mais un problème se pose à lui : le cylindre est convexe, comment lui faire supporter des photographies sans les déformer ? L'inventeur se heurte aussi au problème de la projection de ses images. En automne 1889, face à ces problèmes à priori insolubles, Edison se rend à Paris, pour l'Exposition Universelle. Il y rencontre le français Marey qui lui parle des pellicules mobiles. Cette rencontre est un déclic. Edison rentre en Amérique, renonce au cylindre qu'il remplace par une pellicule perforée de chaque coté, permettant un avancement régulier au moyen d'une roue dentée. Dans ses laboratoires de West Orange, Edison invente le film et met au point son Kinétoscope.


Depuis 1889, il est possible de se procurer sur le marché américain un nouveau support photographique souple et transparent, composé de nitrate de cellulose et mis au point par George W. Eastman. Edison commande ces bobines qui mettent du temps à arriver et retardent les recherches. Edison finit par recevoir ces rubans d'une largeur de 35mm : le "film" est né. Le 20 Mai 1891 le résultat tant attendu est présenté au public. Le Kinétoscope ne permet pas une projetions publique du film. C'est une petite boîte posée sur le sol au sommet de laquelle une ouverture délivre une image : un homme saluant courtoisement puis recommençant ce geste à l'infini. Ce n'est qu'un zootrope amélioré. Le succès est foudroyant. Il se vend des milliers de Kinétoscope signés Edison, « le sorcier de West Orange ».


Pour alimenter le Kinétoscope, il faut faire des films. En 1893, à West Orange, le premier studio du monde voit le jour, il s'appelle la Black Maria. Dickson y tourne les premiers films, dont quelques uns en plein air. Des compagnies théâtrales et des artistes du cirque viennent même parfois s'y représenter.

Pour faire bref, voici une chronologie récapitulative des plus grandes étapes qui ont mené au Cinématographe.

1816 : Josef-Nicéphore Nièpce obtient la première photographie (négative).
1829 : Joseph Antoine Ferdinand Plateau (de Liège) soutient une thèse sur la "persistance rétinienne". En 1832, il mettra au point le Phenakistiscope, permettant la synthèse d'un mouvement suggéré par 10 à 24 dessins.
1837 : Daguerre invente le premier procédé de photographie fiable : la Daguerréotypie.
1850 : Frederick Scott Archer met au point la sensibilisation au Collodion humide.
1874 : Pierre-Jules-César Janssen enregistre les phases de Venus grâce à son Revolver photographique.
1877 : Emile Reynaud met au point le Praxinoscope, qui permet l'animations d'une succession de dessins.
1878 : Le photographe Eadweard Muybridge (USA) parvient à décomposer le galop du cheval en vues fixes successives.
1882 : Le physiologiste Etienne-Jules Marey met au point son Fusil photographique.
1885 : L'industrie George Eastman (USA) lance sur le marché de la photographie le rouleau de papier sensible.

1887
: Hannibale Goodwin (USA) met au point le nitrate de cellulose, qui sera le support des premiers films cinématographiques.
1888 : Marey présente le chronophotographe sur bande mobile. C'est la première caméra. Mais, le film, en l'absence de perforations, donne une image trop instable.
1889 : Thomas Alva Edison (USA) invente le film cinématographique (avec perforations).
1891 : Edison présente le Kinestoscope, qui ne permet pas une projection publique du film.
1892 : Reynaud présente son Théâtre optique. Premières Pantomimes lumineuses, projections de dessins animés, au musée Grévin.
1894 : premiers films tournés, à la demande d'Edison, dans le premier studio cinématographique : la Black Maria.
1895 : Les frères lumière mettent au point le Cinématographe, qui permet une projection publique du film. Première publique : 28 décembre 1895 à Paris.

Les frères Lumière et le Cinématographe

Si l'invention du cinéma pour les américains est redevable à Edison, en France, ce sont les frères Lumière qui sont à honorer.
A Paris, les frères Lumière, fabricants de produits photographiques, s'intéressent à ce nouveau marché. Mais le Kinétoscope est un brevet américain, il leur faut donc autre chose. Les frères Lumière veulent créer un appareil qui serait à la fois caméra, projecteur et tireuse pour les ateliers que dirige Carpentier. Le problème à résoudre était d'ordre mécanique : il fallait faire défiler le film de façon saccadée, de telle sorte que les images restent fixes l'une après l'autre, et à un rythme assez rapide pour que l'oeil du spectateur, grâce à la persistance rétinienne, reconstitue le mouvement. Les frères Lumière, ayant choisi un rythme de seize images par seconde, devaient construire un mécanisme capable d'amener les images devant l'objectif, laissant chacune immobile durant 1/32ème de seconde et la remplaçant par la suivante en un temps égal, mécanisme synchronisé avec un obturateur permettant le passage de la lumière lorsque l'image fixe et l'interrompant pendant la phase de défilement du film. Ce fut Louis qui trouva la solution, en imaginant un dispositif qu'il nomma porte-griffes : deux griffes métalliques, animées d'un mouvement de va-et-vient analogue à celui d'une aiguille de machine à coudre, s'engageait dans les perforations dont étaient pourvus les cotés du film ; elles entraînaient la pellicule sur la longueur équivalent à une image, se rétractaient en fin de course, et la lissaient immobile pendant leur remontée, chacune des deux phases durant 1/32ème de seconde. Le Cinématographe conçu par les frères Lumière était beaucoup plus qu'un simple projecteur de films : chargé d'une pellicule photosensible, il pouvait enregistrer les images, devenant alors une caméra. C'est ainsi que Louis réalisa, à la fin de l'année 1894, le premier film cinématographique, choisissant pour sujet la sortie des ouvriers de son usine. Le 13 février 1895, l'invention est jugée au point et un brevet est déposé.


Après quelques projections privées, en particulier devant la Société d'encouragement à l'industrie nationale puis devant les professeurs de la Sorbonne, les frères Lumière organisent, le 28 décembre 1895, la première séance publique de Cinématographe ; cette séance historique a lieu dans le sous-sol du Grand Café, à Paris. Pour cette première projection, l'appareil des Lumière ne récolte qu'un maigre succès : une trentaine de personnes présentes seulement. La presse ne se déplace pas. Mais, le bouche-à-oreille aidant, sans aucune campagne publicitaire, en quelques jours, le public afflue. Cette fois ci, on ne voit plus que une ou deux personnes réalisant constamment les mêmes gestes, mais la vie telle qu'elle s'offre à nous dans la réalité. « A ce spectacle nous restâmes tous bouche bée, frappés de stupeur, surpris au-delà de toute expression » témoigne Méliès, le prestidigitateur, présent ce fameux soir de décembre. « Ceux qui se décidaient à entrer, sortaient un peu ahuris ; on les voyait bientôt revenir, amenant avec eux toutes les personnes de connaissance qu'ils avaient pu rencontrer sur le boulevard » raconte Clément-Maurice. Le Cinématographe est vu comme un appareil capable de capturer la vie. Il surprend en filmant des épisodes de la vie courante : Arrivée d'un train à La Ciotat, La Sortie d'Usine... « Lorsque ces appareils seront livrés au public, lorsque tous pourront photographier les êtres qui leur sont chers, non plus dans leur forme immobile, mais dans leur mouvement, dans leur action, dans leurs gestes familiers, avec la parole au bout des lèvres, la mort cessera d'être absolue » écrit un journaliste d'alors.

Le Cinématographe fait bientôt le tour des capitales européennes. A Londres, après la première projection publique le 20 Février 1896, au Royal Polytechnic Institute, le Cinématographe s'installe à l'Empire Theatre où il fait salle comble. Auguste et Louis Lumière, très sollicités, ne mettent pas en vente leur appareil mais se chargent de le présenter un peu partout dans le monde en envoyant des opérateurs chargés d'une double mission : organiser des séances de projection et filmer de nouvelles séquences pour alimenter le répertoire du Cinématographe. Le 29 Juin 1896, la première projection américaine du Cinématographe a lieu dans le music-hall de New York. Le public d'outre-atlantique acclame le petit bijou français. L'épopée française aux Etats-Unis ne durera qu'un an. Le Nouveau Monde, en plein isolationnisme, s'emploie a chasser de ses frontières l'appareil venu de l'hexagone.

Les frères Lumière n'ont jamais accordé de soin à la gestion de leur découverte et à son exploitation. Rapidement, début des années 1900, ils retournent à leur laboratoire. Auguste Lumière avait déclaré : « Le cinéma n'a pas d'avenir commercial ».

Pionniers du genre

Une fois calmé l'engouement du public pour le Cinématographe en tant que « jouet scientifique », il a fallut trouver des films plus divertissants que les simples scènes de famille ou images de la vie courante tournées par les frères Lumière. Dans un premier temps, les efforts se concentrent sur le film d'actualité. On envoie des opérateurs aux quatre coins du monde pour filmer des images misant sur le dépaysement. Mais il en faut davantage pour passionner le public.

Méliès
Méliès
Georges Méliès (1861-1938) est le premier à saisir les possibilités de la caméra. Il l'utilise comme un instrument apte à distiller le rêve. Méliès est aujourd'hui reconnu comme celui qui a tout inventé : scénario, trucage, burlesque, fantastique... Prestidigitateur, illusionniste, Méliès oriente le cinéma vers une voie "théâtrale spectaculaire", ayant bien cerné que l'incroyable réalité découverte par les frères Lumière ne suffisait plus pour émouvoir. Il faut aller plus loin que la basique prise des scènes de vie de la Belle Epoque. Il s'agit, comme l'a dit Apollinaire, « d'enchanter la vulgaire réalité ». « Je salue en vous le créateur de spectacle cinématographique » dira plus tard Louis Lumière à Georges Méliès, lors d'un banquet. Repreneur du théâtre Robert-Houdin, Méliès est un jeune et dynamique prestidigitateur. Il crée sur scène des sketchs alliant féerie, fantastique, bouffonneries et illusions. Méliès est très tôt intéressé par le cinéma naissant. Il est le premier à découvrir les propriétés insoupçonnées de la caméra, donnant lieu aux trucages. L'anecdote raconte que Méliès filmait une scène place de l'Opéra de Paris et dû, faute de comédiens, arrêter la prise de vue pour la reprendre ensuite. A la projection du rush, Méliès a eu la surprise de voir une ambulance passant dans le champs se transformer en corbillard ! Avec cet incident, il découvre le premier procédé de trucage. En 1896, pour son film Escamotage d'une dame chez Robert-Houdin, il filme une dame assise sur une chaise, arrête la caméra et remplace la femme par un squelette avant de recommencer à filmer. Le premier trucage au cinéma. En 1897, Méliès construit un studio, dans la région parisienne. C'est là que sont réalisés les plus connus de ses films : Le Voyage sur la Lune, Cendrillon, L'homme-orchestre, etc. Méliès, le « mage de Montreuil », est un créateur qui touche à tous les genres, à toutes les histoires, qui conçoit lui-même ses décors et interprète souvent lui-même ses films. Outre la substitution par arrêt, Méliès utilise d'autres trucages comme la surimpression, bien connue des photographes et d'autres techniques plus théâtrales comme la trappe, les mannequins, la pyrotechnie, le trompe l'oeil et autres décors articulés...


Début des années 1900, Méliès est au faite de sa gloire. Il est mondialement connu. C'est pendant ces années qu'il réalise son film le plus retenu : Le Voyage dans la Lune, souvent reconnu comme le premier film fantastique de l'histoire du Cinéma. Le voyage dans la Lune rencontre un triomphe sans précédent. Féerie, loufoqueries, action et aventure sont au rendez-vous. Un film stupéfiant par ses trucages et inspiré par les oeuvres de Jules Verne. Le copyright n'existant pas encore, le film est pastiché à maintes reprises, aux Etats-Unis, notamment. Le voyage dans la Lune nous montre une expédition interplanétaire à l'aide d'un canon qui permet aux voyageurs d'être propulsés dans « l'oeil » de la lune. Le film a nécessité la réalisation de trente tableaux et dure treize minutes. Malgré le piratage, il fait connaître Méliès dans le monde entier. Entre 1896 et 1913, le prestidigitateur réalise plus de 500 titres.

Méliès n'est pas le seul prestidigitateur pionnier du cinéma, même s'il est vu comme l'un des plus brillants. De nombreux et fameux théâtres du monde entier, fin 19ème, comme le Egyptian Hall de Londres, titrent leurs affiches "vues animées". Félicien Trewey, le célèbre ombromane anglais, Carl Hertz, l'illusionniste américain, Leopoldo Fregoli, le prestidigitateur italien... Partout dans le monde, le cinéma est d'abord une affaire de magiciens.


Le premier scandale cinématographique éclate en 1896 avec le Baiser de May Irvin et de John C. Rice par William Heise. On y voyait les deux protagonistes s'embrasser, sur grand écran.

L'an 1897 va marquer. La catastrophe du Bazar de la Charité, le 4 Mai à Paris, émeut la France entière et déclenche une grave crise pour le spectacle cinématographique. On a rendu responsable à tord, l'inflammation du celluloïd. L'événement survient à point nommé pour renforcer la mauvaise réputation de cet art naissant, dédaigné notamment par les scientifiques, plus ouverts aux progrès de la radiographie.

Charles Pathé (1863-1957) et Louis Gaumont (1864-1946) vont bâtir leur empire sur le nouvel art. D'origine populaire, Charles Pathé connaît l'ascension en commercialisant le phonographe d'Edison. Il créé la société « Pathé frères » en 1896, floquée du célèbre coq. « Je n'ai pas inventé le cinéma, je l'ai industrialisé » dira-t-il. Aidé par Ferdinand Zecca (1864-1947), Pathé voit sa puissance grandir et évoluer. Face à l'industrie Pathé, symbolique de l'ascension, il y a Louis Gaumont qui fait figure de grand bourgeois et qui investit à un rythme aussi important que son concurrent dans le 7ème art naissant.


1901 marque l'ascension de Ferdinand Zecca. Charles Pathé l'a remarqué lors de l'Exposition Universelle. Zecca devient le bras droit de Pathé, et, sous sa direction, les recettes vont considérablement augmenter. Il n'hésite pas à pasticher ses voisins comme Méliès. Avec l'histoire d'un crime, Zecca crée le premier flash-back de l'histoire du cinéma. Le film nous présente les souvenirs d'un condamné à mort. Après le succès de ce film, Zecca tourne en 1902 Les victimes de l'alcoolisme. Sa production est prolifique dans tous les genres, comme le veut son mentor Pathé qui est soucieux d'atteindre tous les publics et tous les pays en filmant tous les sujets. L'objectif sera atteint puisque le coq, emblème de la première marque française de films, domine le cinéma mondial. Moins artistique que Méliès, mais plus commercial, la spécialité du corse Zecca est le « réaliste », dans l'esprit de Zola. Il a l'inspiration populiste et naturaliste. Outre Zecca, l'équipe de metteurs en scène de la maison Pathé est constituée de, entre autres, Lucien Nonguet, Georges Hatot, Lépine et Gaston Velle. Une équipe si nombreuse et si prolifique qu'il est souvent difficile d'affirmer catégoriquement la paternité exacte d'un film venu des studios Pathé.


Léon Gaumont s'investit d'abord dans la production de son projecteur, silencieux et bon marché : le « Chronophotographe ». Mais les acheteurs réclament des films. Léon Gaumont, que la technique attire plus que la création, confie la réalisation des films à sa secrétaire Alice Guy (1873-1968). De 1897 à 1906, « Mademoiselle Alice » produit plus de deux cents bandes. Parmi ces films, les plus connus sont Fée au choix (1900) et La Vie du Christ (1906). La première réalisatrice au monde est bientôt épaulée par de nouveaux réalisateurs : Etienne Arnaud et Louis Feuillade.

Chez Pathé s'affirme Max Linder, « le dandy » sûr de lui et conquérant. Après ses films très « tarte à la crème », il s'investi dans une comédie plus liée aux moeurs : la femme trompée, les rapports beau-fils / belle-mère... La popularité de l'homme va crescendo. Il est l'une des premières grandes vedettes internationales. Max et sa belle mère est un vif succès de l'année 1911. Un autre comédien de Pathé lui vole parfois la vedette : Rigadin, lui aussi misant sur la comédie de moeurs. Max Linder réussit une chose difficile, qui est d'être à la fois élégant, beau et burlesque.

Jusque fin des années 1900, le cinéma reste "un art forain". C'est en 1908, date à laquelle parait le film L'assassinat du duc de Guise, que les choses changent, Cette pièce cinématographique ouvre la voie et l'on passe du "vulgaire divertissement forain" à "l'art noble". C'est le baptême, la légitimation culturelle du cinéma. Jusqu'alors, le Cinématographe n'a pas bonne réputation auprès des classes aisées, bondées de mépris. L'assassinat du duc de Guise jouit, pour plaire à la haute classe, d'un scénariste membre de l'académie française et d'un musicien de renom (Saint-Saëns). Le cinéma prend dès lors ses lettres de noblesse.

Hors de la France, le cinéma connaît également un grand succès, et chaque pays voit se développer un aspect particulier de la production cinématographique. Les italiens s'intéressent surtout aux sujets historiques, et aboutissent à l'élaboration de longs métrages tels que Quo Vadis d'Enrico Guazzoni (1913) et surtout Cabiria de Pastrone. Cabiria de Pastrone est une vision historique du IIIème siècle avant Jésus-Christ, dans l'Italie de la seconde guerre punique. Ce film monumental historique s'inscrit aussi dans le registre du film d'art. Tous les moyens techniques ont été déployés : éclairage sophistiqué, effets spéciaux, caméras montés sur chariot... Le décor prend une nouvelle dimension. Il n'est plus une toile de fond mais un espace habité. Cet affranchissement du style théâtral s'exprime aussi par la variation des plans. Le film de Pastrone préfigure aux fabuleuses superproductions américaines. Mais Cabiria est un film pseudo-historique. Si les moyens sont là, le film n'en demeure pas moins boursouflé d'anachronismes. Un autre aspect du cinéma italien sera exploité par les producteurs américains : celui de la popularité des acteurs, phénomène observé depuis l'apparition à l'écran de Lyda Borelli et de Francesca Bertini dans les rôles de femmes fatales. En Allemagne se dessine un courant plus intellectuel, avec L'Etudiant de Prague de Stellan Rye et Paul Wegener (1912) ; le cinéma allemand ne connaîtra son apogée qu'après la première guerre mondiale. D'autres pays comme le Japon, la Grande-Bretagne et la Suède connaissent un certain essor dans le domaine cinématographique, mais ne présentent pas de particularités remarquables. Il en va tout autrement aux Etats-Unis.

The Great Train Robbery
The Great Train Robbery
Au prix d'une lutte sans relâche ni merci, l'Edison Manufacturing Company reste la première firme américaine jusqu'en 1909. Edison poursuit systématiquement devant les tribunaux tous les fabricants, exploitants et producteurs de cinéma pour contrefaçons ou utilisation illicite de ses brevets. Beaucoup de petites entreprises tombent, les procès se multiplient. On appelle cette période la "guerre des brevets". Celle-ci ne cessera qu'en 1908 avec la création de la Motion Picture Patents Company, trust des sociétés américaines contrôlant même les importations étrangères. La Compagnie Edison est marquée par la présence dans ses rangs de Edwin S. Porter, directeur de la production. En 1903, Porter, ingénieur de formation, réalise deux films à l'impact déterminant dans l'évolution du langage cinématographique, des pièces maîtresses de l'histoire du cinéma : The life of an American Fireman (La vie d'un pompier américain) et The Great Train Robbery (L'Attaque du train rapide). Avec L'attaque du train rapide, Porter ouvre la voie au cinéma en plein air et plus particulièrement à un genre : le western.

Fin 1913, Charles Chaplin fait ses débuts à Hollywood, pour les studios Keystone. Il tourne son premier film : Pour gagner sa vie avec le metteur en scène Lehman qui n'apprécie guère sa façon d'imposer ses suggestions. Les premiers films de Chaplin pour Keystone sont très bien accueillis par le public anglais. Déjà, son personnage est tracé : pantalons trop larges, petite moustache et grandes chaussures. Son style ne tarde pas à être copié.