Zéro de conduite - Dossier Jean Vigo (1905-1934)
Cinéma / Dossier - écrit par iscarioth, le 13/08/2005Dossier sur la vie et l'oeuvre de Jean Vigo, le cinéaste qui donna son nom à un prix
Avant d'être un prix, Jean Vigo était un homme. Un homme qui, au cours de sa brève existence, s'est révélé comme l'un des metteurs en scène français les plus
doués. Une légende est venue grossir et mythifier la vie de cet artiste mort jeune. Comme beaucoup après lui, il est vu comme l'un de ces "cinéastes maudits". La vérité des faits est sur bien des points différente de celle du mythe. Retour sur la vie de la toute première légende du cinéma français.
L'enfance
Miguel Almereyda, père de Jean Vigo, était un militant anarchiste de renom. Provocation au meurtre, insultes à l'armée, tentatives de sabotage... Le palmarès révolutionnaire de l'homme est impressionnant... Miguel Almereyda était un journaliste, fondateur du Bonnet Rouge. Une affaire d'espionnage dans laquelle un des administrateurs du journal en question fut mêlé servit de prétexte à Clémenceau pour couler Almereyda. La police trouva dans le coffre-fort du journal des documents militaires confidentiels. Almereyda fut arrêté le 7 août 1917 et mourut quelques jours plus tard en prison, très mystérieusement...
Lorsque son père meurt, Jean Vigo a douze ans. Il est indéniable que ce drame, ajouté à la campagne de presse virulente dont son père fut la victime pendant son arrestation a causé un fort choc émotionnel au jeune garçon. Francis Jourdain a parlé de la naissance de Jean Vigo comme d'un « miracle du genre comique ». Les antécédents de santé de la famille sont lourds. Le grand-père est mort tuberculeux à vingt ans, le père est décédé, comme on l'a vu, pas beaucoup plus âgé, après avoir traîné toute sorte de maladies au sortir des prisons. De plus, la famille était sous-alimentée : Emily Cléro, la mère de Jean, a pu tenir sa grossesse secrète jusqu'à ce fameux soir d'Avril 1905. C'est dire la très grande maigreur de l'enfant. En plus de cela, l'enfance du jeune Vigo ne se déroule pas d'une manière propice à son épanouissement moral. Le couple traîne souvent le gosse aux meetings et autres événements militants. « Tout en continuant à analyser la situation politique ou à réfuter les arguments d'un contradicteur, Miguel,à la tribune, sortait le biberon de sa poche, le tendait à un camarade qui le faisait parvenir à l'intéressé » raconte Francis Jourdain. On parle de l'enfant comme d'un jeune garçon éveillé, imaginatif et affectueux dont les parents ne s'occupent que négligemment, souvent trop occupés par leurs vies politiques respectives. « Et puis ce fut la pension, la mise en cage, une mise en cage dont, pas plus que la sottise et la tristesse, le ridicule et le comique n'allaient échapper au gosse d'anarchistes ». En effet, en 1917, à l'annonce de la mort du père, la mère accepte que Gabriel Aubès prenne la garde du jeune adolescent. La famille Aubès place Jean dans un pensionnat de Nîmes où son identité véritable est gardée secrète pour éviter les complications. Malgré une santé fragile, Jean Vigo s'installe dans sa nouvelle vie sans toutefois oublier, dans l'intimité, le souvenir de son père. En 1918, pour son entrée au collège, il est transféré à Millau, où il fera la désagréable expérience, pendant quatre ans, du pensionnat qui lui inspirera Zéro de conduite. Se sentant abandonné par une mère qui, à ses yeux, n'a pas tardé à remplacer son père adulé, le jeune Vigo ne met pas beaucoup de temps à rompre définitivement les liens maternels. Il cesse totalement de voir sa mère dans les années 1920. A vingt ans, Vigo se consacre plus que jamais à honorer la mémoire de son père, en lisant tout ce qui a été publié sur lui et sur sa mort. Simultanément, il retrouve l'influence des milieux anarchistes et antimilitaristes, voire même communistes. Il commence à suivre des cours de philosophie à la Sorbonne mais est rapidement stoppé par son état de santé médiocre. Pour ses poumons, il est placé trois mois au sanatorium de Font-Romeu. Une fois rentré à Paris, il a en tête l'idée d'entamer une carrière cinématographique.
Les débuts
Sa santé le pousse à rejoindre Font-Romeu en hâte pour dix huit mois supplémentaires. Un séjour au cours duquel il rencontre Claude Aveline et Pierre de Saint Prix, deux jeunes romanciers qui vont devenir des amis chers. Il rencontre aussi là bas sa future femme, "Lydou", de son vrai nom Elisabeth Lozinska. Depuis 1920, son choix en ce qui concerne une possible carrière dans le cinéma s'est durci. Francis Jourdain prend contact avec la mère de Claude Autant-Lara, alors tout jeune réalisateur, lequel le renvoie à un de ses amis, l'opérateur L-H Burel qui le lance dans le métier. C'est en qualité de quatrième assistant-opérateur que Jean Vigo prend pour la première fois contact avec le métier du cinéma. Frappé par les dons du jeune homme, Burel l'aide de son mieux. Marié et installé avec sa Lydou à Nice, Vigo travaille en tant qu'assistant de Burel pour le tournage d'un film intitulé Vénus mais, une fois le tournage terminé, se retrouve sans travail. Conforté par une petite somme d'argent, offerte par son beau-père industriel, qui lui permet de voir l'avenir sans trop d'angoisses, Vigo se met à penser à un film personnel.
A propos de Nice
Le premier film de Jean Vigo sera donc un documentaire concernant sa ville d'adoption, Nice. « Tandis qu'il aimait le cadre de son bonheur avec Lydou, il haïssait ce lieu de rendez-vous de riches » écrit pertinemment Salès Gomès. Le projet s'annonce bien plus folklorique et "carte postale" que proprement cinématographique. Après bien des remaniements, dont les notes laissées par Vigo témoignent, le projet s'annonce comme étant très confus. De plus, Vigo est persuadé qu'une réelle carrière cinématographique ne peut s'ouvrir à lui qu'à Paris. Le jeune homme fait à cette époque la connaissance de Boris Kaufman. Ce jeune opérateur d'origine russe va travailler avec Vigo, qui l'a emmené à Nice, sur le scénario de ce premier film. Ils conçoivent ensemble un schéma que le film ne suit pas à la trace mais qui est très significatif de l'esprit dans lequel Vigo a conçu son oeuvre :
- Nice est surtout une ville qui vit du jeu
- Tout y est fait en fonction de l'étranger, du touriste
- Les indigènes, au fond, ne sont pas plus intéressants que les étrangers.
- Le tout est voué à la mort.
Un schéma duquel s'émane un désespoir caractéristique de ses oeuvres postérieures. Kaufman et Vigo filment pendant trois mois la ville de Nice sous toutes les coutures mais leurs tentatives pour infiltrer et filmer clandestinement les salles de jeu échouent. Le tournage dure jusqu'en mars 1930 et le montage est achevé en mai de la même année. La première présentation du film a lieu le 28 mai 1930. Du succès de la production dépend son avenir commercial et critique. Pour l'occasion, les critiques sont bonnes même si pas excellentes car quelque peu déroutées par certaines recherches formelles. Le 14 Juin 1930, une autre projection est organisée. Il est cette fois ci demandé à Vigo de venir présenter son oeuvre. Comme il se sent mauvais orateur, il prépare un texte, intitulé « Vers un cinéma social » dont voici de courts extraits :
« Il ne s'agit pas aujourd'hui, de révéler le cinéma social, pas plus que de l'étouffer en une formule, mais de s'efforcer d'éveiller en vous le besoin latent de voir plus souvent de bons films traitant de la société et de ses rapports avec les individus et les choses [...] Se diriger vers le cinéma social, ce serait consentir simplement à dire quelque chose et à éveiller d'autres échos que les rots de ces messieurs dames qui viennent au cinéma pour digérer [...] Dans ce film (A propos de Nice), par le truchement d'une ville dont les manifestations sont significatives, on assiste au procès d'un certain monde [...] En effet, sitôt indiqués l'atmosphère de Nice et l'esprit de la vie que l'on mène là-bas, et ailleurs, hélas !- le film tend à la généralisation de grossières réjouissances, placées sous le signe du grotesque, de la chair et de la mort et qui sont les derniers soubresauts s'une société qui s'oublie jusqu'à vous donner la nausée et vous faire le complice d'une solution révolutionnaire. »
Ce texte, pour bien des spécialistes du personnage, constitue sa profession de foi, son manifeste personnel.
Vigo, lors de cet exposé, fait aussi un très long et vif éloge de Bunuel et de son Chien Andalou. Lorsqu'il rédige ce texte, il n'a pas encore vu L'âge d'or, sorti la même année 1930, mais la place qu'il accorde à Bunuel dans son discours prouve toute l'admiration qu'il porte à l'espagnol. Sûrement sous l'influence de Kaufman, Vigo dans son "cinéma social" tient un discours qui possède beaucoup de similitudes avec les théories de Dziga Vertov : cueillir la vie à l'improviste dans la rue, avec une caméra cachée, invisible, générer un discours seulement pendant le montage, moment pendant lequel le document est interprété...
A propos de Nice décrit les touristes bourgeois dans toute leur laideur et leur vieillesse, passe d'un défilé de soldats à une vue sur un cimetière, puis nous plonge dans l'ambiance du vieux Nice misérable. Une bombe sociale ou un pamphlet juvénile ? Jean-George Auriol commentera plus tard le film en ces mots : « Vigo a bâti un film nuageux où le pamphlet est noyé dans les contrastes usés depuis les Romantiques. » Et, plus loin, il surenchérit : « Il est d'autre part naïf de prouver que les bourgeois sont haïssables parce qu'ils sont laids et ronflent en dormant ; tous les prolétaires n'ont pas la figure d'un dieu et ce n'est pas la Révolution qui guérira tout le monde des polypes et des végétations. »
Auriol, même s'il parait sévère, vise juste à propos du premier film de ce cinéaste qui verse dans les erreurs passionnées de la jeunesse. Claude Aveline juge le film d'une manière plus tempérée : « A propos de Nice démarre comme un documentaire et se transforme peu à peu pour exploser en satire » C'est bien résumer. Cette première oeuvre, on le comprend au vu des réactions d'Auriol, le stigmatise comme un rebelle, un agité, un anarchiste. On n'attend donc rien de très constructif de lui. Pourtant, Vigo est un contestataire, mais un contestataire révolutionnaire, pour qui il faut détruire pour reconstruire sur un sol neuf.
Jean Taris
Peu de temps passe avant que Vigo ne reçoive une commande concernant un court métrage qui doit être réalisé sur le champion de natation Jean Taris. Après avoir rédigé le scénario, Vigo commence le tournage de Jean Taris champion de natation, innovant avec quelques exercices de style pour échapper à la banalité d'un sujet qu'il traite par nécessité financière. Plus tard, le réalisateur commentera son propre travail en ces mots :
« J'ai revu ces jours-ci Jean Taris qui passait à Nice. A l'exception de peu de vues sous l'eau, c'est très mauvais ».
Le 30 juin 1931, Lydou met au monde Luce, leur petite fille. Après quelques péripéties (des rencontres décevantes avec Grémillon et Chaplin, un scénario refusé par son commanditaire...) Vigo est convoqué par Jacques Louis Nounez, un producteur, en juillet 1932. Les premiers contacts sont bons, les deux cinéphiles semblant s'apprécier. Ils envisagent deux projets : un sur la Camargue lancé par Nounez et l'autre sur les enfants du collège plus soutenu par Vigo.
Zéro de conduite
Nounez finit par retirer son projet sur la Camargue et loue les studios Gaumont pour le tournage du projet de Vigo alors intitulé Les Cancres. Lors de cette expérience, il exorcise sa douloureuse vie au collège de Millau. Cette expérience, vécue entre ses treize et ses seize ans, a laissé beaucoup de marques. En témoignent ses écrits : « L'enfance. Des gosses que l'on abandonne un soir de rentrée d'octobre dans un cour d'honneur quelque part en province sous quelque drapeau que ce soit, mais toujours loin de la maison, où l'on espère l'affection d'une mère, la camaraderie d'un père, s'il n'est déjà mort. » Pour Zéro de conduite, Vigo se replonge dans le journal qu'il tenait étant enfant et y traque les anecdotes les plus diverses. Les personnages de Zéro de conduite sont largement inspirés d'anciens camarades de Vigo. Le personnage de Tabard, quant à lui, semble incarner Vigo enfant. « Zéro de conduite représentant surtout Millau, c'est avant tout Tabard qui est Vigo » écrit Gomès. Zéro de conduite va déclencher les foudres de la censure car il ose, c'est une première sur grand écran, dépeindre le milieu enfantin sans tabou ni hypocrisie. Il ose jeter la pierre aux parents qui abandonnent, désoeuvrés, leurs enfants, poussés à la solitude et privés de tendresse. « Pour la première fois, l'écran osait montrer des enfants sans convention » a écrit Barthélémy Amengual. Le film est donc intensément empreint des souffrances de son auteur mais aussi de ses phobies d'enfant : l'anonymat, l'absence maternelle, la mort du père, l'impossibilité de se confier...
Le tournage, commencé le 24 décembre 1932, est difficile. Vigo s'est adjoint de Boris Kaufman comme opérateur et comme régisseur. La plupart des acteurs étant des non professionnels, recrutés dans la rue ou à la sortie des écoles, le désordre régnait parfois sur le tournage. Vigo replongeait dans la maladie mais ne s'accordait que quelques jours de repos, alors qu'il était brûlant de fièvre. Le travail fut fini en janvier 1933 et le montage en mars. La première projection eut lieu le 7 avril 1933 et déclencha un énorme scandale qui allait se répercuter dans la presse, celle-ci faisant appel à la censure. Cette dernière n'a pas imposé la coupure de certaines scènes mais l'interdiction formelle du film dans son intégralité ! Le film tout entier est jugé condamnable. « Le choix des victimes pour le jeu de massacre, l'Eglise, l'Etat, l'uniforme, nous révèle Vigo aux prises avec les thèmes traditionnels de l'anarchie » écrit Gomès à propos de Zéro de conduite. Invité à Bruxelles par le Club de l'Ecran, Vigo rédige une présentation de Zéro de conduite qui prend en fait la forme d'un pamphlet contre la censure. « Dans l'état actuel du monde bourgeois, un metteur en scène est un corps étranger lancé dans la machine aux combines financières ou autres, auxquelles prête le marché du cinéma ». Un coup de gueule qui peut-être vu comme assez avant-gardiste, au regard des évolutions futures du cinéma français.
L'Atalante
Malgré ce Zéro de conduite jugé trop subversif et les pressions de la Gaumont, Nounez accorde encore toute sa confiance à Vigo. Il réussit à convaincre Gaumont de s'engager à distribuer l'Atalante, son prochain film, en assurant la présence de deux grandes vedettes d'alors en haut du casting : Michel Simon et Dita Parlo. Le tournage commence en novembre 1933. Vigo possède plus de budget que pour Zéro de conduite (un million contre 200 000 francs) mais garde à peu près la même équipe : Kaufman pour la photo, Jaubert pour la musique. A qui s'ajoutent Jourdain pour les décors et Chavance pour le montage (sur Zéro de conduite, Vigo s'en était occupé seul). Le scénario original de Jean Guinée est légèrement remanié par Vigo, avant et pendant le tournage. Le film est bouclé en février 1934 après bien des difficultés en extérieur, à cause des mauvaises conditions atmosphériques. Vigo a été malade souvent pendant le tournage si bien qu'à la fin de celui-ci, il dû s'aliter, laissant Chavance terminer seul le montage pendant que Nounez résistait tant bien que mal à Gaumont qui exigeait des coupures.
Le film est présenté aux professionnels du cinéma le 25 avril 1934 et l'accueil de ceux-ci est plutôt froid, ce qui amène un accroissement des pressions exercées par la Gaumont sur Nounez. Malgré les éloges de quelques critiques de renom comme Jacques Brunius ou Elie Faure, Gaumont ne recule pas. L'oeuvre est saluée pour son lyrisme, pour sa poésie qui vient se surajouter à l'insolite et au fantastique déjà inhérents aux précédents films de Vigo. Malgré tout ce que l'on peut penser, suite à ces réactions, l'esprit révolté de Vigo se fait encore sentir. Vigo reste lui-même et sa révolte anarchiste reste présente et vivante. « Le lynchage du maigre voleur par les honnêtes gens biens nourris rappelle curieusement les illustrations des sujets sociaux par les dessinateurs anarchistes avant 1914 tels Steinlen, Grandjouan ou Gassier » souligne Salès Gomès. Et cette scène n'est pas le seul épisode de critique sociale du film. On se souvient aussi d'une file de chômeurs qui font la queue devant les portes d'une usine. Une scène véritablement filmée sur le vif et à l'improviste. Les thèmes sont identiques à ceux des débuts, mais traités avec plus de maturité. Vigo cesse ici d'abattre tout le monde indistinctement et vise juste et bien. L'une des choses les plus connues et reconnues de la vie de Vigo (un fait dramatique qui vient amplifier la légende), c'est que le cinéaste a vu le tripatouillage, le dépeçage de son ultime oeuvre, par une grasse société de distribution, de son lit de mort. En effet, Nounez a finit par capituler devant Gaumont et la société distributrice a pratiqué de larges coupes et a entaillé la partition de Jaubert pour la remplacer par une rengaine à la mode nommée « le Chaland qui passe ». Le film sort sous ce titre en septembre 1934. La promotion du film est axée sur la chanson à la mode et la plupart des spectateurs s'en vont voir le film pour l'écouter. Le film, malgré ces remaniements honteux, connaît un échec commercial cuisant. Le film a donc été assassiné en vain. Les critiques sont assez divisées dans l'ensemble. La plupart des « défavorables » se hérissent face au « trop-plein » de pessimisme qui, selon eux, caractérise le film. Fort heureusement, beaucoup de critiques soulignent les qualités de l'oeuvre de Vigo, notamment ses aspects poétiques. Dès 1940, l'Atalante est réhabilité : la musique de Jaubert rétablie, le titre original retrouvé et certains passages réintroduits. Vers 1950, des remaniements supplémentaires ont tentés de reformuler au mieux l'Atalante, dans la probité de son discours originel.
Le Mythe
C'est surtout dans les ciné-clubs que l'oeuvre de Vigo prend toute son ampleur. Une oeuvre qui, mise bout à bout, ne dépasse pas les trois heures de projection ! « Une fois posé que Jean Vigo n'est pas un génie, à seule fin de ne pas galvauder le terme, voyons comment en moins de vingt années le massacreur d'idoles, le révolté, l'insulteur public numéro un, l'anticonformiste, le guillotineur de valeurs établies est devenu une institution nationale aussi permanente que Louis Jouvet ». Les mots sont de Gilles Jacob. Vigo est mort le 5 octobre 1934. Il était alité depuis mars et souffrait d'une septicémie à streptocoques d'origine rhumatismale. La mort le rongea ses six derniers mois, pendant lesquels il offrit à sa famille et à ses amis la vue d'un visage de décrépitude et d'agonie. Le 8 octobre, Jean Vigo est enterré sobrement auprès de Miguel Almereyda, au cimetière parisien de Bagneux. Vigo est mort sans avoir vu son oeuvre finalisée, étant alité depuis le début du montage de celle-ci. La mort inattendue de Vigo est très remarquée et bien des journalistes sortent dès lors de leurs réserves pour couvrir le défunt d'articles funèbres élogieux. Vigo est cristallisé dans la mort comme un rebelle intransigeant et pur, une imagerie romantique qui alimente tout un mythe qui se poursuit jusqu'à nos jours. Henry Storck, l'un de ses amis, le salue dans ces termes : « Ses opinions étaient nettes et généreuses. Il avait pris parti, depuis longtemps, pour les travailleurs, les exploités. On n'aurait pas pu lui arracher la moindre concession... » Le mythe romantique de l'artiste maudit et martyr est passé par là. Dès lors, il sera difficile, même à grand renfort de rigueur historienne, de voir le personnage tel qu'il fut et tel qu'il a vécu et non dans la dimension épique dans laquelle il fut cantonné et mystifié. Tous les arts se sont nourris du mythe romantique de l'artiste souffrant. Et comme le dit Michalek : « Le cas Vigo constitue la légende parfaite du cinéaste-artisan. Cette légende est née du besoin d'ennoblir le cinéma, du besoin de lui conférer tous les attributs traditionnels de la création artistique. C'est-à-dire la souffrance, la lutte, le courage, le génie, la révolte, la mort, enfin. »
Le Prix Jean Vigo
Dix-sept ans après la mort du cinéaste est créé le Prix Jean Vigo, par quelques amis proches du réalisateur. Un prix qui distingue souvent de jeunes réalisateurs pour leur "indépendance d'esprit et originalité de style". Sous la présidence de Claude Aveline, le Jury comprenait à l'origine : Georges Altman, Jacques Becker, Maurice Bessy, Pierre Bost, Armand-Jean Cauliez, Georges Charensol, Jean Cocteau, Charles Dorat, Paul Gilson, René Jeanne, André Lang, Jean Queval, Roger Régent, et Georges Sadoul. Le prix récompense courts et longs métrages depuis 1960. Il se distingue des autres récompenses en honorant un "auteur prometteur" plutôt qu'un "bon film". On ne pénalise pas un film pour des erreurs de réalisation ou des longueurs, on vise ici l'originalité du style, de la forme, de la démarche... Le Prix Jean Vigo n'est donc pas un prix de consécration. Plutôt un prix d'encouragement. Pour participer au concours, les films proposés doivent être français et se démarquer par leur sens de l'originalité et leur indépendance d'esprit. Alain Guiraudie, honoré du prix Jean Vigo en 2001 nous a confié lors de la remise du prix : « Jean Vigo est une référence pour tous les gens qui essaient de résister au business et à la grosse industrie qui conduit à l'académisme. J'aurais été moins heureux avec un César. »