Mi$e à prix
Cinéma / Critique - écrit par riffhifi, le 02/08/2007 (Du polar ou du cochon ?
Joe Carnahan aurait pu réaliser Mission: impossible 3. Déclinant l'offre de Tom Cruise, il a préféré se consacrer à un projet plus personnel. On était en droit d'attendre un film très sombre de l'auteur de Narc : première surprise, Mise à prix se présente plutôt comme une comédie policière...
Buddy ‘Aces' Israel est un margoulin. Prestidigitateur vedette à Las Vegas, il possède cependant des informations vitales sur la mafia américaine, et s'apprête à tout balancer au FBI. Conséquence directe : tout le monde le veut. Dans le luxueux hôtel où il s'est planqué, on verra donc débarquer deux sortes d'individus : d'un côté ceux qui veulent le protéger, FBI en tête, de l'autre ceux qui veulent le dézinguer, en une collection hallucinante de tueurs à gages barjots (des néo-nazis, un pro du déguisement, un esthète de la torture...). En gros, c'est Terminator puissance 10. En apparence.
Alicia Keys, as à seinsPassées les premières minutes, composées de scènes de présentation indispensables mais un brin lourdingues, on se trouve en terrain familier. Un peu de Snatch pour la galerie de personnages hauts en couleurs (certains sont même là uniquement pour la décoration, comme le Jason Bateman de la série Arrested development), un peu de Tarantino pour l'usage sporadique et semi-comique de la violence, un peu de western spaghetti à la Sergio Leone pour certains accès de grandiloquence bienvenus ; on pense même beaucoup - ne riez pas - aux Tontons flingueurs et surtout aux Barbouzes, avec sa collection de spécialistes surentraînés qui passent leur temps à s'entretuer. Car dans Mise à prix (Smokin' Aces, au choix « As fumants » ou « Fumer Aces »), la vraisemblance n'a pas cours : les masques ultra-réalistes se fabriquent en quinze secondes à coups de pâte à modeler, les tueurs prennent le temps de jouer avec leurs victimes après leur mort et les ascenseurs regorgent de fous furieux armés jusqu'aux dents.
Les tueurs sont en naziSauf que voilà, Joe Carnahan est plus malin que ce qu'il vous laisse voir. Son Buddy Israel, dépravé et pathétique, laisse entendre à travers quelques répliques que tout n'est qu'apparence, et que le revers d'une carte n'est pas toujours tel que l'on croit. De la même manière, le film ne se révèle que dans sa dernière partie. Alors que la boucherie bat son plein, les enjeux de l'histoire changent subitement. C'est à ce moment qu'on réalise que les personnages ont progressivement laissé apparaître leur humanité, réagissant avec leurs émotions plus qu'avec professionnalisme. A quelques exceptions près, ils ne sont pas les simples pantins qu'on avait voulu voir en eux.
Mais ce n'est que dans la dernière scène que tout fait sens. Changeant brutalement de ton, le film délivre alors deux choses : d'une part une série de révélations indispensables pour l'intrigue (mais dont, pour être honnête, on devine la moitié depuis le début), d'autre part une action déroutante, inattendue, poignante, qui fait d'un seul coup de Mise à prix non seulement un très beau spécimen de film noir, mais également un constat acide sur la place de l'humain dans la société. Après cent minutes de bouffonnerie jouissivement survitaminée, ça met une claque.
Joe Carnahan est décidément un réalisateur à suivre de très près, ce qui devrait être facile puisqu'il prépare actuellement trois nouveaux polars : Bunny Lake is missing (remake d'un film de Otto Preminger), Killing Pablo avec Christian Bale et White jazz avec George Clooney...