Slumdog Millionaire
Cinéma / Critique - écrit par riffhifi, le 15/01/2009 (Tags : film jamal slumdog millionaire danny boyle vie
Danny Boyle n'est jamais là où on l'attend (d'ailleurs, on ne sait plus trop où l'attendre). Cette fois, il part en Inde pour filmer une histoire de chance et d'amour sur fond d'aventure humaine. On l'a connu plus cynique.
L'ami Danny Boyle, c'est une des révélations britanniques des années 90. Après le succès de Petits meurtres entre amis, et la consécration via Trainspotting, il cessa de filmer l'Ecosse pour se tourner vers les Etats-Unis (Une vie moins ordinaire), la Thaïlande (La Plage), l'Angleterre (28 jours plus tard) puis l'espace (Sunshine). Comédie romantique, thriller, horreur, science-fiction... On ne savait plus où attendre le réalisateur, qui change de genre comme de géographie. Nouveau défi : c'est en Inde qu'il tourne son nouveau film, sur un scénario de Simon Beaufoy dont on avait peu entendu parler depuis The Full Monty en 1997. Derrière chacun des deux britanniques médiatiques se cache un Indien : le scénario est tiré d'un livre
A plus dans le bus !de Vikas Swarup appelé Q&A, et la réalisation est cosignée du réalisateur local Loveleen Tandan.
Le jeune Jamal Malik est un candidat miracle de l'édition indienne du jeu Qui veut gagner des millions ? Sans avoir de raison d'être plus cultivé qu'un autre, il aligne les réponses sans hésiter, faisant monter son score jusqu'à 10 millions de roupies... Tricheur ? Interrogé sans ménagement (c'est rien de le dire) par la police, il explique calmement d'où lui viennent les réponses : chacune correspond à un évènement de sa vie tumultueuse.
Slumdog est un mot-valise : « slum » désigne un taudis, et par extension un quartier pauvre, voire les bas-fonds d'une ville. « Slumdog » signifie donc littéralement « un chien des quartiers pauvres », et « slumdog millionaire » est ce qu'on appelle en français un oxymore (alors qu'un « occis mort » est ce qu'on appelle en français un pléonasme, allez comprendre). Par définition, il n'y a rien de plus riche qu'un gagnant de Qui veut gagner des millions ?, et rien de plus pauvre qu'un adolescent orphelin des rues de Mumbai (anciennement Bombay, mais l'endroit reste un des plus misérables du monde quel que soit son nom) ; le film s'appuie donc sur une dynamique puissante et l'alimente de nombreuses interrogations : comment et pourquoi Jamal est-il arrivé là ? comment connaît-il les réponses ? va-t-il partir avec son pognon, perdre avant la fin, être incarcéré pour tricherie ? Le montage habile permet de ne dévoiler chaque élément qu'en temps et en heure, amorçant le jeu télévisé dès le début pour mieux retourner à l'enfance du personnage par la suite. Cette dernière commence sur une anecdote digne des excès cradingues de Trainspotting, dont l'apparente superficialité est en réalité destinée à cristalliser la différence qui existe entre Jamal et son frère Salim. Les deux enfants s'avèrent vite inséparables, et traversent les pires mésaventures après la mort de leur mère tuée dans une émeute. La narration ne se fait pas
Jamal à la têtelarmoyante pour autant, et s'apparente plutôt à l'esthétique expérimentale et quasiment clippesque des premiers films de Danny Boyle. L'énergie est incontestable, et les tribulations des deux gamins se suivent avec intérêt, même lorsque l'éclairage apporté aux réponses télévisées de Jamal laissent un peu à désirer.
En définitive, Slumdog millionaire ne ressemble pas aux productions bollywoodiennes auxquelles il rend pourtant un hommage incontestable (notamment dans la scène de danse finale, qui nous rappelle néanmoins à quel point on est heureux de ne pas en avoir bouffé quinze au cours du film). Il reflète surtout la préoccupation majeure de Danny Boyle : le rapport des gens à l'argent, ainsi que les motivations et les moyens qui amènent à le gagner massivement ; il y a quatre ans seulement, il tournait déjà un film appelé Millions... Ici, il oppose le cynisme et la brutalité de Salim à l'innocence et à l'honnêteté de Jamal, offrant pour la première fois un conte à l'optimisme un peu simpliste. Si le héros s'avère du coup relativement falot en dépit de quelques accès d'ironie, le final exaltant fonctionne en revanche plutôt bien malgré une relative sous-exploitation de son potentiel. Là où on attendait un film fort et un peu cruel, on obtient finalement un aimable divertissement énergique, gentiment romantique et dépaysant. Un conte plutôt qu'une fable.