Pirates des Caraïbes - Jusqu'au bout du monde
Cinéma / Critique - écrit par Nicolas, le 22/05/2007 (Tags : pirates film caraibes jack monde jusqu bout
Le bout du monde ne suffit pas
Jack Sparrow (Johnny Depp), avalé par le Kraken, se retrouve coincé entre la vie et la mort dans l'antre de Davy Jones (Bill Nighy). Barbossa (Geoffrey Rush), Will (Orlando Bloom), Elizabeth (Keira Knightley), et tout l'équipage du Black Pearl font voile vers Singapour pour dérober la carte mystique du capitaine Sao Feng (Chow Yun Fat), seule indication pour rejoindre les océans du bout du monde et seul espoir de ramener le capitaine Sparrow. L'enjeu est crucial : Lord Cuttler Beckett (Tom Hollander), en possession du coeur palpitant de Davy Jones, oblige ce dernier à écumer les mers et à annihiler la communauté pirate toute entière. L'heure est venue, le Tribunal de la Confrérie des Pirates doit se réunir...
Brisons les traditions, stoppons les habitudes, trahissons les conventions comme de véritables pirates des sept mers, et commençons par discutailler des travers de ce troisième opus. Les grandes lignes du second volet sont retrouvées dans Jusqu'au bout du monde, principalement en ce qui concerne le scénario et l'évolution des personnages. Ainsi, tout est prétexte à une déferlante d'effets spéciaux et de prouesses techniques en tous genres, comme si les scénaristes avaient d'abord imaginé la scène avant de lui trouver une utilité dans l'histoire (rappelons-nous de l'île aux cannibales). Bien sûr, nous dirons-nous, la remarque pourrait s'appliquer à beaucoup de films d'effets spéciaux de nos jours, et le dommage reste infime compte tenu de la qualité et de l'inventivité de ces dernières (voir plus loin). Malheureusement, le constat s'applique également aux personnages qui n'en finissent pas de retourner leur veste et leur galure tout au long du film (l'exemple de Barbossa, ramené d'entre les morts on ne sait comment, en est l'exemple le plus parlant). Chacun a son propre but, son propre dessein, et s'appliquera à le réaliser même s'il faut pour cela vendre ses amis et ses compagnons d'armes. Trahisons s'enchaînent à un rythme effréné, à tel point qu'elles apparaissent en fin de compte complètement inutiles et comme la résultante maladroite d'une volonté des scénaristes de faire toujours plus. Chacun devient peu à peu un véritable pirate au sens déloyal du terme, et il devient parfois ardu d'y trouver une logique ou d'imaginer un aboutissement bienheureux. Et pourquoi personne ne met-il l'accent sur les méfaits de Barbossa, de Jack, et d'Elizabeth, qui devraient attirer les rancoeurs les plus profondes compte tenu de leurs actes passés ?
La contrepartie de tout ça réside également dans la volonté des scénaristes de fournir un spectacle de haute qualité qui fera date dans l'histoire du cinéma. Car si dans le fond, le divertissement reste assez peu intellectuel, l'imagination de Ted Elliott et Terry Rossio (= scénaristes) ainsi que la maestria technique de Gore Verbinski (les premières minutes sont à frémir, de terreur et de plaisir) font des merveilles, sans demi-mesure. La performance relève de la folie furieuse, repousse sans cesse les limites et parvient à s'imposer comme une grande référence numérique à l'égal d'un Star Wars ou d'un Seigneur des Anneaux. Imaginez simplement une bataille en plein coeur d'un maelström, où s'entrecroisent vents, torrents de pluies, et boulets de canons, où s'entredéchirent deux équipages armés jusqu'au dent tandis que leurs capitaines respectifs croisent le fer en équilibre sur un des mâts. Le résultat tient du miracle, de l'incroyable, et se positionne comme le point culminant d'un spectacle qui accumulera les trouvailles et les scènes d'anthologie. Quand on a les moyens de s'offrir Industrial Light and Magic (et l'emblématique John Knoll), pourquoi se priver ? Le plus étonnant dans tout ça est qu'il reste de l'argent pour subvenir à l'aspect plus concret du film, à savoir les décors et les costumes. Dans les deux cas, Jusqu'au bout du monde émerveille par son sens du détail et du gigantesque. Pour l'occasion, et outre les célèbres Black Pearl et Hollandais Volant, une dizaine de navires de tous horizons a été dessinée et mis à flot, parfois pour une scène, parfois pour plus longtemps, et chacun dispose de sa petite particularité qui le rend unique (jusque dans son étendard). Les costumes tirent un peu plus vers l'asiatique, présence de Chow Yun Fat oblige, et offrent à Keira Knightley la possibilité de vamper l'assistance dans de somptueuses parures tranchant avec le poisseux habituel des congénères de Sparrow. Tandis que pour les décors, le film offre son lot habituel de magnifiques décors caraïbanesques et de reconstructions en studio plus vraies que nature.
Une somme de talents qui propulsent donc la partie visuelle du film parmi les plus réussies de ces dernières années.
Si les relations entre les personnages tournent au n'importe quoi plus ou moins maîtrisé, la profusion de personnalités bien trempées donne au film le petit plus sympathique qui le différencie des autres démonstrations techniques. Outre le Jack Sparrow des habitudes toujours aussi séduisant, le retour de Barbossa confère un petit grain de folie tempéré par le pragmatisme de William Turner (Orlando Bloom, à la limite de l'insipide au fur et à mesure des épisodes) et la constance d'Elizabeth (la plus cohérente apparemment), tandis que la présence hypnotique de Chow Yun Fat, horriblement grimé (dans le bon sens du terme) amène un vent de fraîcheur sur le casting, même si celui-ci ne fera pas de vieux os à l'écran. Les seconds rôles fournissent aux têtes d'affiches le moyen de transmettre un humour qui fait mouche pratiquement à tous les coups, et c'est un réel plaisir de retrouver l'équipage du Black Pearl et Hollandais Volant (dont ce cher marin handicapé par une barre de navigation en plein milieu du dos) qui ne se feront pas de cadeaux dans la joie et la bonne humeur. A noter, l'apparition de Keith Richards, emblématique guitariste des Rolling Stones et source d'inspiration de Johnny Depp pour le personnage de Jack Sparrow.
Alors pari réussi ? Oui, oui, et mi-oui, même si Jusqu'au bout du monde, à l'image du Secret du coffre maudit, ne parvient pas à surprendre autant qu'aura pu le faire La Malédiction du Black Pearl, et donne un petit peu trop dans le n'importe quoi lorsqu'il s'agit de personnages et de scénario, la somme de travail effectuée sur le film, le délire incroyable des effets spéciaux, le nombre de scènes d'anthologie, et le casting toujours au poil hisse le film sur un niveau que peu de réalisateurs ont su atteindre. Un spectacle mémorable dans sa majeure partie, le film laissant apparaître quelques longueurs ici et là.