Mission: impossible
Cinéma / Critique - écrit par riffhifi, le 23/10/2007 (Tags : mission impossible film cruise tom films cinema
Trahison de la série, trahison de Tom Cruise par Brian de Palma. Le film est un coup de poignard dans le coeur de beaucoup de gens. Mais n'est-ce pas justement son sujet ?..
Il y a onze ans et un jour, Mission: impossible sortait au cinéma. Précédé de rumeurs sur la brouille entre son réalisateur Brian De Palma et sa vedette/producteur Tom Cruise, sur la remise en musique par Danny Elfman après le renvoi brutal de Alan Silvestri, et surtout inspiré d'une série-culte des années 60-70 dont les acteurs ont refusé de cautionner l'adaptation, le film ne laissait pas d'intriguer. Les réactions du public de l'époque furent mitigées : déroutant, compliqué, avare en action, l'objet n'avait rien du produit formaté que l'on attendait.
Avec le temps, le film n'a rien perdu en intensité et continue de dévoiler sa saveur un peu plus à chaque nouvelle vision...
L'équipe de Jim Phelps (Jon Voight) dans les années 90 est composée des experts habituels : Monsieur Gadget (Emilio Estevez), Madame Fatale (Kristin Scott-Thomas), Monsieur Masque (Tom Cruise alias Ethan Hunt)... et Claire (Emmanuelle Béart), la femme du chef, se joint à ce qui ressemble résolument à une famille. Pas de bol, lors d'une mission à Prague, toute l'équipe est assassinée à l'exception de Ethan Hunt, qui devient alors le suspect n°1 de ses supérieurs et se voit obligé de prendre la fuite.
Si vous n'avez pas vu le film, la lecture de ce qui suit vous est tout simplement interdite. Si vous décidez de continuer malgré tout, le département d'état niera avoir eu connaissance de vos agissements. Le suspense s'autodétruira dans 5 secondes.
Tom-Tom et nanaBrian De Palma était investi par Tom Cruise d'une mission impossible : adapter une série télé (après tout, n'était-il pas le brillant réalisateur des Incorruptibles de 1987 ?) basée sur l'esprit d'équipe et l'absence d'ego, tout en procurant à Tom Cruise un véhicule pour sa grosse tête de star. De Palma, non content d'affronter ce paradoxe, chercha du même coup à redorer son blason personnel, sachant que ce film était l'occasion pour lui de renouer avec le succès après le semi-échec de ses derniers films. Le seul moyen qui s'offrait à lui pour gagner sur tous les tableaux était de trahir tout le monde. Coïncidence ou magie du cinéma, le thème du film, et d'une bonne partie de l'œuvre de De Palma, c'est la trahison...
Trahison de la série, à n'en pas douter : le film a suffisamment fait couler d'encre à sa sortie, suscitant l'indignation du casting d'origine (Martin Landau a clairement dit en interview que la série et le film n'avaient rien en commun) pour que l'on admette le coup de poignard que représente le scénario. En même temps, et on y reviendra plus tard en détail, cette trahison est au cœur même de l'intrigue. Le récit commence sous la forme d'un épisode de la série, puis explose et tente par deux fois d'y revenir. Tout est construit pour que le spectateur, comme le personnage principal, cherche à retrouver ses repères sécurisants dans un univers en déconfiture. La série était une expérience collective, le film une aventure individuelle.
Tom-Tom fait ses abdosTrahison de la vedette, au nez et à la barbe de tous : pas une scène d'action, tel qu'on l'entend traditionnellement, ne traverse le film. Une scène de massacre, plusieurs scènes de suspense (dont cette fameuse et stupéfiante scène d'acrobatie inspirée de Topkapi, un film de Jules Dassin qui avait lui-même inspiré la série Mission: impossible), quelques explosions significatives... Mais pas un seul combat à mains nues, pas une seule fusillade. Ethan Hunt n'est pas un super-héros (comme il le deviendra sous la caméra de John Woo ou J.J. Abrams), c'est un homme en chute libre, privé de repères, qui s'attache à utiliser ses compétences d'espion pour sortir de l'impasse. Mais ce n'est pas un tueur (il ne tuera qu'à la fin, sous l'emprise de ses émotions). De tout le film, il ne brandira même jamais une arme, à l'exception des étranges "chewing-gums explosifs" qu'on lui confie au début. La logique de ce gadget (le feu rouge sur le feu vert déclenche l'explosion), Hunt la déploiera deux fois : la première avec Kittridge au restaurant, et la deuxième à la fin. Chaque fois, il s'agira de dire « stop » à la folie en cours, tout en avançant vers la prochaine étape. Feu rouge, feu vert, un paradoxe explosif de plus.
Le rebondissement principal, la révélation marquante, intervient lorsque Jim Phelps refait surface, expliquant à Ethan les motivations qui ont poussé la "taupe" à agir, pendant que Ethan comprend que c'est Jim lui-même qui a trahi tout le monde et simulé son propre meurtre. Le spectateur, comme Ethan, se prend la deuxième grosse baffe du film : Jim Phelps meurt, puis Jim Phelps revient et se révèle un traître. Pour le spectateur de la série comme pour le néophyte, la révélation est violente, comme si James Bond assassinait Moneypenny après l'avoir soumise à une tournante organisée par Blofeld. Pour Ethan, l'heure est venue de passer à l'âge adulte : son père spirituel l'a trahi, a massacré sa famille. Mais il a désormais les ressources pour l'affronter, il a marché dans ses pas en créant sa propre équipe, composée de Claire, Franz Krieger (Jean Reno) et Luther Stickell (Ving Rhames). Il découvrira que sur ses trois recrues, deux sont eux aussi des traîtres...
Si Tom Cruise est Ethan Hunt, Brian De Palma est-il Jim Phelps ? A-t-il trahi tout le monde pour atteindre son but ?..
Arrivé à la confrontation finale, Ethan n'a d'autre choix que de tuer son père, après avoir couché avec la femme de ce dernier (si la scène a été coupée de la version finale, les événements n'en sont pas moins clairs). Inutile d'insister sur la symbolique largement œdipienne de cette fin, à l'issue de laquelle Ethan Hunt prendra la place exacte de Jim Phelps dans une reprise du début du film. Suivra-t-il la même voie ? Trahira-t-il ses amis par lassitude, par cynisme ?
Ou pire, deviendra-t-il un benêt aux cheveux longs passionné de moto ? Horreur...