Hulk
Cinéma / Critique - écrit par Nicolas, le 03/07/2003 (Tags : hulk banner bruce avengers marvel heros betty
Le géant vert pique sa crise
Une poussée de colère et il devient tout vert, réduisant en lambeaux sa si belle chemise à carreaux et son pantalon vachement costaud à l'entrejambes. Cette singulière image demeure en nous, il faut bien l'avouer, à travers la série télé 100% kitsch d'un scientifique se transformant en culturiste peint en vert dès que le sang lui montait un peu trop à la tête. Je laisse les puristes rajouter que Hulk est à la base un comics américain, et que le vrai monstre verdâtre n'avait plus vraiment de proportions humaines une fois fou de rage. Et c'est l'esprit de la bande dessinée qu'a choisi de garder Ang Lee, réalisateur mondialement applaudi pour l'ensemble de sa carrière, bien que beaucoup la restreigne à Tigre & Dragon, annonçant directement la couleur : son Hulk ne sera pas un "Marvel Film" comme les autres.
Sans cesse tourmenté par des cauchemars récurrents, fruits d'un violent passé oublié, Bruce (Eric Bana) se désespère de faire aboutir ses recherches médicales. Par accident, il est exposé à de fortes radiations mortelles qui auraient certainement suffi à le réduire en cendres, mais un facteur inexplicable intervient et le protège de la mort certaine qui l'attendait. Pour Bruce, c'est le début des problèmes : outre les cauchemars de plus en plus fréquents, son père David (Nick Nolte) ressurgit de nulle part et pose le doigt sur un point sensible de l'équilibre de Bruce...
Que ceux qui pensent avoir affaire avec un blockbuster classique peuvent prendre la page suivante directement. En deux mots : Ang Lee. Nous ne sommes pas en train de parler de n'importe qui, et l'associer à un projet tel que Hulk a de quoi déboussoler. Et aussi peut-être un peu rassurer. Car, indéniablement, Hulk témoigne de la patte talentueuse du maître. Jamais film de héros américains estampillé "comics" n'avait pu refléter autant d'immersion dans l'esprit d'une bande-dessinée. A l'écran, cela se traduit par un déluge d'effets visuels, d'une réalisation ambitieusement menée, louable à partir du moment que l'on en apprécie le concept. Une bonne partie des scènes du film se découpent alors en vignettes amovibles, fondant chaque plan entre eux par une multitude de procédés, exposant simultanément plusieurs aspects d'une action ; parfois, les visages se détourent pour se fondre avec le plan suivant en tout simplicité, comme une page colorée de je ne sais quel magazine de super-héros bariolé. C'est étrange. C'est peut-être déroutant. Mais le résultat est là : le film flirte à s'y damner avec la construction narrative d'une bande dessinée, empilant les plans fixes en rappelant sans cesse que Hulk est avant toute autre élucubration un comics et qu'il entend bien ne pas l'oublier.
Mais Ang Lee ne pouvait pas s'en arrêter là. Vis-à-vis des X-Men, Spider-man, et autres Daredevil, l'ambition du réalisateur est à la mesure de la colère de son personnage tout vert. Tout le monde s'attend à un énorme pop-corn movie où un molosse synthétique s'amuse à écraser des voitures en braillant comme un wookie. Et même s'il est vrai que l'idée est jouissive, on ne peut s'empêcher d'espérer un chouia de réflexion supplémentaire. Et c'est cette téméraire ambiguïté recherchée qui constitue le noyau des sentiments tout aussi ambigus qu'un spectateur peut avoir en découvrant les aventures de Bruce Banner. A l'image d'une première heure difficile, impact violent de la forme du film d'une part, et du sentiment profond qu'il souhaite se doter par son fond d'autre part. Ang Lee construit Banner aux yeux des spectateurs pour mieux le détruire plus tard, avec parcimonie et sans limite de temps. Une première partie plutôt déroutante, pour la masse s'attendant à une transformation rapidement expédiée et un début de castagne dès les trente premières minutes.
Basculement, Bruce Banner se révèle Hulk (et oui, il l'est depuis l'enfance à son insu) suite à un accident malheureux. Hulk : colosse vert numériquement construit, doté d'une considérable propension pour la destruction et d'une créativité très salutaire quand il s'agit de défendre ses intérêts, bien loin de ce qu'un acteur humain pourrait réaliser. Le Hulk de Ang Lee se rapproche donc plus de celui que l'on pourrait admirer dans les jeux vidéo adaptés comme Marvel versus Capcom, que des talents d'acteur d'un Lou Ferrigno (l'acteur musculeux qui se colorait en vert dans la série). Et l'on aurait probablement apprécié que Lee se restreigne dans certains aboutissements de la force prodigieuse de son personnage. Ceux qui se gaussaient de Li Mu Baï en train de voler de toit en toit dans Tigre & Dragon pourraient nerveusement se moquer d'une créature toute verte entamer un sprint pour finalement réaliser des bonds de sept lieues. Des sauts hautement comparables à la force du personnage, reprochables dans la mesure où Hulk devient personnage de manga plus que de comics quand l'idée lui prend de bondir partout.
Et au-delà de l'aspect numérique de ce personnage démesurément mis en image, le film nourrit son fond de deux pivots - réflexions critiquables mais néanmoins heureusement présentes, évitant à Hulk de sombrer dans la destruction / jeu vidéo que l'on pouvait redouter. Au premier plan, le lourd historique de Bruce Banner, se refusant à considérer l'existence de son père David Banner, lui et ses expériences scientifiques. Sartre posa un jour l'idée que l'enfant était un monstre fabriqué avec les regrets des parents, Bruce ne saurait mieux communier cette idée avec la réalité. Mais c'est pourtant le trait psychologique le plus lourd à supporter par le spectateur, parfois trop grossier, se ridiculisant dans un final pas très compréhensible et peut-être bien hors de propos. Les sentiments contradictoires de Banner avaient largement de quoi remplir une fonction psychologique, dépeignant la transformation en une volonté de s'exprimer, de devenir libre de ses faits, gestes, et émotions. Une rage inégalable qui n'est autre que la représentation refoulée d'une partie de lui-même, allant jusqu'à confier qu'il apprécie le fait de pouvoir manifester sans limite cette colère enchaînée au fond de son être.
Mais que dire alors du choix de Eric Bana pour le rôle titre, si ce n'est qu'il n'a certainement été choisi que pour des considérations physiques. Car difficile de trouver des adjectifs mélioratifs pour qualifier le casting, médiocrement inspiré et relativement mal doublé, si l'on exclut une Jennifer Connelly larmoyante à souhait. Mention passable pour la bande originale également, moyennement collante et remarquable, du Danny Elfman dans ses moments les moins convaincants.
Une première heure lourdement scénarisée, dévoilant l'ambition démesurée que souhaitait offrir Ang Lee à la réalisation de ce nouveau Marvel film, aux frontières de la psychologie discutable, du pop-corn movie, et du film conceptuel. Déplaisant par moments, hautement louable par d'autres, Hulk n'est pas vraiment le film que l'on attendait, et c'est certainement son principal atout, arrachant son mérite dans la virtuosité de son réalisateur plus que dans les délires visuels des effets spéciaux ou la justesse de son propos. Il est néanmoins rare de voir un film de super-héros avec un fond aussi solide, même s'il reste aisément contestable.