Dossier - Le Fantastique Gothique 2/3
Cinéma / Dossier - écrit par Lestat, le 21/11/2005Tags : fantastique gothique films roman siecle litterature fantastiques
Deuxième partie du dossier consacré au fantastique gothique
L'apogée du genre : les années 60
Il y a toujours une période où un genre codifié atteint son point d'orgue, et cela passe généralement par l'élargissement voir l'explosion desdits codes. Les années 60 représentent au niveau du fantastique gothique une sorte de bulle qui éclate
soudain, après s'être gonflé de près de quarante ans d'exploitation dominée par Universal et surtout, la Hammer. Le tout début de la décennie est une date clé où rien de moins que trois pays vont tout d'un coup se réveiller pour se lancer à la course au château : les Etats-Unis qui fait un retour fulgurant au genre, l'Espagne dont le cinéma fantastique tout entier sort d'une longue torpeur dû à une lourde censure et ce qui restera sans doute avec l'Angleterre la nation-phare du fantastique gothique : l'Italie.
Aux Etats-Unis, principalement durant les années 50 et 60 se développe une frange du cinéma, essentiellement de série B voir Z pour les pires, visant les adolescents. Un public qui reste alors à conquérir, à grands coups de films de gangsters, de motards ou d'horreur, autant d'oeuvres qui avaient les honneurs de petits cinémas ou de Drive In. Si de cette tendance il ne fallait retenir qu'une firme, ce serait American international Pictures (1954-1974). Et si en son sein, il ne fallait retenir qu'un réalisateur, ce serait le bon vieux Roger Corman. Corman et AIP, une alliance qui vaudra la reconnaissance si ce n'est de l'or, à l'occasion d'une petite série d'adaptation d'Edgar Poe. Finalement, tout n'est jamais qu'un éternel recommencement. Tel Carl Laemmle et Carreras/Hinds, Corman se lance dans un des plus vieux procédé créatif existant et, adaptant quelques grands textes de la littérature, touche le jackpot, amenant autant de films non seulement essentiels au genre gothique mais incontournables du fantastique. En 1960 sort le premier de tous, La Chute de la Maison Usher, qui deviendra un pur classique. Mettant en scène le grand Vincent Price, pour l'occasion délesté de sa célèbre moustache, La Chute de la Maison Usher respecte les grandes lignes de Poe et prend presque intégralement cadre dans la grande bâtisse maudite. Porté par un Price glacé, La Chute de la Maison Usher joue de ses décors superbes pour installer une ambiance lourde, que renforce les jeux de couleurs de Corman qui, des costumes aux lourdes tentures, enveloppe son film sous une chape rouge sombre. Couleur, qui rime avec Hammer mais aussi avec novateur. Car aussi incroyable que ça puisse paraître, aux Etats-Unis, les films d'horreur colorisés sont encore rares. Avec cette originalité et le créneau "teenagers" d'AIP, on pourrait croire que Corman favorise une certaine modernité dans son approche du genre. D'un sens, c'est un peu vrai, tant Poe y est parfois malmené. Pourtant, la vision de Corman se fait assez traditionnelle, tant sur le soin des costumes ou des décors embrumés que de la présence de Vincent Price. Price qui inaugurera un cycle de comédiens récurrents, aussi confirmés que rattachés de près ou de loin au fantastique. Devant la caméra du cycle Poe défileront ainsi, outre Price, Boris Karloff, Peter Lorre, Hazel Court... autant de vieilles gloires qui vont connaître un nouveau souffle. Si dans la Chute de la Maison Usher la présence du débonnaire Mark Damon -ridicule plus tard dans Ringo au Pistolet d'Or, un Corbucci de mauvaise facture-, introduit une légèreté sans doute bien involontaire, le film développe une aura sinistre, nous faisant parcourir cette tortueuse demeure en forme de purgatoire, où les âmes errent en attendant la fin. Plus que la mort, la maison Usher transpire le désespoir, le désespoir d'une issue forcément fatale qui menace ses occupants, jusqu'à ces catacombes souterraines, où déjà sont préparés les cercueils des protagonistes. Quand au final, somptueux moment rythmé par les flammes et la folie, il sonne telle une séquence de mort, s'achevant sur une ultime épitaphe, les mots immortels de Poe...
Traversons sans attendre l'Atlantique, car une autre merveille nous attend. En cette belle année 1960 en Italie, les plaines sont traversées de soldats romains en jupette, de monstres mythologiques et de héros à la musculature huilée. Le Péplum connaît là son nouvel âge d'or. Impossible cependant d'ignorer le courant fantastique qui émane d'Angleterre et d'ailleurs, le pays a déjà commencé à réagir. Citons pour exemple Les Vampires, de Ricardo Freda, en 1957. Mais le film qui donnera pleinement ses lettres de noblesse au genre et le popularisera par la même occasion, c'est bel et bien Le Masque du Démon, réalisé par un cinéaste qui effectuait là ses premiers pas, Mario Bava. Davantage solide technicien que bon réalisateur au sens strict du terme, Bava est avant tout un homme débrouillard aux idées souvent lumineuses, à qui le temps reconnaîtra, entre deux zooms intempestifs, un style visuel qui aura influencé jusqu'à Dario Argento. Tout en réalisant là son premier long métrage officiel -il aura auparavant achevé quelques tournages du lunatique Ricardo Freda, dont... Les Vampires-, Bava se bombarde également scénariste, directeur photo, cameraman et concepteur d'effets spéciaux. Le résultat, forcément d'une solidité et d'une cohérence exemplaire, fait partie des plus beaux films fantastiques de la période, période qui comme nous allons le voir en dénombre quelques-uns. S'inspirant d'une nouvelle de Nicolaï Gogol, Bava se permet un certain classicisme en plaçant son histoire en Valachie, terre chargée d'histoire puisque ayant porté un certain Vlad "Dracul" Tepes. Bram Stoker n'aurait pas pris meilleure base. Brassant aussi bien les héritages américains qu'anglais, Bava promène la troublante Barbara Steele de sombre crypte en château maudit, dans un noir et blanc magnifique empli de tonnerre et de brume. Construit tel un conte macabre avec prologue et conclusion en voix-off, Le Masque du Démon nous narre la vengeance d'outre-tombe d'une sorcière accusée de vampirisme et exécutée deux siècles plus tôt. Rejouant la plupart des clichés du genre, du voyage en calèche mouvementé à la procession finale des villageois, torches à la main, comme au temps du Frankenstein de James Whale, Le Masque du Démon développe toutefois un style propre, parfois onirique. Une chevauchée au ralenti, un mort sans repos qui sort lentement de sa tombe... Le Masque du Démon est une sorte de livre d'images, secondé par la réalisation envoûtante de Bava, traversée soudain de zooms nerveux, qui signait là l'un de ses meilleurs films. Mais Le Masque du Démon, c'est aussi un film définitivement italien dans son approche. C'est à dire mêlant une certaine sensualité, voir un érotisme encore sous-jacent, à une violence plus explicite qu'à l'accoutumée et en tout cas, emprunte d'un délicieux sadisme. Les premières scènes donnent le ton, avec Barbara Steele entravée, brûlée au fer rouge sous une caméra complaisante, avant de se voir affublée de force du fameux masque du titre, coquille de bronze dont l'intérieur est garni de pointes acérées. Barbara Steele, qui campe simultanément une sorcière revenue d'entre les morts et une princesse en proie à une malédiction. Le tout se terminera par cette scène étrange, où l'une aspirera la vie de l'autre lors d'un contact charnel où le plaisir est présent plus que de raison. La chair, le sang et des décors majoritairement naturels, autant de points presque incontournables du gothique italien qui avec ce chef-d'oeuvre vient d'être définitivement lancé.
Terminons enfin, et c'est en Espagne que nous nous rendons, autour de 1961. Une Espagne dont le cinéma fantastique est tout juste en train de ressusciter et il y aura en cette année un film qui contribuera sans doute à ce nouvel essor : l'Horrible Dr Orlof. Réalisé par un jeune cinéaste du nom de Jésus Franco, l'Horrible Dr Orlof reprend l'aveugle défiguré -qui deviendra le mort vivant Morpho- et le personnage central de The Human Monster, non sans avoir pris soin de l'amputer d'un "f", sans doutes pour éviter le plagiat. Ce constat établi, ce n'est pas tellement surpris que l'on découvre une filiation entre l'Horrible Dr Orlof et la production américaine des années 30 et 40, avec sa dimension tragique et son aspect théâtral. Là où l'Orloff des années 40 était un personnage très manichéen car maléfique et violent, l'Orlof de Franco est un être torturé, accomplissant ses tueries par amour pour sa fille défigurée, espérant lui redonner le visage de ses beaux jours avec la chair de ses victimes. Bien entendu, il ne serait pas illégitime de voir en L'Horrible Dr Orlof une variation un peu opportuniste d'un film, lui, bien de chez nous : les Yeux Sans Visages, un des rares grands films fantastiques français. Le personnage de Morpho est également vecteur de cette dimension tragique, puisque évoluant dans un registre proche de celui de la créature de Frankenstein. Assassin ramené à la vie par Orlof, Morpho est une sorte d'être mécanique, accomplissant froidement ses basses-besognes, mais traversé de fugaces instants de conscience. Comme dans tout bon drame qui se respecte, l'amour causera sa perte, le faisant se retourner contre son créateur. Deux thématiques gothiques mixées l'une dans l'autre dans un film plastiquement superbe, respectant tout à la fois les codes du film policier que ceux du fantastique en costume, mêlant lugubre manoir et moderne commissariat. Mais il est dur d'évoquer l'Horrible Dr Orlof sans faire également un parallèle avec les productions italiennes de la période ou à venir. Cela pour tout d'abord une raison très simple, les Italiens s'entouraient souvent d'équipes espagnoles et vice-versa. Ensuite, notre film de Franco montre un certain attrait pour le sadisme et l'érotisme, nous présentant ici une femme enchaînée et torturée, là une opulente poitrine malaxée en gros plan, scène involontairement burlesque qui fait son petit effet, assuré par un Morpho particulièrement motivé. D'aucun diront, goguenards, que nous avons déjà là les éléments significatifs de la carrière de Franco, ce qui n'est pas franchement faux. Mais comme nous l'avons vu, il s'agit également de traits qui deviendront typiques au gothique transalpin, à quoi il faut rajouter l'utilisation de décors naturels et un certain soucis d'esthétisme de la part de Franco. Et quitte à partir en des analyses échevelées, pourquoi ne pas voir en ce mort-vivant amateur de chair gironde un direct descendant de ces sombres personnages libidineux qui hantaient les pages originelles de la littérature ?
Avec ces trois nouveaux challengers dans la course, les choses tendent plus que jamais à la grandiloquence et les années 60 resteront pour le gothique une période extrêmement riche. Tout d'abord, l'Angleterre, que nous avons lâché en route, ne s'est pourtant pas arrêtée en si bon chemin. La Hammer est en pleine effervescence et développe, entre autres choses, ses deux chevaux de bataille que sont Frankenstein et Dracula. Jusqu'en 1970 compris, trois films de Frankenstein, quatre de Dracula. Dans les deux cas, le schéma est souvent le même : d'un côté, le Baron Frankenstein -sempiternel Peter Cushing- crée un "monstre" aux conséquences désastreuses, pendant que de l'autre, le Comte Dracula -impérissable Christopher Lee-, ressuscite par quelques moyens tordus. Des films de qualités plus ou moins égales, la série des Frankenstein se distinguant en revanche par une caractérisation de plus en plus sombre du Baron. Mais les années 60 anglaises ne se limiteront pas à la Hammer, et comptent aussi une certaine concurrence locale. Des maisons de production comme Amicus, Tyburn ou Tigon Pictures, où l'on retrouve parfois Peter Cushing. Autant de noms battis sur le concept du "à la manière de" (comprenez "de la Hammer"), dont l'histoire retiendra essentiellement Amicus, active jusqu'au milieu des années 70. A la tête de Tigon, compagnie à l'existence éphémère, nous retrouvons Tony Tenser, pour certain, le Roger Corman anglais. Producteur, distributeur, découvreur de talent, notre homme n'a pas attendu Tigon pour mettre la main à la pâte -et au portefeuille- pour les besoins du fantastique anglais. En 1964, il finance en effet The Black Torment, connu chez nous sous le titre Le Spectre Maudit. Se rapprochant plus d'un film en costume que d'un réel gothique, le Spectre Maudit, malgré un twist que l'on grille facilement, est une délicieuse histoire de fantôme. D'une esthétique assez moderne pour un film de ce genre, en témoigne le château fort peu médiéval, le Spectre Maudit est une sorte de petit fourre-tout entre le fantastique, le polar, voir le film de cape et d'épée lors d'un final débouchant sur un duel virevoltant dans les non-règles de l'art. Comme toute production anglaise qui se respecte, nous retrouvons le soin traditionnel apporté aux costumes et décors, mais aussi, et c'est là le plus surprenant, un léger aspect Corman/Poe. Sans être un film majeur de la période, Le Spectre Maudit reste un divertissement plaisant, dont on garde longtemps en tête cette scène terrible voyant le héros de l'histoire, Lord soumis à une malédiction qui le dépasse, poursuivi dans la nuit par un fantôme mugissant un "Assassin ! Assassin !" des plus sinistres.
Pendant ce temps en Espagne, Jésus Franco ne s'arrête pas à Orlof et ré-applique tranquillement la même recette. Noir et blanc, Howard Vernon et jeunes femmes assassinées, voila le menu du Sadique Baron Von Klaus ou des Maîtresses du Dr Jekyll. Corman de son côté, transforme l'essai de La Chute de la Maison Usher et adapte Poe jusqu'en 1965. Le Corbeau, sinistre poème devenu comédie, L'Empire de la Terreur, La Tombe de Ligeia, Le Masque de la Mort Rouge... des films de réussites inégales mais toujours en couleur, mettant en scène des acteurs devenus "cormanien". Au milieu de tout ceci, Corman tourne très rapidement un autre film gothique étrange, The Terror. Souvent improvisé, tourné en quelques jours et voyant se succéder à la caméra un parterre de réalisateurs, alors à leurs débuts, qui aujourd'hui feraient saliver (Corman bien sur, mais aussi Francis Ford Coppola ou Monte Hellman), The Terror met en scène un soldat napoléonien perdu (Jack Nicholson, également en début de carrière), rencontrant un sinistre châtelain hanté par le spectre de sa femme. Mystères, cimetière, brume et château tout en passages secrets où déambule Boris Karloff en robe de chambre, The Terror n'oublie pas de manier l'onirisme. Certes pas un grand film, mais l'ensemble a le calibre d'une gâterie sombre, surélevée par une fin magnifiquement émouvante. Mais c'est finalement en Italie que l'on revient toujours.
L'Italie, dont le gothique s'intercalera tant bien que mal entre la fin du Péplum et les débuts du western-spaghetti, avant que les cinéastes ne passent à autre chose. 1960 restera l'année du Masque du Démon, mais il ne faut pas oublier pour autant d'autres réalisateurs d'importances, qui, profitant du sillage de Bava ou non, offrirent des titres de même importance. Couleur ou Noir et Blanc, l'Italie s'inspire de toutes les écoles pour n'en sortir généralement que le meilleur. Le film le plus proche chronologiquement du Masque du Démon, car sorti la même année, ne s'en inspire curieusement pas. Le Moulin des Supplices, car c'est bien lui, de Giorgio Ferroni, avec son histoire de savant cherchant à sauver sa fille d'un mal mystérieux, entre dans une lignée devant tout à la Hammer et à Corman. Ceci tant du point de vue de la trame que de l'esthétisme, et à ce niveau, il ne serait pas exagéré de dire que le Moulin des Supplices fait partie des plus beaux du genre, avec ses jeux de couleurs et son cadre inhabituel. Et comme pour soulever cette parenté un peu bâtarde, si Le Moulin des Supplices manie fort bien l'érotisme léger, il oublie toute idée de sadisme transalpin. L'Effroyable Secret du Docteur Hichcock -et non pas Hitchcock- en revanche, sombre histoire où un médecin assouvi des penchants nécrophiles, lorgne déjà du côté de Bava, engageant Barbara Steele et mettant en parallèle l'amour et la mort. Un film du vétéran Ricardo Freda (1962), qui joue également la carte couleur. Une étrange partie de ping-pong semble s'engager alors, entre les précurseurs et les nouveaux arrivants. Bava oublie à son tour le Noir et Blanc et réplique en 1963 avec le Corps et le Fouet, empli cette-fois des élans graphiques qu'on lui reconnaîtra par la suite. Cette même année est aussi celle des Trois Visages de la Peur (Bava toujours), dont le sketch central est traversé lui aussi de fulgurances gothiques. La riposte ne se fait pas attendre : un certain Antonio Marghereti livre entre 1963 et 64 tout un triptyque. Marghereti, qui comme Bava est avant tout un technicien (pour sa part réputé dans le domaine des maquettes et effets spéciaux), connaîtra une sorte de carrière type du cinéaste populaire italien. Péplum, SF, gothique, western, sous-Indiana Jones, sous-Alien, film de cannibale, sous-Jaws...une vraie tranche de bis italien, avec un pseudonyme qui sonne bien -Anthony Dawson- pour faire passer le tout ! Entre 63 et 64 donc, Marghereti sort Danse Macabre, La Vierge de Nuremberg et La Sorcière Sanglante, trio dont les extrémités en Noir et Blanc enserrent un coeur en couleur. Bava est ici plus ou moins à l'honneur, le premier opus par exemple pouvant se rapprocher du Old Dark House Movie et se trouvant nanti d'une guest-star de choix, Edgar Poe. En revanche, le casting est éloquent. En effet, Barbara Steele reprend une nouvelle fois du service pour les besoins du premier, Christopher Lee (présent dans le Corps et le Fouet) revêt un uniforme nazi pour les besoins de La Vierge de Nuremberg, et l'inusable Barbara Steele revient fermer la marche dans La Sorcière Sanglante. Et si il fallait une preuve que le gothique de Marghereti est bien italien, ce serait dans ces quelques scènes froides de la Vierge de Nuremberg, montrant ici une victime du fameux instrument de torture, transpercée de toute part, là une infortunée jeune fille en proie à un rat qui lui dévore le nez.
1965 et 66, le va et vient continu et ces deux années respectives nous offrent deux films gothiques d'importance. Le premier, Les Amants d'Outre Tombe, est une nouvelle fois un film en Noir et Blanc qui lorgne plus que jamais vers Bava. Mettant en scène -je vous le donne en mille- Barbara Steele, dans un double rôle qui plus est, rajoutant un peu de Corman et de Hammer pour faire bonne bouche, Les Amants d'Outre Tombe est un film cruel et vénéneux. L'histoire, tordue à souhait, nous montre un médecin torturant et tuant sa conjointe (Barbara Steele, donc) et son amant. Le temps passant, notre homme se remarie avec une jeune femme, ressemblant étrangement à Barbara Steele blonde. Installée dans le château de son époux, celle-ci ne va pas tarder à être assaillie de cauchemars et de voix. Folie ou vengeance de l'au-delà ? On pourra reprocher des choses aux Amants d'Outre Tombe, c'est un fait, notamment une happy-end malvenue. Mais son ambiance ambiguë, le regard trouble de Barbara Steele et une poignée de scènes hallucinées, le tout baignant dans une photo de toute beauté, n'en font rien de moins qu'un classique du genre. Glacé, sadique et privilégiant une violence explicite, Les Amants d'Outre Tombe, macabre méli-mélo de savant fou, de vengeance et de schizophrénie fait partie des réussites immanquables du gothique italien. Mais un an plus tard, c'est Mario Bava qui se rappelle à notre bon souvenir avec son avant-dernier film gothique. 1966 est l'année d'Opération Peur, qui est en outre un des Bava les plus célèbres. L'homme, qui entre temps aura inventé le giallo (La Fille qui en savait trop, 6 Femmes pour l'Assassin) et sorti une Planète des Vampires bariolée, chacun démontrant le sens esthétique du réalisateur, nous livre en toute logique un film visuellement très aboutit. Opération Peur est un film qui baigne dans l'étrange, déroulant une intrigue tortueuse dont on ne voit pas le bout, mêlant polar et fantastique. Entre atmosphères colorées et magnifiques décors d'une ville fortifiée traversée par la brume, nous suivons une succession de petites saynètes. Un rituel ancestrale jouant de la flagellation, un visage qui apparaît furtivement derrière un fenêtre embuée, jusqu'à un dernier acte au bord de la folie où le héros, piégée d'une gigantesque demeure, se voit se poursuivre lui-même dans une succession de pièces ininterrompues. L'ambiance est lourde, les bouches sont closes et la violence frise une certaine idée du gore. Malheureusement, toute la beauté du film ne suffit pas à pallier des carences de rythme et une réalisation étrangement datée, alors que celle du Masque du Démon parait encore dynamique. Mario Bava a toujours eu un penchant, comme nombre de ses compatriotes, pour le zoom. Ici plus qu'ailleurs, il semble en abuser. Zoom sur un visage, zoom sur un meurtre, zoom sur une fenêtre...le procédé fini par fatiguer. Et c'est très regrettable, car d'une technique plus subtile, nous tenions là un très grand film.
Le tour d'horizon du gothique italien ne pourrait enfin être complet sans une caractéristique assez folle du cinéma transalpin : les fusions. Car oui, au pays des lasagnes, on aime à mélanger les choses et le gothique ne manque pas de déborder sur d'autres genres en vogue. Au temps du Péplum déjà, avec des films comme Maciste en Enfer, ou Hercule contre les Vampires. Des mixages originaux mais finalement cohérents, le Péplum n'étant jamais éloigné d'un certain axe fantastique. Plus curieux, c'est également dans le western que le gothique s'immisce quelques fois. En 1967 sort un western bien étrange, Tire Encore si tu Peux. Mis en scène par l'énigmatique Giulio Questi, Tire Encore si Tu Peux mélange habilement les deux codes. Dans une ville-purgatoire où déambule un mercenaire fantomatique, nous assistons à quelque scènes n'ayant plus rien à voir avec l'héritage de Sergio Leone. Ici un cimetière profané, là une dame séquestrée, jusqu'à un incendie final que n'aurait pas renié Terence Fisher, où le méchant de service succombe, le visage recouvert d'or en fusion. Et quand un solide nom du fantastique gothique comme Marghereti s'essaye au western, cela donne Et Le Vent apporta la Violence (1970), plaçant des éléments chers au genre au milieu d'une histoire de vengeance classiquement westernienne. Dans une moindre mesure, nous pouvons citer Avec Django la Mort est Là, du même Marghereti.
Les années 60 sont une décennie de paradoxe, car tout à la fois celle d'un gothique à son point culminant, mais aussi celle d'une certaine lassitude. "J'en avais un peu marre d'écrire des films fantastiques gothiques et je voulais en finir avec le genre. J'ai donc écrit un film répugnant prenant pour sujet la nécrophilie, dans l'espoir d'enterrer le genre". Une déclaration explicite du scénariste Ernesto Gastaldi, interrogé à propos de l'Effroyable Secret du Dr Hichcock. De fait, il n'est pas tellement surprenant de voir une sorte de tassement à l'approche des années 70. D'ailleurs, interrogeons-nous sur un film très réussi, mais sans-doute représentatif de cette sorte de ras-le-bol : Le Bal des Vampires, de Roman Polanski. Attendez avant de hurler, je m'explique. Car que fait Roman Polanski en 1967, si ce n'est nous offrir une comédie/hommage forte habile d'un genre très codifié ? Bien sur, le gothique n'a pas attendu Polanski pour se fendre de traits d'humour -voir Le Corbeau de Corman-, mais le Bal des Vampires, frisant parfois la parodie, montre peut être qu'il est temps de se moquer gentiment de ce registre bien austère, plutôt que de refaire les sempiternels même films poussiéreux. Ceci étant dit, le Bal des Vampires est certes une comédie, mais une comédie bourrée de charme, respectant ou détournant chaque lieux communs et développant un univers visuel complètement irréel, entre le conte de fée et le cartoon. Mais malgré tout, les modes passent. Les années 70, qui tout en offrant certains des films les plus fous du genre, seront aussi synonymes du début de la fin.