7/10Sergio Leone : La trilogie de l'Homme sans nom

/ Critique - écrit par Lestat, le 24/08/2003
Notre verdict : 7/10 - Pour une poignée de dollars (Fiche technique)

Tags : dollars leone sergio film brute truand eastwood

Critique de la trilogie de l'Homme sans nom : Pour une poignée de dollars, Et pour quelques dollars de plus et Le bon, la brute et le truand

Petite bourgade, faite de planches et de sables, calée entre deux frontières. Sous un soleil de plomb quelques pauvres âmes éperonnent des montures fatiguées. Rien ne vient troubler le silence si ce n'est le son sinistre du glas qui sonne au loin. Dans la poussière que soulève un vent trop rare se dessine une silhouette. L'homme, qui se dresse là, est grand et sec comme un coup de trique. Ses mains sont invisibles sous son poncho et pourtant tout le monde sait qu'elles sont dangereuses...

Des scènes comme celles-là, il nous en vient tous en tête à l'évocation du mot "western". Au préalable genre typiquement américain retraçant la folle époque de la conquête de l'Ouest, le genre migra en Europe où il fut repris avec plus ou moins de conviction. Ce sont assurément les transalpins qui réussirent le mieux la conversion, en incrustant une bonne dose de violence, de crasse et de lâcheté. Ces films, d'une nature alors inédite, nous les devons à Sergio Leone. Non content d'inventer le genre à lui tout seul, Leone le transfigura, créant des films mythiques et des personnages qui ne le sont pas moins.


Son coup d'essai, sans être un coup de maître, détermine déjà tout ce que sera ce qu'on appellera désormais le "western spaghetti".
Un chapeau troué, un poncho sale, un cigarillo au coin de la bouche et une gâchette aussi facile que rapide, Pour une poignée de dollars nous présente sans plus de manières ce qui deviendra le plus célèbre des inconnus. Mais tout ceci, nous ne le savons pas encore. Pour l'instant, ce cow-boy couvert de poussière boit l'eau d'un puits, essayant de ne pas se préoccuper de la petite bagarre qui se déroule non loin de lui. Les temps sont durs et mieux vaut se mêler de ses affaires. A San Miguel pourtant, où il n'espérait rien d'autre que le gîte et le couvert, le destin va le rattraper, en la personne de quatre voyous qui ont cru bon d'emballer sa mule. Les coups de feux rapides troublent la léthargie de la petite ville. Les affaires reprennent pour le croque-mort.
L'appât du gain aidant, notre cavalier solitaire fera le ménage à San Miguel, éliminant les deux cartels en présence. Puis il s'en retournera. Qui est ce tueur implacable ? d'où vient il ? le générique de fin venu, on n'en saura pas plus. Peu importe, il en faut parfois peu pour créer une légende...
C'est ce qui arriva. Et c'est à coups de flingues que L'Homme sans nom entra dans l'histoire du cinéma, ouvrant toutes les portes à un jeune acteur de seconde zone, que le rôle propulsa vers les étoiles. Clint Eastwood, car c'est bien lui, campe à merveille ce personnage froid, cynique et calculateur, au point de devenir avec John Wayne l'archétype du cow-boy, même si tout oppose les deux personnages. Car à la différence de John Wayne, Clint peut tirer dans le dos...
Techniquement, Pour une poignée de dollars pourrait être considéré comme le brouillon des deux films suivants. Si le suspense, l'esprit et l'humour particuliers sont déjà là, les gunfights sont moins bien rendus, les personnages moins travaillés. La musique, déjà légendaire, du grand Ennio Morricone laisse également un petit goût d'inachevé.
Malgré tout, le film comprend certains moments d'anthologie, comme le final mythique où l'Homme sans nom utilise une plaque de métal afin de se protéger des balles, remportant ainsi son dernier duel, sans oublier la mort de Ramon (joué par Gian Maria Volonte, acteur récurrent du cinéma populaire italien), filmé en vue subjective du point de vue même du mourant.

Plat sushi resservi à la sauce tex-mex, Pour une poignée de dollars est un remake avoué du Yojimbo de Kurosawa. Pour l'anecdote, le film de Leone inspira largement Walter Hill pour son excellent Dernier recours, où Bruce Willis joue les mercenaires durant la Prohibition.
D'un intérêt historique certain, Pour une poignée de dollars vaut réellement le détour, même s'il fait petite figure à côté de ses deux suites.


Suite qui vient une année plus tard. Baptisé ... Et pour quelques dollars de plus, cette séquelle revendique immédiatement son appartenance au premier film de Leone. On retrouve les mêmes silhouettes blanches sur fond rouge dans le générique, le même thème musical, néanmoins plus travaillé et rallongé de quelques mesures et surtout, on retrouve Clint Eastwood, son poncho et son cigare.
L'Homme sans nom est ici surnommé le Manchot, pour une raison floue. On soupçonne que la cause en est sa main broyée dans l'épisode précédent. Toujours motivé par l'argent, c'est en chasseur de prime que nous le retrouvons.
Si Pour une poignée de dollars était une sorte de brouillon, Et pour quelques dollars de plus trouve enfin le souffle d'un grand film. Plus fouillé, mieux chorégraphié, ce nouvel opus trouve sa force dans un superbe face à face, avec l'excellent Lee Van Cleef. Acteur ténébreux aux petits yeux cruels et à la moustache tombante, Van Cleef joue Le Colonel. Lui non plus n'a pas de nom. Chasseur de prime désabusé, propulsé par son désir de vengeance, préférant la ruse au duel pur et dur, Le Colonel se démarque d'un Manchot un peu chien fou, capable de descendre trois personnes sans sourciller. Une sorte de choc des cultures, où l'anti-héros solitaire semble rencontrer son double, un double que les années auraient rendu plus sage et plus prudent. Et pour quelques dollars de plus se pare ainsi d'une dimension presque mythologique, où Clint rencontre en quelque sorte sa destinée personifiée, en proie d'une croisade perpétuelle qui ne sera apaisée qu'au dénouement du film. Film qui par ailleurs déborde de scènes extraordinaires. Le final, pour ne citer que lui, haletant duel rythmé par la musique mélancolique d'une montre à gousset, où Gian Maria Volonte, dans un rôle de chef de bande assassin qui lui va comme un gant, mord une fois de plus la poussière...
Et pour quelques dollars de plus fait sûrement partie des meilleurs westerns spaghetti existants. Tout comme l'Homme sans nom, le personnage de chasseur de primes campé par Lee Van Cleef resta dans les mémoires. On le retrouvera notamment dans un album de Lucky Luke.


Un film qui inventa un genre, un deuxième qui le consolida. Ne manque qu'un troisième pour le transfigurer. Il arrivera un an plus tard, en 1966. Le Bon, la Brute et le Truand est le chef d'oeuvre qu'il manquait à Leone pour boucler sa trilogie.
Ce dernier volet se démarque nettement des deux précédents. Chronologiquement, il se situerait même avant ces prédécesseurs. Terminée depuis belle lurette dans Et pour quelques dollars de plus, la guerre de Sécession ici fait rage. L'Homme sans nom, surnommé Blondin, n'a pas encore son poncho. Il ne le trouvera que bien plus tard, sur la dépouille d'un soldat sudiste. Pour l'instant, il porte un cache-poussière jaunâtre encore vierge dans la légende. Autour d'Eastwood gravitent désormais Lee Van Cleef et un nouveau venu, Eli Wallach.
Tout est dans le titre : un bon, une brute, un truand. Un trio atypique aux rôles interchangeables. En effet, l'Homme sans Nom, soit le Bon, n'a jamais paru aussi manipulateur et ambigü. Tuco (Wallach), soit le Truand, est finalement un brave homme qui n'est devenu bandit que pour nourrir sa famille. Setenza (Van Cleef) détient certainement le rôle le plus approprié, ne sortant que rarement de son étiquette de Brute, pour parfois prendre celle de Truand.
Trois sales tronches dont Leone nous conte la course effrénée vers un hypothétique trésor.
Que dire de ce film ? chaque plan mériterait d'être analysé en détail, tant ils sont mythiques. L'humour cynique est toujours là, les personnages sont encore plus travaillés, les combats sont superbement filmés, le tout rythmé (soutenu ?) par la musique lancinante d'Ennio Morricone, intervenant ne serait-ce que pour souligner une action ou une parole. Sans parler de certaines répliques devenues cultes, dont certaines résument tout la philosophie des westerns spaghetti. On reprocha à Leone les longs silences et l'aridité qui peuplait ses films. Et c'est dans la bouche que Tuco que se trouve l'explication : "Quand on tire, on tire. On raconte pas sa vie". La fameuse tirade sur les deux catégories divisant le monde montre traduit également le monde impitoyable retracé par les westerns transalpins : un monde où le rapport de force change selon que l'on ait ou non sa pétoire à portée de main, où les opportunités doivent être saisies au détriment des alliances et des amitiés.

Le final, une fois de plus d'anthologie, est un hallucinant duel à trois, au coeur d'un cimetière où tous les coups sont permis. L'affinité n'existe plus, persistent juste trois hommes et trois flingues et au milieu, les sacs d'or. Du grand art, probablement une des meilleures scènes de duel de l'histoire du cinéma.
Avec Le Bon, la Brute et le Truand, Clint Eastwood tourna paradoxalement la première aventure de son personnage mais la dernière fois pour le réalisateur qui lui donna sa chance...

Quant à Leone, il tournait trois ans plus tard l'un de ses derniers westerns : Il était une fois dans l'Ouest, immortel chef d'oeuvre mettant en scène un Charles Bronson encore glabre, avant de changer de registre et s'attaquer à la révolution mexicaine.

Le western spaghetti a fait école, au point que les Américains s'en inspirèrent pour certaines productions. Citons Mort ou Vif de Sam Raimi ou L'Homme des Hautes Plaines de... Clint Eastwood. Une manière de boucler la boucle...

Tout comme le western traditionnel, le spaghetti a fini par décliner puis par mourir. On retiendra outre quelques oeuvres l'extraordinaire état d'esprit des productions italiennes, toujours à la limite de la parodie et parfois immorales. Des films où les héros n'en étaient pas. Où les personnages étaient crasseux, malgré leurs dents magnifiques. Où l'on défouraillait pour un rien. Où femmes et enfants pouvaient y passer. Et malgré tout, que l'on avait plaisir à regarder...