Le ruban blanc
Cinéma / Critique - écrit par nazonfly, le 12/11/2009 (Plongée au cœur du mal dans un petit village allemand quelques années avant la Première Guerre Mondiale. Un film magnifique et brillant.
Palme d'Or controversée du Festival de Cannes 2009, Le ruban blanc de Michael Haneke sort enfin sur les écrans français. L'histoire de ce film est d'une austérité marquante et pose la question du mal et de sa source, même si on pourrait y voir un plaidoyer contre le retour à un passé éducatif suranné.
Blanc comme la neige, noir comme l'âme
Les Choristes v2.0Dès les premières minutes du film, le spectateur sait qu'il est embarqué dans un univers épuré : le titre en blanc sur fond noir barre l'écran, Das Weiße Band - Eine deutsche Kindergeschichte, suivi par un générique d'un dépouillement exemplaire. Haneke privilégie clairement la sobriété aux effets de manche : la réalisation en noir et blanc renforce encore cette impression d'extrême dénuement tout en magnifiant les personnages et les paysages. De la même façon, l'absence de musique additionnelle et des plans pour la plupart fixes finissent de donner au Ruban blanc un côté âpre et austère. Quant à la parole, elle n'est pas rare mais elle est rude et sèche, souvent cinglante comme la langue de Goethe sait parfois si bien l'exprimer. Dans cette atmosphère dépouillée se cache un petit village, quelque part en Allemagne à l'aube de la Première Guerre Mondiale. Un village apparemment tranquille dirigé de main de fer par le baron et le pasteur, mais un village où les éléments violents mystérieux se succèdent avec une fréquence inquiétante : le médecin du village subit un terrible accident de cheval, une femme tombe à travers un plancher pourri, un gamin est retrouvé attaché et flagellé à coups de badine. Le mal est assurément dans le village.
Les enfants damnés
Bernie v2.0Comme dans Funny games ou Caché, le nouveau film de Haneke s'interroge sur la violence et son origine. Il n'est d'ailleurs pas innocent que Le ruban blanc se déroule dans les années précédant l'assassinat de l'archiduc François-Ferdinand qui conduira à la Première Guerre Mondiale. Il semble, en effet, qu'il n'y ait presque aucun innocent dans ce petit village. Tous les habitants sont, à un degré plus ou moins important, coupables d'un méfait ou d'un autre. Les enfants sont bien sûr mis en première ligne avec la cruauté qu'ils peuvent parfois montrer : les chères petites têtes blondes ne sont d'ailleurs pas sans rappeler Le Village des damnés, inquiétantes et peut-être dangereuses. Mais leurs agissements ne semblent finalement que refléter la perversité de leur entourage. Ainsi les aspects les plus sombres se révèlent : la plupart des habitants ont la main plus que leste sur leurs enfants, untel se fait vengeance lui-même et provoque le malheur autour de lui, un autre profite de sa jeune fille et lance des paroles humiliantes à sa maîtresse. Car, plus que de violence, c'est principalement d'humiliation qu'il s'agit ici : l'humiliation de cette femme par son amant, l'humiliation d'un masturbateur précoce par son père, l'humiliation qui peut conduire à la mort...
La morale enseignée par le fouet
Le baiser mortel du dragon v2.0Mais Le ruban blanc est aussi une terrible démonstration de ce qu'était la vie dans un passé fantasmé. Le monde dépeint ici est dur et sans pitié. Le travail de la terre ne suffit pas à nourrir les familles nombreuses où la naissance d'un garçon peut être vue comme une quasi-catastrophe. Les paysans sont ainsi enchaînés au bon vouloir d'un baron tout-puissant, les enfants sont enchaînés au bon vouloir de leurs parents, le pasteur est enchaîné dans une morale stricte et sans degrés de liberté. Ce dernier pose d'ailleurs la question de l'éducation au début du siècle. Depuis quelques années, la volonté de revenir à des méthodes d'éducation basées sur la morale et la fermeté est patente. Haneke cherche ici à montrer qu'au contraire, un cadre trop rigide entraîne forcément un retour de bâton fort et violent.
Moins rude que l'on peut s'y attendre, Le ruban blanc est aussi une enquête prenante pour trouver les coupables des actes odieux. Mais la principale qualité du film est bien sûr cette amorce de réflexion sur l'éducation et la morale assénées par les coups de badine.