Le Père Noël est une ordure
Cinéma / Critique - écrit par riffhifi, le 24/12/2008 (Il y a des films magiques, dont on ne saurait trop dire ce qui les rend inusables. Ici, outre la qualité incontestable des gags et des dialogues, il y a la grâce au-delà de la vulgarité, la tendresse au-delà de la cruauté. Et puis bon, on se bidonne.
Après avoir remporté un beau succès avec les Bronzés et sa suite hivernale, l'équipe du Splendid est prête à porter à l'écran son autre réussite théâtrale : Le Père Noël est une ordure. Mais nous sommes en 1982, et le grand public n'est prêt ni à un titre aussi offensif (la RATP refuse de placarder les affiches dans ses couloirs), ni au spectacle d'une galerie de clochards et de travelos qui se mettent
"N'y voyez pas le fantasme de l'homme..."sur la tronche un soir de Noël. Pourtant, en quelques années, le film s'imposera comme un classique de Noël (bien que sa sortie cinéma ait eu lieu en août !), au rythme impeccablement orchestré autour d'une enfilade imparable de répliques-cultes.
« Réveillon-surprise au Pigallos ! »
Laissés seuls par Marie-Ange Musquin (Josiane Balasko), Pierre (Thierry Lhermitte) et Thérèse (Anémone) sont de permanence chez SOS Détresse Amitié le soir de Noël. Leur flirt timide et guindé va se voir sévèrement perturbé par les irruptions du voisin Monsieur Preskovic (Bruno Moynot), du travesti Katia (Christian Clavier), et surtout du couple pittoresque que forment Zézette (Marie-Anne Chazel) et Félix (Gérard Jugnot).
« Mais... c'est de la merde ?! - Non, c'est kloug. »
Là où Les bronzés dressait une galerie de portraits à travers une série de sketchs décousus, Le Père Noël concentre ses personnages dans une unité de lieu (relative) et de temps qui les conduit inexorablement à un final d'une violence terrassante. Mieux écrit que la pièce, qui restait un peu brouillonne, le scénario oppose habilement le clan des coincés (Lhermitte, Anémone, Balasko) à celui des vulgaires (Jugnot, Chazel, Clavier), sans épargner personne. Pourtant, chacun des protagonistes possède quelque chose d'émouvant, au-delà de sa bêtise, de
"C'est une catastrophe !"sa méchanceté, de son sans-gêne ou de sa préciosité. En ce début d'années 80, voir un couple de clochards se disputer à coups de fer à repasser puis se réconcilier dans des circonstances atroces, ou encore un travelo agissant comme un individu plus complexe que la caricature popularisée par Michel Serrault dans La cage aux folles, représente une expérience aussi inédite qu'appréciable.
« J'ai les jambes en coton-tige. »
Bien entendu, la force principale du film réside dans ses dialogues géniaux, dont plus de la moitié provoquent le rire ou le sourire. Réutilisables à l'envi, les gags font toujours rire à la centième vision, qu'il s'agisse des attentions culinaires de Monsieur Preskovic (les doubitchous, le kloug aux marrons), des tics de langage de Pierre (« c'est c'lààà, oui », « c'est une catastrophe »), de la logorrhée ordurière de Michel Blanc au téléphone (« Je t'encule, Thérèse... ») ou des engueulades épiques de Félix et Zézette. La réalisation de Jean-Marie Poiré, admirablement sobre quand on sait qu'il commettra plus tard une série de comédies épileptiques avec Christian Clavier (Les Visiteurs 1, 2, 3, Les anges gardiens), est entièrement au service des comédiens, qui sont tous d'autant plus drôles qu'ils ont écrit leurs répliques eux-mêmes.
« Oui, ça évidemment, on vous demande de répondre par oui ou par non, alors "ça dépend" ça dépasse. »
"Je vais tirer dans la grosse !"Parvenant à extraire la drôlerie des pires sujets de déprimes (les suicidaires de Noël, la solitude, l'exclusion...), Le Père Noël est une ordure cristallise les meilleures performances de ses interprètes dans un tourbillon comique qui ne mollit pas un seul instant. Tour à tour envahissants, plaintifs, colériques, Jugnot et Clavier fournissent sans doute les moments les plus mémorables ; quoique, l'échange de cadeaux entre Lhermitte et Anémone... Bon, inutile de choisir, rien n'est à jeter.
« Vous êtes myopes des yeux, myopes du cœur et myopes du cul ! »
Inutile de dire que le remake américain de 1994, intitulé Mixed nuts, fera un flop en France, où il n'est diffusé qu'en vidéo malgré la présence à la réalisation de Nora Ephron (Nuits blanches à Seattle) et devant la caméra de Steve Martin, Anthony LaPaglia et Adam Sandler (pas encore connu). Quant à savoir ce qu'il serait advenu si Jugnot, Lhermitte & Co avaient décidé de faire Le Père Noël 2 plutôt que Les Bronzés 3 en 2005...