Jackie Brown vs. Hors d'atteinte
Cinéma / Critique - écrit par riffhifi, le 09/09/2009 (Tags : film jackie brown cinema tarantino hors atteinte
En 1998, Elmore Leonard était sur tous les fronts. Quentin Tarantino et Steven Soderbergh livraient chacun une adaptation d'un de ses romans, avec Michael Keaton en dénominateur commun.
Nous sommes en 1997. L'écrivain et scénariste Elmore Leonard a vu ses bouquins adaptés à la chaîne depuis deux ans : Barry Sonnenfeld a ouvert le feu en tournant Get Shorty avec John Travolta, Gene Hackman, Rene Russo et Danny DeVito, puis quatre autres romans ont été adaptés au cinéma ou à la télévision avec des noms comme Peter Falk, Tom Selleck ou encore Christopher Walken. Western et polar sont les deux maîtres genres de sa bibliographie, mais c'est le
deuxième qui va lui valoir le beau doublé de 1998 : Jackie Brown réalisé par Quentin Tarantino (d'après le roman Rum Punch, sorti chez nous sous le titre Punch créole), et Hors d'atteinte de Steven Soderbergh. Outre la proximité de thème et la présence commune de Michael Keaton dans le rôle secondaire de Ray Nicolette, on note que chacun des deux films apparaît comme un tournant dans la carrière de son réalisateur. D'ailleurs, Tarantino et Soderbergh fêtaient tous les deux leurs 35 ans cette année-là...
Le premier à sortir est l'opus de QT : auréolé des succès de Reservoir Dogs et Pulp Fiction, le réalisateur cherche à la fois à consolider son univers et à offrir un film plus intimiste, davantage axé sur les personnages que sur les situations ou les gags. Quelques mois plus tard, Soderbergh fera Hors d'atteinte... pour toucher un public plus large, et proposer un film "à la Tarantino" ! Il empruntera d'ailleurs à son confrère plusieurs acteurs (le George Clooney d'Une nuit en enfer, le Ving Rhames de Pulp Fiction, le Michael Keaton précédemment cité, et même Samuel L. Jackson pour une apparition clin d'œil), usera des allers-retours temporels que Jackie Brown se sera pourtant interdit, insistera sur la nature cinéphile de ses personnages, et poussera le vice jusqu'à enfermer ses protagonistes dans un coffre de voiture, se faisant ainsi l'écho des traditionnels "plans de coffre"
Robert De Niro et Samuel L.
Jackson dans Jackie Browntarantiniens.
De part et d'autre, il est question d'une histoire d'amour problématique noyée dans une intrigue-prétexte policière. Dans Jackie Brown, le personnage éponyme interprété par Pam Grier est de mèche avec le truand Ordell Robbie (l'inimitable Samuel L. Jackson), ce qui empêche Max Cherry (Robert Forster), un "garant de cautions judiciaires" qui escorte des prisonniers vers et hors de taule, de s'autoriser à l'aimer. Dans Hors d'atteinte, la situation est inversée : c'est Jack Foley (George Clooney) qui braque des banques et s'évade de prison, tandis que Karen Sisco (Jennifer Lopez, un an après U-Turn d'Oliver Stone) est flic et fille de flic (le Marshall Sisco est interprété par l'ex-policier Dennis Farina). Si le premier couple fait appel à la mémoire du spectateur féru de séries B 70s (Pam Grier est une vedette de la blaxploitation, Robert Forster une ex-tête d'affiche de cette époque), le second s'avère autrement plus ‘hype' et glamour, avec son Dr Ross changé en braqueur impénitent et sa J-Lo pas encore vouée à la ringardise. Lopez et Clooney constituent réellement le cœur du film, entouré d'une galerie de personnages secondaires savoureux et/ou hilarants (Don Cheadle ! Steve Zahn !), tandis que le couple de Jackie Brown s'efface volontiers derrière des seconds couteaux plus intéressants qu'eux (Sam Jackson incroyablement menaçant, Robert De Niro inattendu en semi-neuneu, Bridget Fonda en junkie apathique). Cet équilibre improbable, combiné à une lenteur exacerbée du récit, a mené le film de Tarantino à un relatif bide public, malgré une bande originale toujours irréprochable composée de perles rétro. En revanche, le rythme plus enjoué du Soderbergh a permis à son réalisateur d'entrer dans une nouvelle ère, après dix
Jennifer Lopez et George
Clooney dans Hors d'atteinteans de films intimistes qui ne lui donnaient pas une grande visibilité auprès du grand public (et l'empêchaient donc de décrocher les gros budgets à Hollywood). A la suite d'Hors d'atteinte, il récoltera de beaux succès appelés Erin Brockovich et Traffic, et continuera à alterner polar décontractos (L'Anglais, Ocean's eleven et ses deux suites), films à gros budgets (Solaris, Che) et mini-productions quasiment expérimentales dont la distribution reste limitée (Bubble, Girlfriend Experience). Il retravaillera régulièrement avec Clooney, et fondera avec lui la maison de production Section Eight. Tarantino, de son côté, signait avec Jackie Brown la fin de son cycle "gangsters & pognon" et attendra près de six ans avant de livrer sa réalisation suivante.
Et Elmore Leonard ? Il est un peu passé de mode, mais a vu produire la suite de Get Shorty (Be cool en 2005, bof), ainsi qu'une courte série TV dans laquelle on retrouvait le personnage de Karen Sisco, désormais interprété par Carla Gugino. Et dans le rôle de son papa... Robert Forster ! Le monde est petit.