Il était une fois dans l'Ouest
Cinéma / Critique - écrit par Lestat, le 17/05/2004 (Tags : dans film fois leone frank ouest sergio
Il était une fois un chef d'oeuvre
Six ans après Pour une poignée de dollars qui inventa le western spaghetti, ou tout du moins ses clichés, Sergio Leone remettait le couvert en 1969 avec cette ultime incursion dans le genre en tant que réalisateur, en profitant au passage pour entamer une nouvelle trilogie. Après les trois aventures de l'Homme sans Nom, la série non moins célèbre des Il était une fois... faisait son apparition, avec ses thèmes et ses partis pris. Il était une fois en Amérique, Il était une fois la révolution et ce qui nous intéresse aujourd'hui, Il était une fois dans l'ouest marquent une sorte de rupture dans l'oeuvre de Sergio Leone. Des films souvent mélancoliques, réalistes, cassant les codes et les clichés. Il était une fois la révolution se présente ainsi comme une diatribe contre l'héroïsme de tout poil, où les idéaux ne valent rien. Avec Il était une fois dans l'ouest, Sergio Leone réalise probablement ici son western le plus manichéen, le plus symbolique et à vocation la moins divertissante.
A film hors normes, équipe hors normes, c'est toujours flanqué de ses fidèles Sergio Donati (écriture) et Ennio Morricone (partitions) que Leone s'entoure entre autre de Bernardo Bertolucci, et d'un nom qui deviendra par la suite incontournable dans le monde de l'horreur et giallo : Dario Argento. Celui qui ne faisait pas encore partie des "maîtres italiens", trouvait ici l'une de ses premières expériences cinématographiques en co-signant avec les deux Sergio et le futur réalisateur du Dernier Empereur ce western en forme de contrepied. Contrepied car avec Il était une fois dans l'ouest, Sergio Leone envoie littéralement valser son propre héritage.
Le western spaghetti révolutionna une bonne partie des codes narratifs alors en vigueur dans ce genre tout ce qu'il y a de plus américain. Aux personnages loyaux et proprets s'opposaient désormais des hommes typés et poussiéreux qu'il valait mieux avoir sous la main que derrière soi. Des pistoleros qui dézinguaient la racaille par paquet de trois, traversant leurs films avec un sillage d'immortalité. Il était une fois dans l'ouest fait figure de grand chambardement, revenant quasiment aux sources du genre avec une approche beaucoup plus américaine et moins ambiguë que ses prédécesseurs. Tout débute par une longue scène d'intro. Dix minutes sans dialogues, rythmées par le grincement lointain d'une éolienne. Un début qui renoue avec une certaine forme de théâtre et qui hésite à se prendre au sérieux, s'attardant sur des détails aussi anodins qu'une mouche ou une petite fuite d'eau. C'est ici que nous ferons connaissance avec Harmonica, attendu par un trio patibulaire. C'est le moment pour ceux qui ont vu Pour une poignée de dollars de se caler dans leurs fauteuils : la poudre va parler, et plutôt trois fois qu'une. Mais Leone n'a pas dit son dernier mot et ce qui apparaît comme une scène-signature devient soudain le vecteur de tout ce que développe le film. Harmonica s'effondre à son tour, touché par une balle perdue. Les héros ne sont que des hommes...
Mais qui sont-ils, ces hommes ? Ils s'appellent Harmonica, le Cheyenne et Franck. Et il y a bien sûr une femme. Dans les westerns de Leone où s'affrontent des fripouilles couvertes de poussières avec petit rictus de circonstance, dire que peu
de femmes ont leur place serait un doux euphémisme. Machisme à l'italienne ? Peut-être pas : Pour une poignée de dollars ne montrait-il pas un Clint Eastwood perdant de son aplomb face à une demoiselle en détresse ? Une scène troublante qui sera beaucoup mieux développée par Walter Hill dans Dernier recours (qui n'est qu'une relecture du film dans les années 50), lorsque Bruce Willis se voit dire "tu tomberas à cause d'une dame". Quoi qu'il en soit, le personnage de Jill Mc Bain, incarnée par Claudia Cardinale, change la donne et s'impose finalement comme la véritable héroïne. Cet élément féminin permet de justifier tout le travail de déconstruction de Leone, apportant une sensibilité et une mélancolie qui deviendront caractéristiques de ses futures productions.
Mais l'autre point de rupture réside dans le personnage d'Harmonica. Clint Eastwood apparaissait comme l'anti John Wayne. Dans Il était une fois dans l'ouest, Harmonica se présente d'emblée comme l'anti Clint. Charles Bronson, qui à l'époque stagnait dans les seconds rôles (malgré des films prestigieux, comme Les 7 mercenaires ou Les 12 salopards), compose un personnage dur, peu loquace, mais vulnérable et habité par un but vengeur dont on ne découvrira le fin mot qu'à la fin du métrage. Personnage quasi-mystique, Harmonica n'est pas une gâchette facile, ne répondant pas aux provocations, comme le montrera la scène du petit bar où il fera sa première rencontre avec le Cheyenne. Sergio Leone sait très bien ce qu'attend son public et prend un malin plaisir à ne pas lui fournir ce qu'il veut, canalisant toute cette énergie pour soudain la lâcher dans le duel final, moment de splendeur où Harmonica tire son flingue une dernière fois le temps d'une scène culte. Harmonica se libère et Leone aussi, explosant sa mise en scène et osant les gros plans les plus extrêmes. Harmonica n'est pas ambigu, sait se montrer loyal et capable de sentiments lorsque sa mission terminée, il sort de sa carapace et s'en retourne à regrets.
Avec Jill et Harmonica, Leone développe un style de personnage qui ne lui était à première vue pas familier. Des personnages de durs aux pieds d'argile, désabusés et tragiques. Pourtant, il y a un protagoniste qui rappelle soudain l'école italienne et s'impose tel un trait d'union entre les deux approches : le Cheyenne.
Le Cheyenne dans la grammaire de Leone pourrait se rapprocher du Truand, du Bon, la Brute et le Truand. Bandit farouche, fine gâchette et fidèle en amitié, philosophe à ses heures, il partage avec le personnage d'Eli Walach un côté burlesque et le goût pour les petites phrases qui résument la vie. Le Cheyenne, pourtant cantonné en second rôle, se révèle être un personnage majeur. Tel le Prologue, ce faux personnage que l'on utilise en théâtre pour introduire tous les autres, le Cheyenne donne des noms et catalogue chacun, surnommant ses rencontres : "Harmonica" pour le mystérieux étranger, "fillette" pour Mme Mc Bain, "Taff Taff" pour M. Morton. Sans lui, Il était une fois dans l'ouest serait un film à Homme sans Nom plutôt qu'un film à... Hommes à surnoms. D'Harmonica on ne connaîtra jamais le patronyme. Le Cheyenne s'est autoproclamé ainsi. Jill Mc Bain, outre d'hériter du nom de son ancien mari est une ancienne prostituée, faisant apparaître le Jill comme un éventuel pseudonyme. Franck n'est qu'un prénom. Reste M. Morton, homme d'affaire crapuleux et rongé par la tuberculose. Comme Harmonica le laissera entendre, les hommes d'affaires apparaissent ici comme une sorte de race supérieure, ceci expliquant ce statut. Le surnom du Cheyenne le fera descendre de son piédestal pour le faire rejoindre le rang des hommes, dont il ne vaut pas mieux...
Pour ce personnage qui rappelle le mieux son ancien univers, Leone fait preuve également d'une étrange pudeur assez touchante. Ainsi, hormis une scène précise, on ne le voit jamais véritablement tirer sur quelqu'un, comme si Leone voulait le faire sortir de la violence. Sa première apparition débute par une fusillade dont on n'apperçoit rien et n'entend que le bruit. De quelques uns de ses autres coups de flingues, on ne verra que sa main. De sa mort et de son agonie, il en résultera une scène émouvante, jouant sur le suggestif, avant qu'il ne passe l'arme à gauche hors caméra après une dernière réflexion bien sentie, s'opposant par exemple à celles de Franck, que l'on voit souffrir et rendre le dernier râle en gros plan.
Et puisqu'on parle de Franck. Si le Cheyenne est une sorte de clin d'oeil aux premiers films de Leone, Franck retombe dans les volontés premières d'Il était une fois dans l'ouest. Pas d'ambiguïté non plus, Franck est une belle ordure, capable de tuer femmes et enfants. Il le fera d'ailleurs, et avec le sourire. Ce mercenaire vieillissant, porté par Henry Fonda et son regard d'acier, n'apparaît pourtant pas comme un surhomme. Il avouera sa condition lui-même, lors d'un dialogue avec Harmonica ("Un Homme, c'est tout"). La personnalité de Franck est un condensé de celles de Jill, Harmonica, le Cheyenne et de M. Morton, mais aussi de celle de Setenza (la Brute). Défourailleur, avide de puissance et jamais avare d'une remarque au sens profond, Franck sait se faire entendre et garder le silence. Pourtant son rôle est bien défini : violent, impitoyable et tout de noir vêtu, son camp est des plus explicites. Avec l'âge, comme le dira Harmonica, ses méthodes ont changé. Ce qui ne veut pas dire qu'il ait renoncé aux anciennes. Hitchcock disait que lorsque le méchant est réussi, l'histoire l'est tout autant. Indéniablement, Il était une fois dans l'ouest est réussi et Franck entra dans l'imagerie collective, au même titre qu'Harmonica. S'il y a des bédéphiles parmi vous, relisez l'album Phil Defer, de Lucky Luke, vous verrez de quoi je parle.
Film mettant en scène des Hommes et leurs travers, Il était une fois dans l'ouest est une histoire tordue et compliquée qui n'a finalement que peu d'importance. Ici l'accent est mis sur une certaine forme de mélancolie et une approche réaliste qui traduira les deux épisodes suivants des Il était une fois.... Il n'y a guère que le personnage du Cheyenne, quelques scènes d'anthologie et bien sûr la superbe musique de Morricone pour passer le témoin entre les deux trilogies. A propos de Morricone, c'est sans doute dans ce film que l'on constate l'extraordinaire importance de l'environnement sonore chez Leone. Chaque personnage a son thème, tournant autour de ce qu'il représente. Mélopée distordue et implacable pour Harmonica (la vengeance), petit air incertain, allant du guilleret au mélancolique pour le Cheyenne (le mystère, l'amitié, un certain idéal de vie), lourdes sonorités feutrées pour Franck (le danger), musique triste pour Mme Mc Bain (l'amour perdu, la fin des illusions). Transporté par des acteurs extraordinaires et un réalisateur qui n'était pas loin du sommet de son art, Il était une fois dans l'ouest est une oeuvre épique et superbe, qui représente toujours la référence incontournable du Western Spaghetti, avec Le Bon, la Brute et le Truand, Django de Corbucci et Keoma de Castellari (ce dernier, à la manière de Braindead pour le gore, étant tellement ultime qu'il aurait paradoxalement contribué à la mort du genre). Le thème de l'Homme à l'Harmonica est devenu indissociable du western et Charles Bronson, comme Eastwood à son heure, vit sa notoriété prendre un sacré coup de fouet. Devenu depuis cloîtré dans son image de Paul Kersay (Un Justicier dans la Ville, 1974), Bronson et sa gueule burrinée nous quittèrent le 31 août 2003. Ce film, par sa performance magnifique, est l'occasion de se rappeler quel acteur il fut et quelle carrière il eut. Quant à Sergio Leone, il continua sur sa lancée. Il était une fois la révolution est un drame désabusé dont le final et le dernier sourire de James Coburn hantent sûrement plus d'un esprit. Il était une fois en Amérique, en forme d'apothéose, est le film qui lui permit enfin de sortir de l'approche western, triste et gonflé de scènes touchées par la grâce. La mort finit par l'emporter également, laissant son dernier projet vacant : une adaptation du Voyage au bout de la Nuit, de Céline...
"Hé, l'Harmonica... quand ton heure viendra... prie le ciel pour que ce soit un bon tireur qui te descende" - le Cheyenne