Les convoyeurs attendent
Cinéma / Critique - écrit par Kassad, le 31/01/2005 (
Les belges, dans leurs comédies, ont la dent dure et quand c'est Poelevoorde qui s'y colle on peut être sur que ce sera saignant. Les convoyeurs attendent n'échappe pas à cette règle. Moins sanglant mais plus cinglant que c'est arrivé près de chez vous ce film n'est regardable que par l'humour qui s'en dégage. Il n'a pas connu un grand succès en salle (100 000 entrées). Pourquoi ? Cela reste un mystère pour moi. Peut être que l'explication réside justement dans cette atmosphère à la fois glauque et burlesque. Le public semble rétif à ce genre d'humour sombre et se sent mal à l'aise de rire devant l'étalage de cette misère humaine. Benoît Mariage aurait il mis le doigt là où ça fait mal ?
L'histoire est assez surréaliste : elle est centrée autour de Roger Closset, petit photographe de chiens écrasés pour un canard de sa banlieue ouvrière, et de sa famille. L'association des comerçants met en jeu une voiture, le rêve de Roger, à gagner au premier qui rentrera dans le livre des records. Roger décide d'entraîner son fils à tenter de battre celui d'ouverture et de fermeture de porte en 24h.
Humour noir donc, mais pas du type Arnaque, Crimes et Botanique qui possède un côté jubilatoire, ici c'est plutôt de désespoir qu'on ri. Parce qu'il ne reste plus que ça. Il n'y a pas non plus l'aspect "méchant" de Aaltra, ici c'est plus l'ignorance et la pauvreté qui sont moteurs. Le film est en noir et blanc ce qui accentue l'impression de misère sociale. Il se déroule dans une banlieue industrielle de Belgique et pendant une bonne partie du film on pourrait croire qu'il se déroule dans les années 50 : en fait c'est à la veille de l'an 2000 qu'il se passe et c'en est encore pire.
Après une telle peinture on pourrait se demander quel intérêt il y a à regarder ce film. Le premier tient dans la finesse du récit : les dialogues ne sont pas lourds et beaucoup de choses sont suggérées et sont d'autant plus émouvantes. Il y a aussi la beauté de la photographie qui vous fera regretter de ne pas l'avoir vu sur grand écran : une partie de l'histoire traite de colombophilie. L'envol de milliers de pigeons voyageurs lors d'une compétition est somptueux, tout comme de superbes images de vent dans les champs. Il y a aussi la performance de Poelevoorde qui peut passer du tyran domestique au père émouvant en quelques instants. Cet acteur est une singularité qui résiste à toutes les tentatives de formatage. Et enfin ce film est poétique, il touche au coeur. Sa poésie est parfois surréaliste, parfois tragique, souvent inattendue mais indéniable.
Je vous recommande donc ce film sans réserves car, plus que tout, il est étonnant. Une fois que vous l'aurez vu, posez vous la question de sa construction, de comment avec des composants si étranges et si disparates on obtient un tel résultat. Quand on prend les différents ingrédients de ce film un par un (la beauté de l'image, la misère intellectuelle, le record absurde, la colombophilie,...) et qu'on tente de comprendre comment ils s'agencent on est forcé de reconnaître que Benoît Mariage est un sorcier. De la magie sur pellicule, le mot n'est pas trop fort.