127 heures : Danny Boyle n'est pas un bras cassé
Cinéma / Critique - écrit par riffhifi, le 14/02/2011 (Le nouveau film de Danny Boyle, malgré son énergie et son optimisme, est plus proche de son cinéma extrême, façon Trainspotting ou Sunshine, que de la semi-guimauve d'un Slumdog millionaire.
Le cinéma a toujours eu la capacité de faire réagir le public d'une façon viscérale. Depuis les spectateurs qui s'enfuyaient horrifiés devant L'arrivée d'un train en gare de La Ciotat, toutes sortes d'émotions fortes ont été véhiculées par l'écran. Dans les années 50-60, il était de bon ton d'assortir le matériel promotionnel des films d'horreur d'une mention du type « attention à ne pas vous évanouir », « déconseillé aux femmes enceintes », etc. Les malaises dans les salles obscures, ça ne date donc pas d'hier (de nombreuses anecdotes entourent notamment L'exorciste, sorti en 1973), et on pouvait même croire que le flot d'images incessant véhiculé au XXIème siècle avait désamorcé leur capacité de suggestion et leur impact. Le nouveau film de Danny Boyle, 127 heures, vient rappeler que le cinéma conserve son pouvoir lorsqu'il est aux mains d'un cinéaste de talent : plusieurs cas d'évanouissement, de chutes de tension, de vomissements et de malaises divers ont déjà été recensés en festivals, en salles et lors de projections de presse (l'auteur de ces lignes peut en témoigner). Pourtant, il ne s'agit pas d'un énième avatar de Saw, mais d'une histoire vraie racontée avec une dose d'optimisme inattendue... ce qui rend d'autant plus
Jusqu'ici, tout va bienefficaces les moments douloureux.
Aron Ralston (James Franco, nommé à l'Oscar pour ce rôle) est un jeune con qui vit seul, pense n'avoir besoin de personne et part en vadrouille dans le canyon de Blue John, Utah. Lorsqu'il se retrouve coincé dans une crevasse, le bras droit enserré par un rocher, il regrette un petit peu d'avoir trop joué les loups solitaires. Il restera immobilisé durant 127 heures, soit le temps qu'il faut à Jack Bauer pour faire 5,3 fois le tour des USA en dégommant des terroristes. Aron, lui, ne peut mettre ce temps à profit que pour tenter d'extraire son bras, et filmer un journal de bord avec son caméscope.
Le postulat évoque le récent Buried, lui aussi entièrement centré sur un homme incapable de bouger durant une longue période. Le film de Danny Boyle réussit, on n'en attendait pas moins du réalisateur, à ne pas ennuyer un seul instant : bande-son dynamique, séquences de suspense, points de vue inédits (qui aurait cru qu'il serait aussi poignant de contempler l'intérieur d'une paille ?). Mais surtout, il développe une profonde empathie avec le personnage, dont on partage les préoccupations physiques et psychologiques au plus près. Malgré ses compétences indéniables en alpinisme et sa discipline exemplaire en matière de survie (rationner une simple gourde d'eau sur plusieurs jours, il faut le faire !), Aron se présente essentiellement comme un simple être humain, dépouillé de tout ce qui le définit au sein de la société. Plus personne ne peut le voir, hormis l'écran de sa propre caméra, dans lequel il finit lui-même par ne plus vouloir se regarder. Une fois passé le stade de la panique, il s'interroge progressivement sur ce qui définit son identité : ses possessions ? Elles sont réduites à quelques outils qu'il inventorie
Là, j'ai beau être matinal, j'ai malprécieusement, et pourraient facilement tomber hors de sa portée. son interaction avec l'environnement ? Il ne peut pas s'éloigner de son caillou, et son seul colocataire est une fourmi. Son corps ? Même pas : il abandonne assez vite l'idée que sa main droite puisse être récupérable, et doit affronter l'idée de mourir seul et ignoré de tous. Son refuge se situe dans la tête, évidemment, où il puise souvenirs, rêves et projections d'un présent et d'un futur virtuels. James Franco, bien loin de ses prestations 'light' dans les Spider-man de Sam Raimi, est extrêmement convaincant avec son faux air de Heath Ledger, et mériterait d'obtenir son Oscar pour entamer la belle carrière qui s'ouvre à lui.
Cette expérience intense, haletante, est assurément un des spectacles les plus éprouvants de l'année, mais reste surtout une œuvre aussi humaine qu'intelligente. Bien qu'il soit préférable de l'éviter si l'hémoglobine vous fait tourner de l'œil, il faut noter que la majorité des spectateurs restent conscients pendant la séance. Attendez-vous tout de même à ressentir un picotement dans le bras droit pendant les quelques heures qui suivent (testé et approuvé).