Le temps de la kermesse est terminé
Cinéma / Critique - écrit par riffhifi, le 11/03/2010 (Stéphane Guillon acteur, c'est un sujet d'étonnement. Mais Stéphane Guillon dans un film sur les conditions de vie au fin fond de l'Afrique Noire, c'est tout simplement inattendu. Et de surcroît, ça vaut le détour.
Le nom de Frédéric Chignac ne vous dit probablement rien : réalisateur de documentaire, il a signé une pincée de courts-métrages dont le plus récent date déjà d'il y a dix ans. Ayant arpenté l'Afrique à plusieurs reprises, touché du doigt ses contradictions et ses souffrances, il décide d'écrire un long métrage sans concession mais totalement fictif, qui reçoit rapidement le soutien du producteur Jean-François Lepetit. Un prix du scénario plus tard, le financement est bouclé, et le casting hétéroclite réunit deux des acteurs noirs français les plus cotés (Aïssa Maïga et Eriq Ebouaney - oubliez Djimon
Hounsou, il est vendu au grand capital américain), l'omnivore Philippe Nahon dans un petit rôle, et... Stéphane Guillon en tête d'affiche. La présence de l'humoriste a de quoi surprendre : malgré sa formation de comédien, on le connaît essentiellement comme chroniqueur acide et rentre-dedans, et ses rares apparitions à l'écran ont toujours été cantonnées aux seconds rôles, laissant la place à une carrière partagée entre la télévision, la radio et les planches. C'est donc bien loin de son confort habituel qu'il a tourné ce film au titre étrange : Le temps de la kermesse est terminé...
Alex (Guillon, donc) est coincé dans un tout petit village du fin fond de l'Afrique noire. Sa voiture ne démarre plus, et les autorités militaires du coin chapeautées ne se montrent pas très enclines à l'aider. Incapable de rejoindre son chantier dans le nord, il se morfond dans une case entre deux tentatives de redémarrage de son épave. Pour s'occuper, il discute avec le vendeur de bières Dogni (Malik Sall) et lorgne la jolie Martina (Aïssa Maïga)...
Avec pas mal d'habileté, le film évite les quelques écueils dans lesquels il aurait pu tomber : misérabilisme, leçon de morale... malgré le passé du réalisateur, on échappe également à l'approche "documentaire" qu'on aurait pu redouter, au profit d'une intrigue concentrée sur une poignée de personnages et un environnement restreint à deux lieux : le minuscule village et les quartiers
militaires. Le personnage incarné par Stéphane Guillon est un peu l'écho de son identité de chroniqueur : cynique, faussement blasé, il se révèle par moments foncièrement antipathique mais ne perd jamais son humanité. Confronté à la pauvreté du village (on ignore dans quel pays il se trouve, le drapeau montré est fictif), à la rigueur idéaliste du lieutenant amateur de salades (Eriq Ebouaney, toujours excellent), il réagit du haut de son manque d'héroïsme et de passion, offrant simplement la vue d'un homme égoïste, passablement concerné par ce qui l'entoure mais totalement impuissant à changer les choses.
A l'image de son sujet, le traitement est aride : peu de mouvements de caméra, presque pas de musique... L'unité de lieu et d'action s'oppose à la lenteur du temps qui passe, obligeant le personnage (et, dans une certaine mesure, le scénario) à tourner passablement en rond sous la chaleur, jusqu'au point où, tel Bill Murray dans Un jour sans fin, il doit s'intéresser aux gens qu'il côtoie plutôt que de les traiter par le mépris. Mais il ne s'agit pas ici d'une fable souriante, et le happy-end ne semble pas au bout du chemin. Sans se complaire dans la tristesse ou la dureté, alliant la simplicité de l'intrigue à la complexité de ses personnages, Frédéric Chagnier dresse un portrait subtil des relations noirs-blancs en Afrique, sans distribuer de points ni présager de l'avenir du continent. Une approche sobre mais originale.