9/10Seven

/ Critique - écrit par riffhifi, le 19/05/2007
Notre verdict : 9/10 - Catéchisme hardcore (Fiche technique)

Tags : seven film enfant david zero annex gants

Une descente aux enfers perturbante orchestrée par un David Fincher au sommet de son art...

Seven est un classique. Avant même sa sortie en France, il était entouré d'une aura de mystère : « violent », « insupportable », « pire que le Silence des Agneaux », voilà les rumeurs qui couraient sur le film. Avec le recul, on réalise qu'il s'agit bien plus d'un grand moment de cinéma que d'une tentative de choquer le spectateur. Et que l'un n'exclut pas l'autre.

Lundi, la Gourmandise. Mardi, l'Avarice. La semaine s'annonce chargée en meurtres thématiques pour les inspecteurs William Somerset (Morgan Freeman) et David Mills (Brad Pitt). Car s'il a fallu sept jours à Dieu pour créer le monde, il n'en faut pas moins au tueur pour punir les auteurs des péchés capitaux.
Si vous n'avez pas vu le film, stoppez tout de suite la lecture et foncez au vidéoclub combler cette lacune. Car pour bien en parler, il faut parler de la fin...

Des histoires de serial killers, on en a vu plein. La formule consiste en général à montrer le plus grand nombre possible d'assassinats violents, puis de suivre l'enquête jusqu'à l'arrestation du coupable. Mais Seven ne fonctionne pas comme ça : le tueur passe une bonne partie du film en figure lointaine, invisible, quasiment intangible. Il n'est ni une ombre ni une silhouette, et ses actes ne sont pas montrés à l'écran ; seul le résultat nous est livré : un homme obèse affalé dans son plat de spaghetti, un vendeur de drogue attaché à son lit depuis si longtemps que ses os se sont liquéfiés... Le spectateur, comme Somerset et Mills, ne peut que suivre impuissant la trace de meurtres laissée délibérément par leur auteur.
Plongés dans l'atmosphère malsaine et pluvieuse d'une ville sans nom, les deux inspecteurs que tout oppose (d'une façon qui n'est pas sans rappeler, bizarrement, le duo de l'Arme fatale : le vieux noir tout sage à quelques jours de la retraite et le jeune blanc tout fou qui fonce dans le tas sans réfléchir) adoptent une approche radicalement différente de l'enquête. Mills est sanguin, ambitieux, émotif ; il réagit fortement aux meurtres et souhaite viscéralement retrouver le coupable, pour lui faire payer ses atrocités. Somerset réprime ses sentiments, il choisit l'angle intellectuel ; il comprend que le tueur cherche à communiquer un message à travers ses actions, et que le seul moyen de le trouver est de rentrer dans sa tête, et de trouver où il veut en venir.

La scène clé se situe à la moitié du film, lorsque les deux inspecteurs trouvent le coupable, John Doe (Kevin Spacey, qui trouvait là son deuxième rôle marquant après Usual suspects). Mills le prend en chasse lors de la seule et unique scène d'action du film, mais le perd. A partir de là, le tueur prend forme : ce n'est pas un démon immatériel, c'est un homme de chair et de sang. Il prend cependant un soin maniaque à gommer son humanité et sa singularité, en arrachant la peau de ses doigts, en prenant comme nom le pseudonyme donné automatiquement aux clochards et aux anonymes. C'est un obsédé, un dément dont la logique et l'univers avaient été rendus visibles dès le générique de début par un montage habile de tous les éléments sordides (photos, carnets, morceaux de corps) que l'on retrouve par la suite dans la fouille de son appartement, une scène glauque à souhait grâce au travail du chef opérateur Darius Khondji (habitué à ce type d'atmosphère depuis Delicatessen et La cité des enfants perdus). D'ailleurs, le réalisateur David Fincher ne tarit pas d'éloges sur lui : « Je le considère comme un des dix meilleurs directeurs de la photo en activité. [...] Beaucoup de chefs op vont tout vous éclairer en disant qu'on ne peut pas montrer le noir. Moi, j'aime le noir. »*

La plongée dans la tête de John Doe est peut-être la partie la plus dérangeante du film, car on y entrevoit la limite subtile qui peut exister entre le dégoût ordinaire de ses semblables et la folie meurtrière que permet l'indifférence totale pour leur vie. Somerset comprend cette limite.

Lorsqu'à la fin, John Doe orchestre la mise en scène des deux derniers morts, il cherche à dire une chose : le péché est partout, en moi (l'Envie, car j'ai désiré votre vie et votre femme), en vous (la Colère, car vous savez que j'ai tué votre femme enceinte), et le respect sans condition d'une morale arbitraire (religieuse ou pas) ne peut mener qu'à l'extinction de la race humaine. Le seul meurtre montré à l'écran est celui de John Doe par David Mills, usant de l'empathie du spectateur pour ce personnage. Qu'aurait-on fait dans la même situation ? Sans doute la même chose, céder à la Colère. Dans une des fins initialement prévues, Somerset prenait les devants et tuait lui-même John Doe, pour ne pas que Mills gâche sa vie. La démonstration aurait été imparfaite.


Le vice est humain, il n'est pas respectable mais on doit faire avec. Merci John Doe, la joie est désormais dans nos coeurs.


* Source : Première n°227 (février 1996)