3/10Lions et agneaux

/ Critique - écrit par iscarioth, le 27/11/2007
Notre verdict : 3/10 - Que Dieu bénisse l'Amérique (Fiche technique)

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Du show, du show et encore du show. Pour que vive l'Amérique et sa bonne conscience.

On l'annonce comme le film qui va rafler tous les Oscars. Le brûlot qui remue la mauvaise conscience de l'Amérique, l'attaque lancée par Hollywood contre l'administration Bush... Lions et Agneaux, le premier film politique sulfureux de l'après 11 septembre ?

Qu'est-ce que vous allez imaginer...

Si l'Amérique de George Bush dans son costume de gendarme planétaire vous agace, il va falloir vous attacher à votre siège pour ne pas quitter la salle de cinéma, en allant voir Lions et Agneaux... Au moins, disons, pendant les trente premières minutes du récit. Le film s'articule principalement autour de trois scènes-dialogues : le sénateur Jasper Irving (Tom Cruise) interviewé par la journaliste Janine Roth (Meryl Streep), un professeur d'université (Robert Redford), aux prises avec un étudiant absentéiste et un troisième volet, plus axé sur l'action, nous rapportant la mésaventure de deux jeunes soldats américains, en pleine guerre d'Afghanistan. Les séquences sont entremêlées, dans un langage qui n'est plus d'une toute première fraîcheur cinématographique mais qui nous garantit, dans tous les cas, de ne pas nous ennuyer...

Docere Delectare Movere

Pendant les premiers instants du métrage, pas un seul centigramme de distanciation critique quant au discours qu'on nous ressort depuis maintenant plusieurs années. Tom Cruise se fait le chantre de l'administration Bush et de cette Amérique trop fière et donneuse de leçon pour se décoller un seul instant les yeux de son nombril. Au menu, une Amérique qui, merci à Dieu, est là pour faire la guerre à l'autre bout de la planète au nom de la sacro-sainte liberté, pour sauver un peuple de son oppresseur. Et lorsqu'en face, la journaliste incarnée par Meryl Streep résume ironiquement : « tuer des gens pour sauver des gens ». Face à quoi, Tom Cruise finit par dégainer le bout de phrase imparable : « 11 septembre ». Et là, attention, ça ne rigole plus, on prend les Américains par les sentiments, on fait pleurer un peuple, meilleur moyen de le décérébrer. Difficile de croire que Robert Redford, pendant cette scène, se distancie de « l'argument ». Au contraire, il l'épouse de tout son pathos cinématographique : les violons débarquent, les plans fixes zooment lentement sur des visages aux expressions aussi graves que meurtries. Non, Meryl Streep, ce n'est pas Michael Moore, encore moins Trey Parker et Matt Stone. Son personnage reste engourdi, enrobé devant les arguments fallacieux du gouverneur Irving, rhéteur talentueux, au sens aigu de la transition et du détournement. En résumé, l'orateur parfait décrit par Cicéron : DOCERE DELECTARE MOVERE (expliquer, plaire et émouvoir).

Contestataires tremblants

Allons, ne nous emballons pas. Redford, c'est un brave homme. S'il nous flanque une énorme raclée réactionnaire, c'est certainement pour mieux démonter le geste, pièce par pièce, ensuite. On attend donc l'opposition, la résistance « qui voit plus loin que le bout de son nez ». Et elle n'arrive jamais. Sur une première moitié de film, on doit se contenter, comme symbole de l'opposition, d'un jeune étudiant à peine pubère en pleine crise de rebellitude. Le « fuck » agressif accroché aux lèvres d'un minois malicieux, la bouche pleine de contestations décrédibilisées aussitôt par la condition d'adolescent de son auteur... Voilà l'opposition. Une opposition qui n'en est même pas une : le personnage est lui-même l'incarnation de l'autosuffisance de cette Amérique qui réalise son autoportrait. L'adolescent est décrit dans un langage hollywoodien traditionnel : culte béat de la personnalité, symbolique de la révolte et par-dessus tout, punchlines gonflées au charisme. Reste la journaliste incarnée par Meryl Streep. Après avoir digéré les arguments du gouverneur pro-guerre avec autant de passivité que de faiblesse, notre âme torturée accouche d'une vive contestation. Contestation vive, mais indicible : de l'extrême nervosité, des balbutiements... Bref, une pilule qui ne passe pas, mais sans que l'on nous montre de réaction structurée. D'un côté du pro-guerre, un discours tranché, imparable. En face, juste l'indécision et le malaise compressé. Que devons-nous en déduire ?

Salauds d'indiens, de communistes et de barbus

Des contestataires trop jeunes ou trop diffus, mais en face, un discours clair et sans ambiguïtés : tant dans la forme que dans le fond. Par le discours du gouverneur, on place l'Amérique en position d'agressé, et l'habituelle paranoïa de l'administration Bush prend le pas sur toute autre considération : le discours est clair, l'axe du mal, c'est l'Irak, l'Iran et l'Afghanistan. L'Amérique en guerre, c'est Dieu qui envoie ses messies guérir son monde d'un chaos moyenâgeux. Et pour enfoncer le clou, la caméra nous amène la plus énorme analogie propagandiste qui soit : les paroles rapportées d'un glorieux homme d'état du passé. « Entre la vertu et la paix, je choisis la vertu » a dit Roosevelt. Comment, après un plan solennel (violons encore) sur un bel encadré de cette citation, ne pas être corps et âme derrière les courageux va-t'en-guerre américains ? Le clou est définitivement enfoncé par les scènes rapportées d'un combat en Afghanistan. Si, après ça, le spectateur n'a pas encore compris qui sont les bons et qui sont les sales communistes... euh, les méchants arabes, c'est qu'il est prêt à percevoir Les bérets verts de John Wayne comme une puissante critique des dégénérescences guerrières de la guerre froide. Redford nous met en place LA scène parfaite, démontrant toute l'humanité des Américains au combat et l'extrême félonie et sauvagerie de « ceux d'en face ». Dans un décor lunaire et glacé, deux soldats américains sont à terre, blessés. En face, l'ennemi, les talibans.

Modernité contre barbarie

C'est vieux comme Hérode. Pour réaliser la scène de bataille la plus manichéenne possible, il suffit d'humaniser et de déshumaniser par des procédés filmiques très simples l'un et l'autre des adversaires. D'un côté, les Américains, largement inférieurs en nombre. Deux soldats, jeunes, filmés presque toujours en gros plan pour bien que l'on s'aperçoive que ce sont des gens comme nous : des gens qui communiquent, ressentent, souffrent, se parlent. L'identification est maximale. En face, l'ennemi est presque invisible. Il s'agite dans la pénombre de la nuit tel une horde d'animaux sauvages tapis dans le noir, se rapprochant sournoisement d'une proie affaiblie. L'ennemi n'est pas un homme, c'est une masse informe, bruyante, menaçante, et par-dessus tout couarde. Car on l'a toujours su, l'Américain est courageux. Il fait la guerre, mais pas comme un sauvage. Ses frappes sont chirurgicales. Le soldat américain est gouailleur, donc humain, et profondément bon et fraternel, donc encore plus humain. En résumé, et ce d'un point de vue purement formel, le soldat taliban est un monstre assoiffé de sang, le soldat américain est notre frère humain. Traqué comme une bête, il meurt comme un homme, la tête haute et la mine convaincue.

Terminons avec les quelques points positifs. Car il y en a, on ne passe pas de zéro à trois par indulgence. Le film nous parle de ces jeunes Américains délaissés par leur propre pays, qui s'entretuent dans les ghettos et dont les « survivants » sont les premiers à s'engager dans l'armée pour servir leur patrie. On nous le fait comprendre, la contestation, le refus, c'est bien une affaire de riches. Le film pointe du doigt l'échec du modèle scolaire américain, les problèmes d'identité et de perspective pour toute la jeunesse « non dorée » de ce pays. Si critique il y a dans ce film, elle est intestine. On dénonce aussi la complicité des médias dans la crise paranoïaque post 11 septembre (souvenez vous, il y a quelques années, Saddam se baignait parait-il dans le sang de ses victimes). La voix que l'on nous propose, comme échappatoire, c'est celle de l'engagement, du militantisme. Et si ça ne marche pas ? « Tu as au moins essayé » répond le professeur Redford. Mais là encore, la réflexion a ses limites et les slogans fusent sans grand argumentaire. Quand Lions et agneaux parle philosophie, il balance en vrac des références comme Aristote ou Socrate au coin d'une phrase, mais n'aborde jamais les sujets du doute, du scepticisme et des problématiques, nombreuses, soulevées par l'engagement. Du slogan, de l'étincelant, mais surtout pas de réflexion. La réflexion, ça se déploie, c'est long, ça prend du temps, ça endort le spectateur la tête vautrée dans son paquet de pop corn. Les phrases doivent péter le charisme, les séquences s'enchaîner, en faisant s'alterner action et classe. Du show, du show et encore du show. Pour que vive l'Amérique et sa bonne conscience.