8/10L'Etrange histoire de Benjamin Button

/ Critique - écrit par riffhifi, le 13/02/2009
Notre verdict : 8/10 - The hardest button to button (Fiche technique)

Le meilleur film de David Fincher depuis Fight Club ? Certainement, mais Benjamin Button est aussi un virage (ou un OVNI) dans la carrière d'un réalisateur qu'on a connu plus sombre. Brad Pitt livre par ailleurs une de ses meilleures performances.

Il y a des projets maudits, qui flottent à Hollywood durant des années, voire des décennies, avant de voir le jour. En deux mois, deux d'entre eux atteignent enfin les écrans : Watchmen en mars, et L'étrange histoire de Benjamin Button ce mois-ci. Dans le rôle-titre, on a parlé de Tom Cruise ou John Travolta ; à la réalisation, il a été question de Steven Spielberg, Spike Jonze ou encore Ron Howard. A l'arrivée, il n'est pas question de se plaindre du duo Brad Pitt / David Fincher, auquel on doit déjà deux films et autant de chefs-d'œuvre : Seven en 1995 et Fight Club en 1999... Mais si la patte du cinéaste est reconnaissable, on retrouve également celle du scénariste de Forrest Gump, Eric Roth, à qui l'on doit plus récemment l'écriture de Ali et celle de Munich. Un homme qui aime revisiter l'Histoire à travers de solides biographies, mais aussi semer de petites touches de lyrisme qui apparaissent presque comme une signature : on pense par exemple à la plume de Forrest Gump, qu'on retrouve ici sous la forme d'un oiseau-mouche
"J'ai dix ans ! Je sais que
c'est vrai mais j'ai dix ans !"
que l'on a du mal à imaginer comme une idée de Fincher.

A l'origine, il y a un court roman (ou une longue nouvelle, à vous de voir comment définir une histoire de quarante pages) de F. Scott Fitzgerald, qui narre la vie inversée d'un homme né vieux. Ancré dans un registre tenant presque de la fable, le texte ne s'encombre pas de crédibilité (Benjamin naît avec sa taille adulte - une vision dantesque sur laquelle l'auteur ne s'appesantit pas, au contraire de ce que fera Lars Von Trier bien plus tard dans L'hôpital et ses fantômes), et préfère évoquer les rebuffades que subit le héros aux différents âges de sa vie, qui apparaît dès lors étrangement similaire à celle de tout un chacun. Le film de David Fincher, contre toute attente, se révèle bien moins cruel (et ne possède aucun point commun avec l'histoire de Fitzgerald en dehors de son concept) : l'existence de Benjamin est présentée en symétrique de celle de Daisy (Cate Blanchett), qui vieillit dans le "bon" sens ; c'est donc une curieuse histoire d'amour qui régit le film, avec sa part d'optimisme et sa dose de tragédie. L'ennemi ici n'est pas humain, ce n'est pas même le spectre de la guerre, qui vient hanter la scène à deux reprises, c'est tout simplement le Temps. Dans un sens ou dans l'autre, la flèche du temps pointe vers la mort, comme le rappelle la scène d'agonie de Daisy qui ponctue le film... Pourtant, l'ensemble ne patauge jamais dans le glauque ou le morbide, et s'ingénie plutôt à démontrer en quoi la vie vaut la peine d'être vécue, qu'on soit vieux ou jeune, aveugle ou pygmée, remorqueur ou fabriquant de boutons...

Au niveau narratif, le goût du détail visuel de David Fincher se double d'une gourmandise d'anecdotes qui culmine dans la séquence très "Jean-Pierre Jeunet" de l'accident de voiture, faisant des 2h40 du film un catalogue de jolies histoires qui font sourire ou émeuvent, portées à la fois par une photographie impeccable et créative et par une interprétation sans faille. On retient évidemment les performances croisées de Cate Blanchett et de Brad Pitt, qui se sont pliés aux A la croisée des âges
A la croisée des âges
rigueurs du maquillage et de l'effet spécial pour rajeunir comme pour vieillir (voire les deux en même temps ! qui aurait espéré voir un bébé octogénaire avec les traits de Brad ?!), mais il convient de saluer également la très belle galerie de seconds rôles, exploités pile-poil à dose suffisante pour ne pas leur faire éclipser le couple-vedette : Tilda Swinton, Jason Flemyng en papa Button lâche (le seul personnage partiellement négatif du film, bien qu'on puisse comprendre sa réaction), Elias Koteas ou encore Taraji P. Henson (nommée aux Oscars) assurent une cohérence indéniable à ce très beau livre d'images. La double performance technique et humaine fait de Benjamin Button une belle fresque tragicomique sur la condition humaine, ainsi qu'un indéniable aimant à Oscars, à défaut d'être une œuvre aussi foudroyante que Fight Club. A l'instar de Terry Gilliam avec Brazil, Fincher a peut-être fait trop fort trop tôt, risquant de ne plus faire par la suite "que" de très bons films...