Le criminel
Cinéma / Critique - écrit par Filipe, le 25/11/2005 (
Chargé de retrouver les criminels de guerre allemands, l'inspecteur de police Wilson fait relâcher Conrad Meinike, un ancien chef de camp d'extermination, pour que ce dernier le conduise jusqu'à son ancien supérieur, Franz Kindler. Celui-ci vit désormais sous le nom de Charles Rankin et enseigne à Harper, petit village des Etats-Unis. Meinike reprend contact avec lui le jour de son mariage avec Mary, la fille du juge Longstreet.
Le Criminel occupe une place tout à fait particulière dans la filmographie de Orson Welles, et ce pour de multiples raisons. Tout d'abord, parce qu'il s'agit là de son premier film rentable : il lui a permis de relancer sa carrière à une époque où plus personne ne semblait lui faire confiance, du moins en tant que réalisateur (suite aux échecs commerciaux de Citizen Kane et La splendeur des Amberson et au tournage inachevé de It's all True). Ensuite, parce qu'il s'agit de la toute première incursion de Welles dans l'univers du film noir : le Criminel précède La Dame de Shanghai de deux ans et la Soif du Mal de douze (le Criminel étant généralement considéré comme une réalisation mineure au regard de ces deux derniers films). Enfin, parce qu'il s'agit de son premier film réalisé sur commande pour, dira-t-il, "prouver à l'industrie que j'étais capable, moi aussi, de tourner un film hollywoodien standard, en respectant les contraintes de temps et de budget" (au départ, il était prévu que John Huston, l'un des auteurs du scénario, prenne la barre et dirige Orson Welles en tant que comédien).
N'étant pas maître de la mise en scène du Criminel, Welles assistera impuissant au remaniement commercial de ce dernier. Une vingtaine de minutes lui seront amputées, ce qui conduira son auteur à le désavouer. Il ira même jusqu'à déclarer qu'il n'y avait rien de lui dans ce film : "ce film ne m'intéresse absolument pas, mais j'ai essayé de le faire de mon mieux... De tous mes films, c'est celui dont je suis le moins l'auteur."
Et pourtant, ne serait-ce que par la qualité de sa photographie et de sa mise en scène, par le talent de ses interprétants et l'efficacité évidente de son scénario, le Criminel n'en demeure pas moins inintéressant. Témoin de son époque, il offre d'entrevoir ce qui fit la singularité de son auteur, aujourd'hui cible de tant d'éloges : de ses célèbres plans séquences à l'intégration de l'ombre et de la lumière, à sa manière si particulière de rapprocher certaines scènes. Tout y est. Sur le papier, il y a bien cette banale histoire de fugitif, traqué par la police. A l'écran, Orson Welles offre une véritable leçon de mise en scène à ses détracteurs, magnifiant la confrontation entre Franz Kindler et l'inspecteur Wilson. Il fait de Harper, une petite bourgade sans histoires, le théâtre d'un effrayant huit clos, avec en son centre cette horloge municipale, dont les cloches en disent long sur le destin du fuyard. Orson Welles décrit à nouveau la chute d'un homme aveuglé par son ambition, cinq ans après avoir filmé Citizen Kane. Il campe lui-même ce personnage, usant de tout son génie pour le rendre à la fois sympathique et inquiétant. Le soin apporté à ce personnage a d'ailleurs tendance à éclipser les performances de Edward G. Robinson et Loretta Young. Mais qu'importe, à vrai dire.
Présenté en 1947 en sélection officielle au Festival de Venise, et figurant parmi les nominés à l'Oscar du meilleur scénario, le Criminel demeure à ce jour l'une des oeuvres les méconnues du cinéaste Orson Welles. Les moins convaincus évoqueront un film noir pour le moins académique et sans grande originalité. Pour ma part, je reste convaincu que l'image de marque de ce Criminel mérite d'être restaurée. Ne serait-ce que pour son incroyable dénouement, à mille lieues d'entacher la carrière de son illustre auteur.