Train de vie
Cinéma / Critique - écrit par knackimax, le 20/02/2008 (Tags : train vie koba lad binks film voyage
Montez à bord de ce train qui les emporte vers ce lieu incertain qu'est la Terre promise. Tremblez de peur et riez aux larmes, devant cette fresque d'une exception rare et d'une finesse inouïe. Peut être au bout du chemin existe-t-il un Paradis... ou un enfer.
Parlons de cette histoire qui se passe en plein cœur de la deuxième guerre mondiale. Dans un petit village juif d'Europe de l'Est, un stetle, comme disent les anciens en yiddish, le bruit se répand aussi vite que la rumeur peut courir : les Allemands sont à nos portes et viennent de déporter tous les habitants du village de l'autre côté de la montagne. De plus, le messager n'est pas n'importe qui puisque c'est le fou du village. Il est clairvoyant malgré son état et s'appelle Rothschild. Aucune raison de ne pas le croire donc et tout particulièrement car il s'agit de notre narrateur. Le conseil des sages du village se réunit sur un banc pour réfléchir et angoisser sur la situation, puis, là nuit tombée, ils s'attellent à la tache de trouver une idée pour se sortir de ce mauvais signe du destin. Cette seconde étape en nocturne nous confirme enfin qu'il s'agit d'une comédie aigre douce : c'est décidé, le village va organiser la fausse déportation de ses habitants vers la terre Sainte. Il ne reste plus qu'à acheter un train, choisir les déportés et les Allemands, apprendre la langue du peuple de Goethe et perdre l'accent...
C'est sur ce scénario simple et fou, à l'image de notre héros dont la raison s'embrase d'une poésie farfelue continuelle, qu'un réalisateur inconnu au bataillon nous emmènera dans une des plus belles aventures humaines du cinéma. Regrettant de ne pouvoir en faire une comédie, il la tournera en tragédie à chaque fois qu'il lui est possible de le faire, nous tenant ainsi en haleine. Alors insatisfait de perdre les subtilités d'un humour lié au peuple qu'il décrit, il force l'accent sur la blague. L'un dans l'autre, la navigation du spectateur devient d'une aisance incroyable et le mélange des genres s'emboîte à merveille dans les subtilités mécaniques d'un scénario d'une finesse hors norme et d'une justesse indescriptible. Le ton reste frais malgré les peurs que nous pouvons avoir lorsque le village retient son souffle et craint la fin. Derrière chaque tragédie se cache un rire, une compréhension humaine époustouflante, une acceptation du destin du monde, puis à nouveau un rire, une blague politique, une histoire d'amour... Le train roule et par moment les déporte là ou ils ne veulent pas aller, parfois les ramène en arrière. C'est alors que la mort rôde et donne illusion de frôler notre épaule, puis la vie recommence et nous somme maintenant chez les tziganes, et c'est la fête jusqu'au bout de la nuit. Les couples se forment malgré les différences religieuses et un combat entre Klezmer (musique traditionnelle juive) et Stradivarius Manouche éclate. Les femmes dansent, les enfants chapardent, les familles se déchirent, certains religieux deviennent même communistes. Et le lendemain, on reprend la route pour de nouvelles péripéties.
L'absurdité devient progressivement une constante nécessaire qui donne vie à l'ensemble d'un projet de plus en plus concret dans sa folie, un but de plus en plus atteignable et beau. Les acteurs magnifient la prestation de l'histoire et non l'inverse. Et par une réalité qui semble les ancrer jusqu'au plus profond d'eux-mêmes à ces destins volés d'Europe de l'Est, nous découvrons à leur rythme un voyage nous offrant toutes les étapes des sentiments humains. Nous ne reconnaissons pas le Rufus qui est devant nous et joue Molderai le marchand de bois propulsé Chef des Nazi. Sa justesse est sans faille et son contremploi divinement joué. A la fois Père de l'expédition et bourreau, comment peut il faire pour être aimé ? Michel Muller quand à lui campe un personnage tout aussi incroyable. Petit fils du rabbin, et gueux du village, son besoin de reconnaissance le fait devenir communiste. Alors, telle une église évangéliste tyrannique à lui tout seul, il recherche l'homme nouveau en essayant de convertir tous les habitants du train à sa doctrine. Notre groupe hétéroclite s'agrandie alors de complexité, de pouvoir comique et élargie son potentiel dramatique. On n'arrête pas de rire et d'avoir peur dans un mélange de bonheurs sans fin.
Puis la plus belle fin possible à cette histoire est aussi la plus violente et le film devient immortel. Le traumatisme que laisse ce film après tant de fraîcheur nous laisse mourir au milieu de nos larmes.
Si l'on peut faire un petit reproche à ce film presque parfait c'est le fait d'être basé sur un acquis culturel dont la connaissance reste nécessaire pour en retirer autant de joies. Si vous ne connaissez pas la communauté juive d'Europe vous sourirez tout de même mais il est fort à parier que vous ne serez pas d'accord avec moi sur l'excellence que j'attribue à toute l'équipe du film pour ce chef d'œuvre sur la Shoah. Sorti en même temps que La vie est belle de Roberto Benigni, la toile est restée dans l'ombre des petites salles et n'a joui que d'un accueil enthousiaste de la critique et des professionnels, ce qui est bien dommage. Mais la différence entre l'un est l'autre est sûrement ce dernier point que j'ai évoqué. Alors que l'Italien guignolesque faisait rire le monde entier sur un sujet incroyablement dur, son collègue Juif essayait peut être de faire rire essentiellement les siens. Ce film reste pour moi le grand chef-d'œuvre que j'ai décrit et ce toutes catégories confondues.