7/10Sin City

/ Critique - écrit par Lestat, le 02/06/2005
Notre verdict : 7/10 - Fast and Furious (Fiche technique)

Tags : city sin film miller frank rodriguez robert

Fast and Furious

Sin City est un film rageant. Rageant car ce film porté par une bande annonce trépidante avait tout pour être grandiose : un visuel sans précédent, une base excellente et un casting hallucinant. Rageant car à trop vouloir bien faire, il s'est tiré une balle dans le pied, l'empêchant d'atteindre le panthéon des oeuvres ultimes.

Mais revenons en arrière. Durant les années 90, l'auteur Frank Miller sort Sin City, une série de bandes dessinées ancrée dans un trou paumé sans foi ni loi. Sin City, c'est une violence, un pessimisme et surtout un travail graphique exemplaire, noir et blanc contrasté atypique devenu une marque de fabrique. Réputée inadaptable et probablement farouchement défendue par un Frank Miller devenu gardien du temple, la série Sin City influence le cinéma par petites touches sans jamais connaître d'adaptation officielle. Jusqu'à 2003. En 2003, le réalisateur Robert Rodriguez (Desperado) commence une sorte de porte à porte avec un petit film sous le bras, presque un trailer. Ce trailer, c'est sa vision filmée de Sin City, prouvant surtout qu'il est possible de rendre concret à l'image le graphisme si particulier de la bande dessinée. L'accord puis la collaboration de Frank Miller obtenue, les acteurs souhaités répondent tous présent, attirés par le projet comme par la possibilité de travailler facilement et rapidement. Quasi-artificiel, le film Sin City ne trouva en effet sa conception complète qu'après son tournage par le biais du numérique, condition soi-disant la plus idéale pour assurer les jeux de lumières, de contrastes et les décors retro chers à l'univers de Miller, sans parler des scènes communes, quasi-impossibles à tourner en l'état compte tenu des emplois du temps de toutes ces stars, tournées individuellement puis reconstituées en studio. Fond vert mais casting qui n'est pas de bleus, nous retrouvons donc en vrac Bruce Willis, qui porte la cicatrice de l'Inspecteur Hartigan, Mickey Rourke, qui endosse l'imperméable du colossal Marv, Jessica Alba, en petite tenue pour les besoins de la danseuse Nancy, Clive Owen, un temps annoncé comme le nouveau James Bond, qui devient Dwight McCarty, Elijah Wood en tueur cannibale, ou encore un petit rôle qui fait bien plaisir, celui de Patrick Roark, prenant les traits de l'immense Rutger Hauer ! Du beau monde devant la caméra, incarnant à merveille les personnages, et du beau monde derrière, puisque nous retrouvons outre Rodriguez, Frank Miller en co-réalisateur et une participation de Quentin Tarantino le temps d'une petite scène.

Volontairement respectueux jusqu'à l'outrance, Sin City se présente au final tel un film à sketchs, suivant scrupuleusement les pages de The Hard Goodbye (Tome 1), Le Grand Carnage (Tome 3) et Cet Enfant de Salaud (Tome 4), avec un petit écart vers le Tome 2 pour cimenter les deux premières parties entre elles. Suivre scrupuleusement, c'est retranscrire des dialogues à la virgule près, respecter les cadrages ou les angles de vue des pages, en d'autres termes, coller littéralement la BD sur l'écran. Ce qui n'empêche pas un minimum d'appropriation des matériaux de base, notamment sur quelques rajouts assurant une meilleure cohérence -l'introduction du personnage de Dwight est en cela bien pensée-, ainsi que sur l'univers visuel qui s'autorise des écarts, mêlant un noir et blanc de cinéma (soit en réalité des nuances de gris) avec des touches de couleurs, permettant ainsi de sublimer bien des scènes. Un peu dommage que le film n'hérite que rarement du vrai noir et du vrai blanc de la série. A noter également une intro et une conclusion, semble-t-il conçues spécialement pour le film et qui ne se raccrochent à aucun des albums traités. Si l'intention de coller de près aux pages de la bande dessinée est assez louable, l'expression "le mieux est l'ennemi du bien" semble avoir été créée pour ce film, qui à trop être fidèle se flanque de bévues. Accueilli à froid par le début de Cet Enfant de Salaud, le spectateur se retrouve ainsi face à Bruce Willis et Michael Madsen, les deux récitant du Miller comme du Shakespeare. Le problème est que le langage écrit n'est pas toujours conforme au langage parlé. De fait, le manque de naturel est flagrant, ce qu'une VF assez plate et un Michael Madsen qui s'ennuie n'améliorent pas. Le film embraye ensuite sur The Hard Goodbye, qui lui sera traité d'un bloc. Même constat, les élucubrations de Marv en voix off ne passent pas du tout. D'ailleurs, The Hard Goodbye est clairement le sketch le plus mal lotti, flanqué de coupes inadmissibles et défilant à un train de poste. Si l'histoire originale n'était pas la plus psychologique du monde, la voir torchée en un temps record fait peine à voir, d'autant que des scènes essentielles pour la personnalité de Marv sont oubliées. Pourtant cette transposition de The Hard Goodbye est, les coupes mises à part, on ne peut plus fidèle, les habitués de la BD n'auront ni plus ni moins que l'impression de la relire. Ici plus que dans les autres sketchs, une adaptation plus personnelle au niveau scénaristique ou stylistique aurait sans doute été préférable, afin d'appuyer certaines scènes et de donner plus de force à l'ensemble. Car tout va trop vite, dans The Hard Goodbye, rien ou pas grand chose n'a de solidité ou d'émotion. L'évasion de Marv, ses interrogatoires, le dénouement de l'histoire, tout semble être expédié, empêchant toute implication. D'autant plus dommage que c'était l'un des meilleurs volumes de la série. De fait, les défauts sautent aux yeux plus qu'ils ne le devraient, et si l'univers numérique ne gène pas trop et donne un cachet irréel bien à propos, malgré quelques incrustations trop visibles, c'est au niveau des effets plus traditionnels que ça coince. Le maquillage de Marv sent un peu le caoutchouc et la fameuse séquence où notre anti-héros traîne un bonhomme en conduisant contient un mannequin digne des pires nanars italiens. Alors effectivement, cette scène est la même que celle de la BD, postures et angle de vue compris, mais ça n'empêche pas pour le coup de friser le ridicule. Bref, Sin City en long métrage, ça commence plutôt mal. Pourtant, la révélation va avoir lieu et s'il y a bien un moment où le film dévoile et exploite son formidable potentiel, c'est au moment de la deuxième histoire, tirée du Grand Carnage. Le Grand Carnage, d'une intrigue beaucoup plus simpliste et d'un déroulement plus nerveux, est l'un des albums les plus faibles parmi ceux dont il est question ici. Et contre toute attente, c'est celui-ci qui connaîtra le meilleur passage à l'écran. De par ses racines plus expéditif et moins fouillé, il s'accommode fort bien de la rapidité et de la faible durée à l'écran qui lui est imposée. Le Grand Carnage est aussi l'album qui connaîtra le traitement le plus personnel. La romance à la "je t'aime moi non plus" entre Dwight et la prostituée Gail (formidable Rosario Dawson) s'en retrouve un peu plus développée, une petite pirouette scénaristique fait son apparition pour justifier la conclusion du film et visuellement, c'est le sketch le plus soigné. Dans le noir et blanc, des effets de couleurs font leur apparition, rougissant un ciel, éclairant un visage, parsemant une nuit noire, allant jusqu'à donner une dimension fantastique pertinente à la scène où Dwight discute avec le cadavre de Jack Rafferty (Benicio Del Toro, impeccable). C'est d'ailleurs cette scène qui aurait été tournée par Tarantino, scène qui à part ça n'a pas plus de cachet qu'une autre dans ce sketch à la force exemplaire et au dénouement rendu superbe. Tout est parfait dans cette partie, les dialogues sonnent plus juste, les acteurs donnent pleinement corps à leurs personnages et on ne regrettera qu'une violence trop gore pour être totalement percutante. Mais quand bien même, quelle magnifique hémoglobine nous avons là, giclant en gerbe blanche phosphorescente. Une constante esthétique géniale que curieusement l'on ne retrouvera ni auparavant ni après ce sketch, le sang jaune du Yellow Bastard mis à part. Le Grand Carnage terminé, il ne reste qu'à retrouver Hartigan pour la suite de Cet Enfant de Salaud. C'est qu'on l'aurai presque oublié, le vieil inspecteur et son gros flingue. Cet Enfant de Salaud a-t-il gagné à ne pas être présenté d'un bloc ? Quoi qu'il en soit, les tares relevées au début du film sont moins flagrantes, les dialogues font en effet moins "récitations". On retrouve comme toujours ici une volonté d'adaptation littérale, la même obsession de la vignette retranscrite telle quelle sur grand écran, ne s'autorisant que peu d'écarts par rapport à la bande dessinée. Plus fouillé, sachant être psychologique et album plus sombre que ses prédécesseurs, Cet Enfant de Salaud passe finalement assez bien à l'écran, mieux que The Hard Goodbye, mais tout de même moins que le Grand Carnage. Les dialogues, toujours eux, toujours quelque chose qui sans être gênant empêche l'immersion complète. Notamment ceux des personnages de Monsieur Schlubb et Monsieur Klump qui par leur verve hors normes plombent un peu l'ensemble. Si Bruce Willis est sans reproche en Hartigan, le personnage du Yellow Bastard était attendu au tournant. Comment faire paraître à l'écran et rendre crédible un personnage difforme et tout jaune ? Pari gagné, le sadique criminel non seulement ne prête pas à rire mais réussit à être inquiétant. La performance grimaçante de l'acteur Nick Stahl et l'ambiance particulière du film ne doivent pas y être pour rien. Pourtant, là où Cet Enfant de Salaud déçoit, ce n'est pas par sa violence, scrupuleusement respectée, mais par sa noirceur. Non pas que le contexte ne s'y prêtait pas, mêlant corruption, auto-justice musclée, pédophilie et descente aux enfers, mais parce que le côté artificiel du film atteint ici sa limite, ayant bien du mal à faire retranscrire cette impression de pessimisme qui hante les pages de Miller. Sur ce point, c'est encore une fois Le Grand Carnage qui s'en sort le mieux, porté par sa loi de la jungle et son espoir vain. The Hard Goodbye quand à lui passe trop vite pour ressentir quoi que ce soit...

Un bilan en demi-teinte pour ce Sin City. Il faut reconnaître que du point de vue de l'adaptation pure et dure, Robert Rodriguez, Frank Miller et surtout les trois boites d'effets spéciaux recrutées pour le film ont fait un travail extraordinaire. Des dialogues au visuel, l'oeuvre est globalement respectée, même si les fulgurances graphiques réellement tirées des albums -tel le passage où Miho sort Dwight d'un étang de goudron- sont davantage de l'ordre du clin d'oeil que de la constante. Sans concession, le film par ses parti-pris perd en noirceur mais n'oublie pas sa violence. Tout est là, comme dans la BD, même la castration artisanale à la fin de Cet Enfant de Salaud. Dommage que tout cela soit plus gore que violent, injectant une sorte de distanciation préjudiciable. Toutefois, le film a un défaut paradoxal, celui d'être davantage une BD sur grand écran qu'un réel film de cinéma. A mixer les deux langages, le naturel, la force et l'émotion font donc parfois défaut. Quoiqu'il en soit, Sin City est un film tout simplement différent dans le box-office actuel, audacieux sur bien des points et renouant avec une certaine tradition du polar noir, un de ceux où des paumés déambulent dans des rues sales en déblatérant leurs pensées en voix off, soutenus par un petit air de jazz. Ne boudons pas notre plaisir, Sin City est un moment fort sympathique, autant accessible aux néophytes de la BD qu'à ses fans. Reste qu'il manque quelque chose, principalement dans The Hard Goodbye. Quel chef d'oeuvre aurait pu être Sin City, à la conception plus cinématographique et rallongé d'une bonne heure...