Le roman d'un tricheur
Cinéma / Critique - écrit par riffhifi, le 03/11/2007 (Un film essentiel dans la filmographie de Sacha Guitry comme dans l'émergence du cinéma parlant. Et une excellente comédie.
Rares sont les enfants de célébrités qui réussissent à hisser leur nom plus haut que celui de leur aîné. Sacha, fils du comédien Lucien Guitry, a réussi ce tour de force avec l'aide inestimable du cinématographe. Auteur, comédien, il ne serait sans doute pas resté dans les mémoires de façon aussi indélébile s'il n'avait décidé d'adapter à l'écran ses propres pièces dans les années 30 (Faisons un rêve, Désiré...) puis de brosser de larges fresques historico-fantaisistes dans les années 40-50 (Le diable boîteux, Napoléon, Si Versailles m'était conté...). Pourtant, son meilleur film n'appartient à aucune des deux catégories : Le roman d'un tricheur est adapté de son livre Mémoires d'un tricheur, à mi-chemin entre la nouvelle et le roman (62 pages, quel format insolent).
Puisque nous célébrons cette année les 50 ans de la mort de Sacha Guitry (la Cinémathèque propose d'ailleurs en ce moment une exposition et une rétrospective), revenons sur ce film que François Truffaut qualifiait sans ambages de chef-d'œuvre...
Le narrateur (Sacha Guitry, qui d'autre ?), assis à une terrasse de café, commande de quoi écrire (essayez aujourd'hui, vous allez vous faire recevoir). Il entame alors le roman de sa vie, une vie où les évènements l'ont amené à se convaincre que seuls les malhonnêtes survivent.
Guitry ne s'est mis au cinéma qu'en 1935 - il est vrai que pour un homme de lettres, le temps du muet n'offrait aucun attrait particulier. Mais à partir du moment où il s'y intéressa, il ne le quitta plus, réalisant pas moins de 31 films en 22 ans ! Dès les trois premières années, il en tourne neuf ; si Pasteur est aujourd'hui introuvable, et que Le mot de Cambronne n'est qu'un court métrage (peut-on faire plus pour un mot de cinq lettres ?), si Désiré et Mon père avait raison ne relèvent finalement que du théâtre filmé (ce qui n'enlève rien à leur qualité), Le roman d'un
La sexy Marguerite Morénotricheur s'impose comme un des premiers grands films parlants du cinéma, peut-être le premier à faire usage du son de manière consciente, pas comme un simple ajout à l'image. Les souvenirs du Tricheur sont entièrement narrés en voix off, de cette voix immédiatement reconnaissable de Guitry : légère et profonde, maniérée et théâtrale, espiègle avec emphase. A l'exception des scènes du café, peu nombreuses et qui constituent un ajout par rapport au texte des Mémoires d'un tricheur, et de la chansonnette d'une tenancière de « maison mi-close », on n'entend donc que le timbre du maître durant tout le film : il fait parler les personnages, commente l'action... Même le générique, à l'exception du titre (qui apparaît sous la forme de cartes) et des mentions obligatoires de production, est entièrement vocal, toute l'équipe étant présentée oralement par Sacha Guitry, qui reste alors exceptionnellement hors champ. Le procédé est inédit à l'époque, il sera repris par Orson Welles.
Mais Guitry, cet homme né avant le cinéma, et qui commence à le pratiquer à 50 ans passés, ne se contente pourtant pas d'en faire une machine à parler et à débiter des bons mots. Faisant usage de la caméra avec inventivité, il aime par exemple à lui faire suivre les mouvements du regard. Il n'abuse pas pour autant de la technique, et sait résister à la tentation de l'effet inutile. A un chef opérateur qui lui proposa de commencer une scène en pointant la caméra vers un lustre puis en la faisant descendre vers la table, Guitry répondit : « Mais mon cher ami, le lustre n'a pas de dialogue ! »
Le film, bien entendu, n'est pas simplement une date dans l'histoire du cinéma : c'est une comédie pleine d'esprit et d'ironie, qui parle de sexe avec cynisme et par d'élégantes périphrases, et traverse trente ans d'histoire de France en une heure et quart, évoquant la guerre de 14-18 avec le sérieux qu'elle mérite sans pour autant plomber l'ambiance guillerette d'une histoire qui commençait de toute façon par onze cadavres... Animé d'un enthousiasme communicatif, Guitry signait sans doute là son film le plus spontané et le plus généreux, participant sans même le savoir à l'élaboration de la grammaire du cinéma parlant.