7/10Le Parrain 3e partie

/ Critique - écrit par Jade, le 08/12/2006
Notre verdict : 7/10 - La résurrection (Fiche technique)

La résurrection

Francis Ford Coppola le disait lui-même : jamais il ne se serait attendu à faire une suite à son Parrain. Et a fortiori, rien ne laissait à croire que cette suite aurait à son tour une suite. Mais des déboires financiers et personnels (notamment la réalisation d'un autre des monuments du cinéma, à savoir Apocalypse Now, qui fut une expérience dont Coppola ne se remis jamais vraiment) eurent raison des réticences envers les propositions de la Paramount. Et quitte à faire les choses, autant bien les faire. C'est ainsi qu'Al Pacino signe pour un troisième film, tout comme Talia Shire et Diane Keaton. Robert Duvall sera absent au casting, ce qui constitue une perte dramatique inestimable, que Coppola tentera tant bien que mal de compenser. Des petits nouveaux viennent rejoindre la troupe de vétérans, comme un tout jeune Andy Garcia, et la propre fille du réalisateur, Sofia Coppola, contre laquelle la critique fut particulièrement féroce.

Coppola et Mario Puzo reprennent du service en tant que scénaristes. Le script est bien moins dirigé action que les deux autres, et pour cause. Ce film est une sorte d'introspection pour le personnage de Michael, c'est en tout cas ainsi que l'aurait voulu son réalisateur. Ainsi, une grande partie de l'intrigue se déroule en Sicile, et beaucoup de l'action revient sur les événements des premiers films, non sans montrer leurs conséquences désastreuses.
Hélas, les exigences de la production étant ce qu'elles sont, l'on sent bien que ce Parrain III souffre d'un sérieux problème de personnalité : entre blockbuster mal rythmé ou film d'auteur qui demande bien trop qu'on lui tire les vers du nez, il faut bien dire que le sort aurait pu réserver de meilleures circonstances à cette conclusion, qui si elle ne manque pas son but, aurait pu, et de beaucoup, être meilleure.
Si l'on a pu reprocher beaucoup au troisième épisode de la trilogie, comme le niveau plutôt moyen de ses acteurs, un Coppola franchement pas motivé, ou encore le choix d'un ton plus léger qui enlève beaucoup à la force du film, le scénario et les évolutions qu'ont subit les trois personnages restant de 'l'ancienne époque' sont extrêmement judicieux, et permettent de clôturer l'histoire de la famille Corleone avec une maestria qui sait faire honneur aux débuts. Le Parrain III est plus un épilogue qu'un troisième acte, et de nombreux éléments de la trilogie prennent ici une ampleur qu'ils n'auraient pas eu autrement, notamment à travers la fonction symbolique (religieuse pourrait-on dire sans trop dramatiser) de bons nombre de scènes, dont la dernière, bien évidemment.

Ainsi, Michael n'est plus l'homme d'action qu'il était dans sa jeunesse. L'âge et l'expérience lui ont appris qu'il fallait mettre un terme aux cycles interminables de violence. Ainsi, il se décide, bien trop tard, à transformer son empire en un business on ne peut plus légitime. Mais cela ne suffit pas, et le poids des crimes qu'il a commis et fait commettre le pousse à se rapprocher de l'Eglise. Ainsi, la première scène du film le montre se faisant remettre l'ordre de Saint Sébastien, et toute l'histoire tournera autour du Vatican et notamment du décès plus qu'étrange du Pape Jean-Paul 1er.

A coté du personnage de Michael Corleone, le jeune Vincent Mancini, fils illégitime de Sonny Corleone (cf le premier film), fait son apparition. Il s'agit de la nouvelle génération, bien moins orientée vers la tradition, toute aussi intrépide, et, logiquement, plus adaptée au monde actuel. Alors que Michael ne pense plus qu'à un moyen de se faire pardonner ses erreurs passées, Vincent rêve de lui succéder. On assiste ainsi à une passation des pouvoirs, qui rentre dans le premier stade de la mise à nu progressive du personnage de Michael, le délestant de tout le pouvoir symbolique qu'il avait en tant que chef de la Famille Corleone.
Vincent est le jeune protégé de Constanza Corleone, la soeur de Michael. Celle-ci gagne dans le troisième épisode de la trilogie une dimension qu'elle n'avait pas avant. Jeune fille douce et aimée de tous dans le premier film, femme révoltée mais impuissante contre un frère intransigeant dans le second, c'est clairement elle qui tire ici les ficelles. Elle seconde - manipule ? - Michael dans l'ombre tout au long du film et n'hésite pas à donner des ordres en sous-main. Sa soif de sang fait penser à celle de Michael dans le second film, avec cette seule différence que la pauvre femme a déjà tout perdu depuis longtemps. Nous avons ici l'un des personnages les plus poignants de la trilogie, une sorte de monstre créé par son frère, et l'ayant de loin dépassé dans les pulsions meurtrières et la sécheresse de coeur.
Ces deux personnages représentent le passé et l'avenir de Michael en tant que criminel organisé, un passé et un avenir qu'il tente de rejeter, mais qui représentent soit sa culture, sa propre famille pour l'un, ou encore le seul moyen efficace de se protéger pour l'autre. La question éternelle se repose à nouveau dans ce film, et ce de manière bien plus explicite que dans les deux premiers : comment se sortir de ce cercle vicieux de violence et de haine ? Pourquoi Michael est-il craint de tous alors que son père était aimé ? En bref, où a-t-il failli en tant qu'être humain ? Bien évidemment, le film n'offre pas de réponse, et se contente de confronter Michael à son propre destin, ses propres péchés.

Ainsi, le début du film montre Kay, l'ancienne femme de Michael, toujours pleine de ressentiment, alors qu'Anthony, son fils commence à se dresser contre son père qui le voit déjà à la tête de son conglomérat dans les années à venir. Seule l'innocente Mary ignore tout de l'oeuvre malfaisante de Michael et lui voue un amour et une admiration enfantine.
Tout au long des trois heures que dure le film, Michael, guidé par la volonté de se racheter, va peu à peu sortir de sa carapace de parrain et rechercher le pardon de ses proches en tant qu'homme. Ainsi, sa relation avec Kay est un sujet prédominant dans le film, donnant lieu à de superbes scènes où Al Pacino comme Diane Keaton livrent des performances tout bonnement affolantes. On prend alors pleinement conscience de la puissance de la relation entre les deux personnages, une relation longue d'une bonne trentaine d'années, tellement solide que la haine ou le mépris n'en constituent qu'une facette qui ne saurait la détruire. Une belle chose, certes, que cet amour éternel que nos deux personnages se vouent mutuellement et inconditionnellement. Cependant, cela implique que Kay restera toujours la femme laissée pour compte par un Michael toujours plus soucieux du boulot que d'elle. Le fait que les deux êtres s'aiment n'est pas vraiment le point d'aboutissement, mais plutôt celui de départ, celui sur lequel il faudra tout bâtir pour reconstruire une toute nouvelle relation, prendre un nouvel équilibre où chacun est heureux. C'est bien l'intention de Michael, qui veut recommencer une nouvelle vie avec Kay, et bien entendu ses enfants chéris.

Ce n'est manifestement pas celle de Francis Ford Coppola, qui se révèle d'un sadisme pour le moins inattendu tout au long du film. A vrai dire, si le Parrain III mérite plus le titre d'épilogue que de troisième acte, c'est parce le film entier ne fait que filmer la lente agonie de son héros. Nous avons vu le premier stade de cette agonie (qui n'en est alors pas une à proprement parler), qui consiste à restituer à Michael sa dimension de simple homme, et non celui de grand patron, sorte de dieu vivant glorifié par la tradition sicilienne. A cet égard, il est intéressant de constater comment, dans un premier temps, son rapport avec l'Eglise est fait d'égal à égal, toute l'histoire tournant autour d'une histoire du rachat par la famille Corleone d'actions appartenant au Vatican (nous sommes à l'époque où le Vatican trempait dans des affaires plutôt louches). Puis, peu à peu, Michael perd de sa stature, et c'est vers la deuxième partie du film qu'on le verra approcher l'Eglise en tant que croyant cherchant le repentir, lors d'une scène entre lui et le futur Jean-Paul 1er, qui tournera en une séance de confession. Il convient de souligner l'ampleur de cette scène, où Michael montre pour la première fois, sans aucune fierté, sans artifice et sans aucune retenue, le fond de son âme. Il exprime tous les crimes qu'il gardait jusque là enfouis en lui, avant tout celui de son frère. On ressent l'intensité avec laquelle ceux-ci lui pesaient sur le coeur, et Al Pacino arrive à transmettre à quel point l'acte de parole est ici douloureux, montrant son personnage défiguré par la peine, secoué par les sanglots.

Tout ceci nous ramène à la quête spirituelle de Michael, celle d'un échappatoire, d'une rédemption, pour employer une terminologie religieuse certainement pas hors de propos.
Dans la deuxième moitié du film, c'est clairement une quête religieuse que mène Michael, qui a succédée à sa quête de pouvoir tout au long des deux premiers films. On comprend alors à quel point la seconde n'a toujours été qu'un substitut de l'autre, comment, en recherchant à s'élever dans les différentes sphères de puissance, Michael ne recherchait en fait qu'un moyen de s'alléger de ses péchés grandissants. La quête de puissance n'était en fait une quête de salut, devant mener Michael à une sorte d'absolution, la fin de tous les combats. Et alors qu'il s'apprête à affronter les gens les plus puissants qui puissent exister, Michael fait ce triste constat : qu'ils soient hommes d'Eglise ou hommes d'Etat, vils sous-fifres ou machiavéliques maîtres à penser, aucun homme ne peut trouver le pardon de lui-même, quel que soit son accomplissement personnel. Et au lieu de trouver des saints au sommet de son ascension, il n'y a que des hommes pourris par le pouvoir. Toute l'ascension qu'il a pu mener depuis ses débuts en tant que mafioso n'a été que de la poudre dans les yeux, une longue quête sur une route qui ne mène nulle part.

Le spectateur pourra alors se dire que rien ne saurait être pire qu'un tel constat, peut-être le pire que l'on puisse faire en tant qu'être humain. Cependant, on vous l'a dit, Coppola a d'autres projets pour son Michael, plus ou moins discutables. Discutables d'un point de vue strictement philosophique en tout cas, car l'issue de ce film reste sans hésiter l'un des instants les plus dramatiques, les plus magistraux de ce qui constitue l'étendue cinématographique actuelle.
A vrai dire, tout le film converge à chaque instant vers cette dernière demi-heure où un dernier bain de sang à lieu en parallèle avec une représentation de la Cavaleria Rusticana, un opéra italien racontant une histoire de mafia sicilienne enrobée de symboles et de drames puissants. Une belle mise en abîme que celle-ci, où Coppola s'en donne à coeur joie d'établir correspondances visuelles, de raconter sur le plan théâtral ce qui se passe sur le plan réel, d'insister sur des allégories, de souligner certains aspects dramatiques, etc... Une séquence longue qui gagne peu à peu en intensité, reprenant le découpage des scènes finales des deux premiers films, mais à plus grande échelle. La sortie de la salle d'opéra coïncide avec le climax de toute l'intrigue, mettant un terme net à tout espoir d'avenir pour Michael. Non pas par sa mort, mais par la dernière étape de son agonie, à savoir le décès de sa propre fille. La scène se clôt sur un long cri de Michael, un cri de douleur, de rage, d'impuissance, venant du plus profond de lui-même. Le fond de son âme, que nous avions entrevu lors de la scène de la confession, est projeté hors de lui par ce cri. C'est son existence même qui arrive à un terme, tout espoir de rédemption ou quoi que ce soit d'autre étant perdu à jamais. Cette conclusion rapproche donc définitivement la série du Parrain de l'oeuvre antique, sur laquelle une structure sous-jacente avait jusque là pu être établie : voici la fin d'une lutte perdu d'avance, celle d'un homme contre ses propres faiblesses, ayant caressé l'espoir d'être un jour vainqueur. Cette ultime épreuve met fin à la lutte. Une mort spirituelle tellement explicite que le dernier plan montrant un Michael vieilli mourant seul au monde en serait presque de trop.

Voici donc comment se termine la trilogie du Parrain, brillamment mise en scène par Francis Ford Coppola et co-écrite par Mario Puzo, auteur du roman original, et de certaines des plus belles scènes, dont celle de la confession. Si la note de 10 était plus symbolique qu'autre chose pour les deux premiers films, celle de 7 est à la fois trop sévère (une si belle fin) et trop généreuse (de si nombreuses erreurs auraient pu être évitées) pour ce film. A vrai dire et contrairement aux autres films, celui-ci ne se résume pas au personnage de Michael Corleone, comme pourrait le faire croire cette critique. Néanmoins, j'ai préféré faire abstraction des éléments n'allant pas dans ce sens, à la fois par souci de clarté (pas toujours atteint, il est vrai), mais aussi parce qu'à mon sens, ils enlèvent plus à la qualité du film qu'autre chose. Difficile par exemple de s'enlever de l'idée que le personnage de Mary Corleone n'est pas un pot de fleur sans autre destinée que d'ajouter un peu de piment dramatique à la bonne soupe que nous sert Coppola - ceci expliquerait d'ailleurs les critiques à l'égard de Sofia Coppola, qui n'est pas une actrice plus mauvaise qu'une autre, mais qui est donnée à jouer un rôle particulièrement creux.