7/10Menace II Society

/ Critique - écrit par knackimax, le 12/02/2008
Notre verdict : 7/10 - Le ciel est bleu, les uzi chantent et les bad boys ont des secrets (Fiche technique)

Tags : film menace society caine dog hughes drame

Film coup de poing de la nouvelle vague de blaxploitation des années 90, premier film des jeunes Hugues Brothers, cette réflexion sociologique sur la vie et la mort à 18 ans dans le ghetto de Watts est édifiante.

Tout commence par quelques coups de feu anodins. Deux jeunes blacks rentrent dans une épicerie. Les échanges verbaux sont rapides, haineux et sanglants avec le couple qui tient l'épicerie. Un pistolet sort du baggy d'un des deux jeunes. Le second, notre narrateur, est surpris sans pour autant être choqué. Le coup part et une seconde plus tard, le sang coule le long du corps inerte de la première victime. La femme de ce dernier crie, est violentée puis se fait descendre à son tour. Le jeune assassin exulte et leur fait les poches en les insultant. Au loin, une sirène de police nous donne le rythme. Le narrateur continue son exposé de manière sobre alors que les images s'agitent et que les deux complices s'enfuient. On nous l'annonce alors avec calme : cet été sera très long.

Après un titre sobre et graphique, le générique se déroule sous les flammes dans une atmosphère déchirée de ghetto. Nous sommes à Watts pendant les émeutes de l'été 65 et il ne fait pas bon habiter une banlieue chaude de Los Angeles. La violence envahit les rues et les quartiers s'enflamment. Dans les appartements du même quartier habite un petit garçon. Le microcosme du jeune narrateur de la scène d'introduction nous est décrit en termes simples par cette même voix off calme et synthétique. Mon père était un dealer, ma mère une accro à l'héroïne. C'est ainsi que j'ai vu mon premier mort à huit ans. Mon père venait de le tuer. L'image ralentit, devient floue et c'est à une nouvelle époque de s'exprimer. On pose alors le décor moderne : Watts 1993, le rap envahit les rues sur un panoramique survolé du quartier. La musique sert son sujet, elle est hachée et arythmique et ressemble au paysage plein de crevasses d'une banlieue oubliée par l'évolution. Notre jeune héros est maintenant orphelin et habite chez ses grands parents, il va être diplômé (l'équivalent du BAC) et deale de la drogue comme lui a appris son père avant de mourir.

Avec beaucoup de sobriété, encore, et de détachement, les deux frères Hugues aux commandes de leur premier film, réalisent une étude de société « coup de poing ». La réflexion du personnage principal succède et accompagne son histoire et ses rebondissements, ne nous laissant imaginer que le strict minimum. Les mondes se chevauchent sans jamais se rencontrer même dans le milieu intracommunautaire. La sagesse des anciens ne suffit pas à calmer les jeunes fous ni la religion à attendrir leur ardeur. Même l'amour ou l'entraide ne sont pas suffisants à atténuer leurs cœurs. Ils se sentent pris au pièges, apeurés et la question n'est pas pour autant moins simple que celle qu'on pose à tous les enfants : que veux-tu faire plus tard ?

Seulement par-dessus cette question anodine et banale s'en cache une autre beaucoup moins évidente lorsque l'on n'est pas armé pour y répondre : as-tu envie de vivre ?

Cette question est celle qui pose problème à notre personnage principal. Lui et ses amis représentent un groupe co-dépendant et dysfonctionnel où cette question n'existe pas ou plus. Le choix est fait pour eux depuis longtemps mais pas pour lui. Et au cours de son chemin, il reste perplexe et sans but. Mais l'important n'est pas la chute, comme le formulera deux ans plus tard La Haine de Mathieu Kassovitz dans un film qui en est a priori inspiré, c'est bel et bien une question d'atterrissage.

Ce film apparaît un an après un Boyz in Da Hood. La où son prédécesseur était plus standard et pédagogique et donc moins efficace, Menace II Society est social et démonstratif. Celui-ci ressemble beaucoup plus à la rue et les personnages sont moins propres, moins léchés. La réaction est donc bien plus épidermique et le spectateur ne fait qu'observer un monde qu'a priori il ne connaît pas mais qui ressemble au sien, de loin.

La BO, tout aussi efficace se mélange aux images avec aisance pour donner un ensemble percutant qui commence en puissance et finit fort. On regrettera quelques passages R'N'B où R.Kelly nous chante l'amour et les oiseaux en parallèle de l'état d'apesanteur du héros dans sa découverte d'autres sentiments plus doux que son lot quotidien.

Sinon, sous tout rapport et bien que peu novateur, on prend un plaisir certain à découvrir le quartier, la monotonie des habitants, les règles de vie et le patois local qui nous empoisonne l'esprit pendant les 15 premières minutes du film et nous empêche de comprendre. Le grain de la pellicule renforce l'impression d'être au milieu du ghetto et donne vie à l'ensemble.

Ce film laisse donc une forte impression et une morale mitigée dont la logique se démantèle, petit à petit, dans un environnement plus noir que blanc, et où subsistent un peu partout toutes les nuances de gris.