Max et les Maximonstres
Cinéma / Critique - écrit par hiddenplace, le 17/12/2009 (Tags : maximonstres sendak enfants   livre album livres
Spike Jonze rend un magnifique hommage à l'œuvre de Sendak, et donne naissance non seulement à un voyage poétique et émouvant, à un tableau sensible et presque exhaustif de la contradiction / folie propre à l'enfance, mais contre toute attente à un film vraiment personnel.
En 1963, à l'époque où le concept de l'Enfant-Roi n'était pas encore un modèle éducatif, Maurice Sendak écrivait un album dont le jeune héros, Max, devenait le Roi des Maximonstres, à défaut d'être le maître du monde... chez lui. L'ouvrage avait même fait ponctuellement scandale dans certains milieux de ces années-là pour l'insoutenable insolence dont Max faisait preuve envers sa Maman. Le titre original de Max et les Maximonstres, Where the wild things are, laisse à la fois planer une délicieuse aura poétique et cerne les thèmes abordés de manière plus explicite. Depuis, l'histoire du petit garçon et de ses camarades « sauvages et déchaînés » a bercé plusieurs générations de diablotins. Après d'autres adaptations dans le passé en dessins animés et opéras, c'est aujourd'hui Spike Jonze qui prend le pari risqué de lui donner vie sur grand écran.
Situons d'abord notre « intrigue ». Max est un garçonnet comme les autres, d'une dizaine d'années, accordant une place importante au rêve et au jeu. Mais alors, pourquoi les adultes ne veulent-ils pas participer ? Un soir où Max a particulièrement abusé des bêtises pour attirer l'attention sur lui, sa Maman se fâche et le punit. Le petit bonhomme choisit de s'enfuir... et se retrouve sur l'île des Maximonstres (Wild things), où il parvient à s'autoproclamer Roi de ce peuple bizarre, attachant... mais en de nombreux points si proche de lui. L'album d'origine, comme beaucoup de références du genre, ne dépasse pas la trentaine de pages, et à travers une trame courte, simple et linéaire, parvient à faire passer des thèmes fédérateurs et symboliques pour tous les petits Max / Maxettes qui l'ont lu : l'incompréhension, l'impuissance, la recherche de repères / libertés vécus par un enfant. Comment Spike Jonze a-t-il réussi à créer un long-métrage à partir d'une matière si concentrée ? Par la fantaisie et le ton décalé qui lui sont propres, il a tout simplement brodé, étoffé, approfondi les thématiques en donnant corps non seulement au petit protagoniste, mais également à chacune des fameuses créatures fantastiques.
Le réalisateur a fouillé tout ce qui pouvait entourer la trame principale et ses acteurs, en illustrant et inventant des situations qui justifieraient davantage le « voyage » de Max. Celui-ci, déjà, est une figure inspiratrice infinie, il représente l'enfant dans son statut universel, avec toutes les facettes contradictoires qui le caractérisent : passer du rire au larmes (notamment dans la scène de la bataille de boules de neige), vouloir tout diriger, mais se sentir en sécurité et guidé (le Fort dans la vraie vie et chez les Maximonstres), créer des liens intenses avec les autres pour se construire et apprendre. En quête d'affection permanente, il cherche constamment du répondant auprès de son entourage : sa grande sœur (inventée pour le film), sa Maman, son maître d'école. Le jeune comédien incarnant Max, qui par une coïncidence (?) surprenante se nomme Max Records, insuffle toute cette hargne, cette folie tantôt latente, tantôt débordante, cette douceur, cette mélancolie, avec une justesse et un naturel incroyables. De son regard parfois perdu, parfois extraordinairement lucide, il déploie une palette d'émotions impressionnante sans tomber dans le surjeu. Par moment, le jeune acteur et son personnage rappellent d'autres figures rêveuses et solitaires du septième art : le petit Elliott d'E.T. qui avait lui aussi trouvé ailleurs le réconfort que le monde adulte lui refusait, ou le bricoleur déconnecté (pourtant adulte !) de La science des rêves. On note un petit écart scénaristique cependant : dans le film, Max s'enfuit littéralement de chez lui au lieu d' « obéir » à sa mère et de rejoindre sa chambre, qui dans le livre se transforme en forêt. C'était un détail intéressant de l'histoire que l'on regrette, mais on devine que l'alternative pallie probablement un problème de technique... ou peut-être que le Max d'aujourd'hui est moins docile que celui de 1963 ? Le monde adulte est représenté comme alarmiste et égocentré, tel que le perçoivent Max et une majorité d'enfants. Catherine Keener, incarnant la Maman, est à l'image de son rôle : à la fois discrète et dominante, malgré sa présence brève à l'écran, elle incarne sobrement l'Autorité, ce mélange de douceur et de fermeté qui surplombe le film d'un bout à l'autre (et du moins qui l'ouvre et le ferme).
Face à lui, les Maximonstres sont également remarquables... d'humanité. Extrapolant les quelques pages du livre où les créatures sont montrées comme un ensemble, Spike Jonze leur attribue à chacune une personnalité (et un prénom !) bien propre : la créativité/ la folie pour Carol (le Maximonstre « miroir » de Max), la loyauté pour Douglas, la rébellion pour KW, la crainte et la timidité pour Alexander, la douceur pour Ira, la sagesse et la mesure pour Judith... Ainsi, elles personnifient toutes les émotions qui s'affrontent dans la tête de Max, mais montrent également qu'elles peuvent cohabiter sans danger, voire... avec bonheur (procédé de personnification des sentiments qui rappelle d'ailleurs le principe de la récente BD Jolies ténèbres, traitant elle aussi des facettes contradictoires de l'enfance, de manière en revanche beaucoup plus... noire). Les monstres, incarnés par des acteurs endossant de magnifiques costumes très fidèles à leur modèle livresque, nous prouvent si nous en doutions encore, que les techniques artisanales ont encore de beaux jours devant elles. Ici peu de 3D (uniquement l'animation des visages des Maximonstres) mais surtout des poils, des plumes, des cornes et des gestes à la fois instinctifs, humains et vivants. Mélange du charme désuet des marionnettes-animatroniques des années 80, comme le gentil Falcor de L'histoire sans fin, et du design original de Maurice Sendak, l'ensemble donne un rendu fort, juste, attachant... mais aussi vraiment singulier. Le parti pris du costume plutôt que du « tout 3D » pour les monstres renvoie d'ailleurs au personnage de Max lui-même, paré tout au long du film de son déguisement de loup. Et il est indéniable que la marionnette est une technique qui transmet efficacement les messages et émotions au public enfantin, ici Spike Jonze en exploite toutes les richesses. Les regards et expressions faciales, numériques quant à eux, sont également incroyablement justes et émouvants, et reflètent à travers une multitude de mimiques et rictus, comme un miroir, la propre sensibilité de Max.
Le souvenir qui restera de cette adaptation de Spike Jonze, en bon technicien de l'image qu'il est, c'est aussi ce cachet radieux, vraiment particulier, qu'il lui a donné. La lumière notamment (proche des lueurs légères et tamisées du crépuscule ou de l'aube), élément essentiel de l'atmosphère du film, est toujours diaphane, nuancée, et donne du relief et du grain aux personnages. La photographie penche parfois vers l'imagerie vintage des années 60-70, revenue d'ailleurs sur le devant de nos scènes depuis quelques années, et par moment on en vient à chercher l'époque dans laquelle évolue Max. Serait-ce un petit garçon d'aujourd'hui, ou celui de l'écriture d'origine ? En laissant planer le doute, ce datage flou renforce parfaitement le côté universel du personnage. Impression qui est accentuée par une bande sonore réalisée par Karen O and the Kids (du groupe Yeah yeah yeahs), dont les sonorités seventies, entre énergie fracassante et mélancolie caressante, apporte une fraîcheur supplémentaire au film.
En s'attaquant à un monument de la littérature de jeunesse, Spike Jonze relevait un défi très risqué. Celui de contenter les lecteurs du livre original, mais aussi celui de toucher et convaincre les néophytes. Il rend finalement un magnifique hommage à l'œuvre de Sendak, et donne naissance non seulement à un voyage poétique et émouvant, à un tableau sensible et presque exhaustif de la contradiction / folie propre à l'enfance, et contre toute attente à un film vraiment personnel. Et pour finir, n'oubliez pas : il y en a un dans chacun de nous.