M le maudit
Cinéma / Critique - écrit par Kassad, le 20/09/2005 (Tags : film lang fritz maudit cinema critique films
M comme Magnifique
Oui je sais, dire qu'on a adoré un film en noir et blanc des années 30, qui plus est un film allemand, instille toujours une certaine dose de doute chez votre interlocuteur. Il se demande immanquablement si vous n'en rajoutez pas une couche, quelle est la dose de sincérité et si vous ne la jouez pas un peu intello-qui-se-la-pète-en-société. Bon voila, j'ai adoré M le maudit... Je ne m'y attendais pas vraiment avant de le voir. Je croyais encore une fois avoir à faire à un film où les acteurs surjouent (comme c'était souvent le cas à l'époque il faut bien le reconnaitre) et où le tout tient finalement plus d'une pièce de théâtre filmée qu'à du cinéma. Un peu comme les voitures du début du XXème siècle qui ressemblaient plus à des calèches dans lesquelles on avait inséré un moteur qu'à une twingo.
Nous sommes dans le Berlin des années 30. La ville est la proie d'un tueur d'enfants. Tout le monde a peur, tout le monde le cherche. La police effectue rafles sur rafles pour rassurer la population. Seulement voilà : la pègre locale commence à être génée par cette police omniprésente. Ils décident de régler eux-même le problème et partent à la chasse au meurtrier.
Pour un film qui accuse plus de soixante-dix ans au compteur il est de bon ton de dire : "mais c'est très actuel vous savez", avec un petit air de condescendance soulignant qu'on est magnanime (le "par rapport aux moyens de l'époque" n'est jamais loin). J'irais plus loin concernant M le maudit, il est plus qu'actuel, il est en avance sur notre temps. Les questions qu'il soulève sont encore débatues. Non les serial killers ne sont pas apparus au milieu des années 90 comme tenterait de nous le faire croire hollywood. Non les questions sur la responsabilité/l'irresponsabilité des malades mentaux et de comment la société peut gérer ce problème ne datent pas d'aujourd'hui. Par contre l'humanisme dont fait preuve Fritz Lang n'est malheureusement pas encore d'actualité lui...
Ce qui frappe le plus dans les premiers instants de M le maudit est le jeu des acteurs. Tout en finesse et en subtilité, il tranche véritablement avec ce qui se faisait jusque dans les années 60 (30 ans après, j'aime bien rappeler les dates pour qu'on se rende compte du phénomène). Puis au fur et à mesure que le film progresse on est pris par l'intrigue et la mise en scène. C'est là que Fritz Lang montre l'étalage de son génie. Il ne faut pas oublier qu'il s'agit de son premier film parlant... pourtant les plans, le montage (l'alternance entre les réunions chez les policiers et les malfrats), les prises de vue (notamment celle sous le bureau du commissaire) montrent une inventivité que peu de cinéastes atteignent aujourd'hui. J'espère que ce film est étudié dans toutes les écoles de cinéma, non pour sa valeur historique, mais pour sa valeur intrinsèque ! En regardant ce film je me suis dit que la majorité des metteurs en scène qualifiés de "géniaux" (généralement nés après la production de ce film !!) n'étaient en fait que des analphabètes cinématographiques à comparer de Fritz Lang.
Le jeu de Peter Lorre qui campe un tueur poussé par des pulsions incontrolables est au delà de tout qualificatif. Il représente la bourgeoisie de la république de Weimar : le titre original de Fritz Lang était "Les assassins sont parmi nous", mais les nazis n'ont pas laissé passer, on se demande bien pourquoi... Ce film montre d'ailleurs de manière très subtile comment l'humanisme (symbolisé par un avocat) est submergé par une haine populaire (le tribunal des assassins) grondant de plus en plus fort.
Mise en scène, montage, jeu des acteurs, musique ! (si le petit air que siffle le meurtrier ne reste pas gravé dans votre mémoire je veux bien être pendu), esthétisme, inventivité, allégorie : Fritz Lang fait un carton plein. Le principal risque que vous courrez en regardant M le maudit est d'être dégouté quant à la production cinématographique actuelle. Il vous faudra un temps de réadaptation certain pour supporter la vue d'un blockbuster standard, et le fait même qu'on puisse y arriver vous laissera un arrière goût amer dans la bouche...