Irréversible
Cinéma / Critique - écrit , le 11/03/2003 (Tags : film irreversible noe cinema gaspar vincent films
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Avant de lire cette critique, n'oubliez pas que ce film est interdit au moins de 16 ans.
Vous l'aurez compris, Irréversible est un film choc, un renouveau du cinéma français, et que l'on dise que Noé soit un monstre ou un génie n'y changera rien : c'est est un observateur de l'Homme et de son inhumanité.
Avant la fin, la phrase suivante apparaît : "Le temps détruit tout".
Avant, un stroboscope hypnotisant se mêlant au fur et à mesure à une image de galaxie sature l'écran et imprègne notre rétine, la fin est proche. Avant, Alex (Monica Bellucci) lit paisiblement dans un jardin public, des enfants jouent avec un arrosoir. La plénitude atteint son paroxysme avec la 7e symphonie de Beethoven et les rotations d'une caméra enivrante. Avant, la belle Italienne comprend qu'elle est enceinte, elle est heureuse ! Elle tellement belle quand elle est comblée de joie... Avant, elle se réveille aux côtés de son homme, à la vie comme à l'écran : Marcus (Vincent Cassel). Dans une scène intimiste et fantastique, les deux amants s'aiment, dansent, vivent dans une harmonie sensuelle. Avant, le couple discute dans le métro avec Pierre (Albert Dupontel), l'ex-petit ami d'Alex. Ce sont des amis proches, leur discussion est amusante, simple, belle. Avant, ils sont dans un ascenseur, ils vont à une soirée. Avant, ils dansent, boivent un peu trop, s'amusent beaucoup, se snobent. Alex trouve que Marcus est trop énervant ce soir, il s'est un peu drogué, il perd un peu ses moyens et Alex veut partir, elle confie son homme entre les mains de son ex. Cela tombe plutôt bien : ces-deux là s'entendent comme des frères, ce sont même de vrais gamins insouciants se chamaillant sans cesse. Avant, Alex se fait atrocement violer dans un tunnel sordide, nous laissant spectateur inactif, nous laissant atrocement mal à l'aise.
Que peut-on y faire ? Rien, elle était simplement là au mauvais endroit au mauvais moment, son violeur finit même par la massacrer à coup de pied dans la tête et dans son ventre, son ventre protecteur d'une vie qui aurait pu naître. Avant, Marcus et Pierre découvrent Alex dans une civière, complètement défigurée, ils apprennent son viol. Ils discutent avec deux macs, ces derniers peuvent les aider à retrouver le violeur, avec un peu d'argent tout est possible en ce bas-monde. Avant, la police prend leurs dépositions : ils sont choqués, surtout Marcus, la drogue ne l'aidant pas. Avant, les deux quasi-frères sont dans une ruelle de travestis, Marcus s'énerve et agresse l'un/l'une d'entre eux/elles, Pierre essaye de calmer le jeu. Avant, ils sont dans un taxi, ils cherchent une boîte de nuit homosexuelle : "le rectum", il y a de l'animosité dans l'air, le chauffeur de taxi est aussi agressé par Marcus, Pierre n'arrivant pas à la maîtriser. Avant, ils sont dans la boîte en question, Marcus et Pierre cherchent à se venger, la caméra tourne et tourne dans un parcours chaotique et dans une ambiance malsaine, les infra-basses saturant le son. Avant, dans cette boîte à partouze glauque pour homme, Marcus se fait casser le bras par le présumé violeur, Pierre perd à son tour les pédales et lui écrase la tête à grand coup d'extincteur, scène choc, j'en ai encore mal au ventre. Avant, Marcus sort de la boîte à son tour sur civière, Pierre est entre les mains de la police. Avant, une cellule où deux hommes parlent de leurs vies. L'un, reconnu coupable d'inceste, avoue que de toute façon il recommencera en sortant, ainsi va la vie. Avant, un générique défile à l'envers, il tourne un peu, quelques lettres sont inscrites à l'envers.
Avant, c'est le début du film.
Étrange Gaspar Noé. Après ton moyen-métrage très prometteur, Carne, où un boucher élève seul sa fille handicapée mentale, tu réalises La Bouche de Jean-Pierre pour pouvoir trouver les fonds nécessaires à ce que l'on pourrait appeler une suite de Carne : Seul Contre Tous. Le boucher est maintenant au chômage, il sombre dans la violence, la haine et viole sa fille. Ce film à l'ambiguïté idéologique choque Cannes et la critique, mais qu'importe, tu prouves ton génie de la narration, une narration où l'Homme est un crachat de glaire sur du bitume. Inclassable Noé, tu récidives avec Irréversible, où notre boucher parle déjà de recommencer. Avec un script tenant sur un feuillet de 4 pages : l'histoire cynique de deux hommes sombrant dans une haine et violence sans borne pour venger le viol de leur amie. Incroyable Noé, ton film est une perle technique : 12 plans séquences s'enchaînant sans coupures, des effets spéciaux coup de poing (1500 plans truqués), des dialogues improvisés par trois acteurs de génie, une caméra vagabonde et enivrante provocant un trouble en chacun de nous. Merveilleux Noé, ou comment tu as subjugué un scénario classique en montant ton film à l'envers. Alors que nous sommes plongés dans un univers glauque, sordide et chaotique, nous sommes peu à peu transportés vers la beauté, la sensualité le calme et la plénitude. Qu'en reste-t-il ? Si comme tu le dis, "le temps détruit tout", nous n'en sommes pas moins déboussolés en sortant de ta descente aux enfers à l'envers. Quelle horreur de voir ce couple heureux après avoir vu tant de violence, tout sera vraiment perdu par l'animosité de l'homme. Noé, on peut dire que tu es un type formidable qui fait des films abominables, j'ai beau retourner ton film dans tous les sens, ce qui reste irréversible, c'est ta vérité.
"Parce que certains actes sont irréparables. Parce que l'Homme est un animal. Parce que le désir de vengeance est une pulsion naturelle. Parce que la plupart des crimes restent impunis. Parce que la perte de l'être aimé détruit comme la foudre. Parce que l'amour est source de vie. Parce que toute histoire s'écrit avec du sperme et du sang. Parce que les prémonitions ne changent pas le cours des choses. Parce que le temps révèle tout. Le pire et le meilleur."
Gaspar Noé