Elephant
Cinéma / Critique - écrit par Kassad, le 20/11/2003 (Tags : elephant elephants afrique animal modifier ivoire animaux
Le cimetière des é...motions
Le titre de ce film est un hommage à un reportage de la BBC tourné par Alan Clarke sur la violence latente entre catholiques et protestants en Irlande. C'est aussi une approche artistique du drame de Columbine. Si Michael Moore dans Bowling for Columbine adopte une approche documentaire et donne des pistes d'explications, ou tout du moins soutient une thèse, Gus Van Sant produit quant à lui un récit labyrinthique d'une journée d'horreur ordinaire : il se contente de montrer sans chercher à expliquer.
Au premier abord on pourrait croire qu'Elephant ne possède pas de scénario à proprement parler. La caméra ne fait que suivre quelques lycéens durant une journée ordinaire qui finit par virer au carnage. Mais petit à petit on sent que Van Sant tisse sa toile et que nous ne sommes pas en face d'un "simple" documentaire. Ce film est un récit construit, les nombreux retours en arrière, les différents points de vue subjectifs suivant les "personnages principaux" sont là pour le souligner. C'est avec une très grande finesse que Van Sant arrive à faire monter la tension. Tout d'abord il y a la violence, partout présente. Que ce soit dans les remarques acerbes envers un "vilain petit canard", dans la peinture d'une société qui se délite (le père de Marc tellement saoul le matin que son fils doit lui prendre le volant des mains) ou encore dans les injustices quotidiennes envers le souffre-douleur de la classe submergé sous les boulettes en papiers de ses "camarades". Il y a aussi la manière dont les scènes sont tournées : en vue subjective exactement comme dans un jeu vidéo du style Counter-Strike. Le montage aussi participe de cette montée de la tension : les plans s'accélèrent et les flashbacks aussi mais soudainement le récit reprend une construction linéaire peu avant que le carnage ne débute.
Finalement le film de Van Sant est à la fois ambitieux et humble. Ambitieux parce que comme une oeuvre d'art il tente de faire passer des émotions brutes et complexes envers le spectateur sans utiliser les moyens dont dispose un scénariste, ce qui fait son humilité. C'est juste par la mise en scène et le montage que s'opère la transformation d'un reportage en une vraie construction artistique. De plus il est clair qu'Elephant ne pointe le doigt vers aucune solution clef en main en guise d'explication du "pourquoi". Le spectateur est seul en face des faits, il n'y a pas un scénariste qui s'est amusé à construire des événements (le tout souligné par une musique adaptée) conduisant à un déroulement "logique" des faits. A ce titre on peut regretter la scène où les deux tueurs regardent un documentaire sur l'Allemagne Nazie et jouent à un jeu vidéo type Doom. D'une part parce qu'elle tranche par rapport au reste du film (elle fait collée et sans lien avec le reste), et d'autre part par ce qu'elle peut induire de la confusion. Car ces comportements sont-ils des causes ou des conséquences ? La manière dont c'est fait laisse penser qu'il s'agit de conséquences d'un état qui va conduire à la tuerie plutôt que de ses causes.
Il est indéniable que la mise en scène est faite avec maestria, et en ce sens je comprends que ce film ait eu la palme d'or. Plus j'y repense, ou plutôt plus le film se répand en moi, plus je vois l'intelligence et la pertinence de l'oeuvre. Maintenant la question est : cela m'a-t-il plu ? Et bien je dois dire que je n'ai pas été emballé. Peut-être est-ce dû au fait que ce film est un peu "too much". A force de faire appel à l'intellect et uniquement à ce dernier, d'un certain point de vue Van Sant illustre bien le détachement chirurgical de ses personnages avec les sentiments, ce qui conduit aux pires horreurs (les tueurs n'ont apparemment aucune idée de la gravité de ce qu'ils font), d'un autre côté il y parvient tellement bien que le spectateur lui aussi est anesthésié. Je suis resté devant son film comme les meurtriers devant leurs victimes : impassible, incapable de ressentir une émotion. Ce film reste froid, clinique, aussi lisse que le billard sur lequel on pratique les autopsies...