Les dents de la mer
Cinéma / Critique - écrit par riffhifi, le 17/02/2008 (Phénomène de mode en 1975, Les dents de la mer apparaît avec le recul comme un film assez mineur dans la filmographie de Spielberg. Historique, mais mineur.
Roy Scheider est mort cette semaine. Si son nom apparaît au générique de près de 80 films, on se souvient de lui essentiellement pour deux rôles qu'il a tenus dans les années 70 : celui du partenaire de Gene Hackman dans French Connection, et celui du shérif Brody dans Les dents de la mer (et dans sa première suite). En 1975, la sortie du film traumatisa les spectateurs, certains développant même une phobie de la baignade marine...
Amity Island, destination touristique par excellence, est la proie d'un requin mangeur d'hommes. Martin Brody, chef de la police locale, tente de convaincre les autorités de fermer les plages, mais il se heurte à un refus : on ne ferme pas la porte aux profits. Il devient alors urgent de partir à la pêche au gros.
Jaws, littéralement « Les mâchoires », n'est pas tant un film sur les requins ou la mer qu'un film sur l'angoisse de l'inconnu. En d'autres termes, ce n'est rien d'autre
Feu Roy Scheiderqu'un remake aquatique du célèbre téléfilm réalisé peu de temps avant par Spielberg : Duel. Dans les deux cas, il est question d'une menace invisible, féroce et obsessionnelle, auquel le héros est confronté lorsqu'il s'aventure dans un territoire qui n'est pas le sien, et qu'il ne peut vaincre qu'en acceptant les règles de ce nouveau milieu. Avec ses 71 minutes et son personnage quasiment seul à l'écran, Duel (1971) était d'une intensité et d'une précision exemplaire. Jaws, en revanche, affiche deux heures au compteur et une galerie de personnages assez unidimensionnels, le plus important étant le chef Brody, torturé par son incapacité à protéger les vacanciers du monstre marin. Le film tourne autour des angoisses de cet homme ordinaire, peu habitué aux situations de crise, obligé d'endosser une responsabilité et un risque énorme pour être en paix avec lui-même ; on remarquera qu'il est le seul à traquer le requin pour sauver les victimes potentielles : tous les autres le font pour l'argent, pour l'aventure, pour la science... sans parler de ceux qui tentent d'éluder le problème pour continuer à faire de l'argent (on retrouvera le même type de trame dans les Jurassic Park près de vingt ans plus tard).
On l'a répété un nombre incalculable de fois, la grande habileté de Spielberg dans ce film consiste à miser sur le suspense plus que sur l'horreur : les massacres commis par le requin sont presque tous suggérés, le plus connu étant le premier,
Va te baigner, ça va te requinquer.celui de la jeune fille quasi-nue ballottée à droite et à gauche par le requin (hors-champ) d'une façon qui sera reprise par Christophe Gans dans l'ouverture du Pacte des Loups. Le requin ne commence à apparaître qu'à la moitié du film, et ne se montre en gros plan que dans la dernière demi-heure. La raison de cette parcimonie n'est pas seulement le talent de Spielberg (qui n'en était certes pas dénué mais manquait également de maturité à plus d'un titre), mais surtout l'avalanche de problèmes techniques affectant la marionnette du requin. Affectueusement surnommée Bruce par l'équipe, la bestiole animée n'avait été testée qu'à l'air libre, et passait son temps à se détraquer sous l'eau. Au bout du compte, Spielberg utilisa un simple mannequin de requin dans plusieurs plans, d'où l'aspect particulièrement moche de la créature dans la scène finale. Une scène si kitsch qu'elle ruinerait presque l'impact des trois premiers quarts du film, et même les premières apparitions si fugaces et bien amenées de la bête. Heureusement, on retient surtout de l'ensemble les séquences marines exaltantes, la musique ultra-culte de John Williams, le travelling compensé sur Roy Scheider lorsqu'il est témoin de sa première attaque de requin... Spielberg a déjà le sens du spectacle et du suspense, et Les dents de la mer se regarde avec plaisir malgré son impact considérablement amoindri aujourd'hui. Néanmoins, on remarque que le réalisateur refusa de tourner la moindre suite malgré les propositions alléchantes du studio. Il avait probablement compris qu'un seul film suffisait très largement à faire le tour du sujet.
Des suites, il y en eut trois : Les dents de la mer 2 (le genre de titre qui réjouit autant le Français que Saw VI) en 1978 montrait Martin Brody de nouveau aux prises avec un requin, le 3 (1983), filmé en relief, mettait en scène Dennis Quaid dans un parc d'attraction aquatique et Les dents de la mer 4 - La revanche (1987)
partait d'un pitch particulièrement imbécile selon lequel le fils du requin du premier film voulait accomplir une vengeance personnelle contre la famille Brody (sur l'affiche, on peut lire : « This time it's personal »). Mais la mode de l'animal marin mangeur d'homme ne s'est pas arrêtée à la franchise Jaws : sans prétendre à l'exhaustivité, on citera Les mâchoires infernales (1975), Tintorera - Du sang dans la mer (1976), Tentacules (1976), Orca (1977), Piranhas (Joe Dante, 1978), La mort au large (1980), Piranha 2 (James Cameron, 1981)... Sans compter le retour de la vague (désolé) dans la deuxième moitié des années 90 : Cruel Jaws (1995), Deep Blue Sea (1998), Shark Attack (1999), Lake Placid (2000), Shark Attack 2 (2001), La nuit des requins tueurs (2001), Shark Attack 3 : Megalodon (2002)...