Le convoyeur
Cinéma / Critique - écrit par Levendis, le 26/04/2004 (Entre polar et chronique sociale
Nicolas Boukhrief, ex journaliste-créateur du magazine Starfix (spécialisé dans le cinéma fantastique et d'horreur) devenu réalisateur, acteur et scénariste, a côtoyé pendant des années plusieurs réalisateurs (Kassovitz, Gans) avant de passer lui-même derrière avec plus ou moins de réussite (deux longs-métrages passés quasiment inaperçus : Va mourir et Le Plaisir et ses petits tracas). Surtout spécialisé dans le scénario, il en vient à travailler entre autre sur La Haine et Assassin(s) de Kassovitz et sur le Tout le monde n'a pas eu la chance d'avoir des parents communistes de Jean-Jacques Zilbermann ; par la suite il décide fin 2003 de se lancer dans l'écriture d'un scénario qu'il compte réaliser lui-même : Le convoyeur, avec dans le rôle-titre l'étonnant Albert Dupontel. Le film s'intéresse au monde difficile des convoyeurs tout en y ajoutant une intrigue policière très efficace.
Un individu, Alexandre Demarre se présente un jour à la petite société de transport de fonds, la Vigilante, pour devenir convoyeur. La Vigilante est en très grande difficulté : victime dernièrement de trois violents braquages, elle risque le dépôt de bilan et la restructuration. L''entreprise engage malgré tout Demarre pour les fêtes de fin d'année, période à risque. D'entrée très mystérieux avec ses nouveaux collègues, celui-ci semble s'être fait engager pour un autre dessein, mais quel est-il vraiment ? Est-il un énième braqueur repérant les lieux ? Un flic en mission d'infiltration ? Ou alors cherche-t-il autre chose, de plus surprenant ? Une quête angoissante se dévoile ainsi à nous...
En effet c'est dans cela que le film de Boukhrief réussit à nous entraîner, dans un univers où les apparences sont plus que trompeuses, fuyantes voire très mortelles. Car il faut bien dire que ce polar est surprenant dans sa forme, et dans son fond, flirtant sans cesse entre le documentaire (le métier dangereux en détail des convoyeurs de fonds), la chronique sociale (leurs relations sociales quasi inexistantes) et enfin le polar pur et dur. Ce parti-pris de déstabiliser le spectateur se révèlera payant sur la longueur car malgré un début assez lent, l'ambiance du film nous accapare bien vite. Le réalisateur a semble-t-il cherché à installer une ambiance faussement nonchalante et désabusée, et le film semble parfois flotter dans une douce torpeur, presque endormissante, et l'on est bien surpris lorsque celui-ci accélère brutalement, nous scotchant sur place dans un dernier quart d'heure particulièrement sanglant.
Les acteurs y sont aussi pour beaucoup dans l'efficacité de ce film, déjà par l'immense Albert Dupontel qui écrase le film de sa présence, à la fois inquiétant et fragile. Aussi une mention spéciale pour la prestation bluffante de Jean "Chouchou" Dujardin, véritablement métamorphosé et plein de justesse tout le long du film, et ne parlons pas de François Berléand toujours aussi excellent et décalé. Le reste de la distribution suit assurément derrière avec tout autant de qualité. Tous ces acteurs apportent une grosse part de réalisme à l'histoire : les moments de doute, de solitude, de désespoir, voire de pétage de plomb de ces convoyeurs nous sont distillés avec finesse. Même les moments de rire, relâchement salvateur dans la tension brutale qui parsèment le récit.
En définitive nous voilà face à un polar (français !) très bien ficelé, très bien réalisé et interprété par des acteurs au plus haut de leur forme (le regard terrassant de Dupontel en gros plan est redoutable d'efficacité) et avec un final cataclysmique, très Counter Strike même, qui saura en surprendre plus d'un avec sa maîtrise étonnante de la tension jusqu'a l'explosion de violence crue. A découvrir au plus vite !
Et aussi, Nicolas Boukhrief est plus que jamais un réalisateur à suivre pour les années à venir...