La Colline aux coquelicots
Cinéma / Critique - écrit par OuRs256, le 09/11/2011 (Tags : film colline ghibli coquelicots miyazaki studio umi
Après Les Contes de Terremer, un premier film en demi-teinte, on retrouve Gorô Miyazaki aux commandes d'un film issu des studios Ghibli. Cependant, le père n'est pas loin... et ça se voit !
Après avoir vu le premier film de son fils, Hayao Miyazaki avait déclaré : "Un film ne se résume pas seulement aux sentiments" mais aussi que son fils n'était pas encore assez mûr pour réaliser des longs métrages d'animation. Il faut l'avouer, Les Contes de Terremer n'était pas vraiment captivant. Miyazaki père a donc, cette fois, donné un coup de main à son fils en s'occupant de l'adaptation scénaristique du manga (un shôjô en deux volumes paru dans les années 80) duquel le film est tiré.
Le bateau grâce auquel Shun se rend chaque jour au lycée
L'histoire se déroule en 1963, un an avant les Jeux Olympiques de Tokyo. Umi Komatsuzaki est une jeune fille qui vit et travaille (comme gestionnaire et cuisinière) dans une pension appelée le Manoir Coquelicot. Cette dernière a perdu son père lors de la guerre de Corée et sa mère, professeur à l'université, est souvent amenée à faire des colloques à l'étranger. Tous les matins, en hommage à son père, Umi hisse des pavillons signifiant "Je prie pour que vous fassiez bon voyage". Shun Kazama, un de ses camarades de classe, le voit et y répond tous les matins car il se rend à l'école dans un vieux bateau à vapeur. Umi le rencontrera à l'issue d'une manifestation organisée pour sauver le foyer des clubs du lycée, un bâtiment appelé le Quartier Latin (en français dans le texte s'il vous plait). Les deux lycéens vont finir par se rapprocher et l'on se rend compte très rapidement qu'ils s'apprécient beaucoup. Cependant, il se pourrait qu'un secret de famille les lie malgré eux...
En voyant l'intrigue, on se rend compte qu'on est en face d'un Ghibli somme toute classique. Les deux héros traditionnels sont là (le garçon et la fille), ils ont des sentiments l'un envers l'autre et ils vont devoir surmonter des obstacles. Les fans ne seront donc pas dépaysés à ce niveau là. Le thème en lui-même est un grand classique : l'enfant esseulé qui doit prendre soin de ses frères et soeurs et grandir sans ses parents n'est pas nouveau chez Ghibli (grandir est un rituel !). Le petit bémol est à mettre au niveau du rythme. Le film ne dure qu'un petite heure et trente minutes mais parait vraiment lent. Les petites cassures freinent considérablement le déroulement de l'action. On a une impression de césure et le film apparait beaucoup moins fluide qu'Arrietty (sorti en début d'année) par exemple. Même si ce détail ne fait pas tout le long métrage, des transitions mieux travaillées auraient permis au public d'apprécier une oeuvre plus fluide...
Première rencontre qui finira... en pétard mouillé !
L'un des gros points forts de ce nouveau Ghibli réside dans son graphisme. Les décors sont somptueux et de plus en plus impressionnants au fil des années. Ces derniers fourmillent de détails et on peut que s'émerveiller devant tant d'ingéniosité. En effet, les liens nouveaux forgés entre le Japon et les USA après une période d'après-guerre très difficile sont représentés par l'arrivée de produits américains sur le territoire japonais. On ne sera donc pas étonné de voir les personnages boire du Label 5 et manger du beef jerky. Le foyer des clubs, le fameux Quartier latin, reste l'incarnation de cette perfection dans le détail. Il fourmille de recoins en tout genre, des petites bestioles se promènent dans la poussière et les vieux livres... Chaque club à sa zone bien délimitée et montre sa différence (au Japon, les clubs rivalisent pour pouvoir attirer le plus de membres possible) par un stand particulier, mention spéciale au club de philosophie et à son unique membre. Imaginez un gros gaillard à la mâchoire carrée dans un tout petit local situé dans le renfoncement d'un mur, le tout rempli de livres, gâteaux et bidules en tout genre (situation cocasse garantie !). Le Quartier Latin évolue avec le film : au départ, il était poussiéreux, vieillot et sombre; à la fin, il sera entièrement coloré, propre et arborera une peinture moderne (avec les fameux coquelicots). La métamorphose du bâtiment est incroyablement bien rendue et on ressent le travail des lycéens et leur détermination (et des dessinateurs et animateurs derrière !).
On découvre aussi le Japon industriel des années 60, son tout nouveau tramway et ses trains qui sont déjà bondés ! Les intérieurs sont aussi très intéressants du point de vue historique. Les petites affichettes (motivation pour les JO, posters publicitaires d'époque) que l'on voit dans les bureaux lorsque nos deux héros se rendent à Tokyo nous renseignent sur les intérêts des tokyoïtes de cette époque. L'éternel respect à la Japonaise a aussi droit à sa représentation dans le film. Les courbettes pleuvent et les marques de respect envers les professeurs et les directeurs d'établissement s'expriment via chansons et saluts.
La musique joue d'ailleurs un rôle bien plus important que dans d'autres animes du studio. Traditionnellement, une chanson ouvre et une autre ferme le long métrage. Elles sont présentes ici aussi mais ce n'est pas tout. Le film est ponctué de chants en tous genres. Les élèves se mettent subitement à chanter l'hymne du lycée lorsque l'un de leur professeur entre dans la salle de débat et mettre leur plan de sauvetage du foyer à mal. Comme on dit chez nous : "Pas vu pas pris !".
Le Quartier LatinAu niveau des mélodies, on reconnait les arrangements traditionnels aux autres Ghiblis. Pas de surprise mais une impression de nostalgie, la même qui revient à chaque nouveau film, toujours aussi bienvenue. La musique accompagne le spectateur dans le voyage émotionnel de l'héroïne car il s'agit bien là du thème sous-jacent. L'accent est porté sur les sentiments d'Umi et leur évolution au fil du temps. Sa façon de voir Shun change et on passe de l'amour à la déception tout en expérimentant l'envie et l'attente.
Le titre, Kokuriko zaka kara, fut traduit chez nous au départ par La Pente des coquelicots et ensuite par La Colline aux coquelicots. En anglais, il est traduit par From Up On the Poppy Hill (qui donnerait quelque chose comme Depuis le sommet de la colline (aux) coquelicots dans la langue de Molière). Ces variantes de traduction dénotent une subtilité très intéressante et, pour ma part, je pense que le titre a été très bien trouvé. Depuis la fin de la première guerre mondiale, le mythe des coquelicots comme seule fleur pouvant pousser sur les champs de bataille s'est répandu. C'est une des raisons pour lesquelles les anglais portent une fleur de coquelicot en papier au coeur début novembre (c'est ce qu'on appelle le poppy appeal). Les coquelicots peuvent donc faire écho au père d'Umi, mort pendant la guerre de Corée. Du haut de la colline, Umi doit évoluer et grandir, tout comme les coquelicots ont pu pousser sur une terre où la guerre a fait des ravages (même si ici, ce sont des ravages indirects).
En conclusion, on se retrouve avec une seconde oeuvre bien plus réussie que la première. Malgré le rythme un peu saccadé, les personnages hauts en couleurs sont très attachants et la vie dans ce foyer délabré, véritable microcosme qui prend vie au fil des minutes, confèrent au long métrage un capital sympathie non négligeable. Les quelques enfants qui étaient là lors de la projection presse n'ont pas pu tout comprendre car l'histoire était un peu complexe, ce qui est peut-être un peu dommage pour un dessin animé destiné à un public jeune. Porté par des musiques mélodieuses, on ne pourra qu'apprécier la beauté des décors et le niveau de détail qui leur a été accordé. Gorô Myazaki se rapproche de plus en plus du très bon film. Qui sait ? C'est peut-être pour le prochain.