La chambre du fils
Cinéma / Critique - écrit par iscarioth, le 29/01/2007 (
Mesdames et messieurs les consommateurs de films américains, je me permets cette petite bafouille pour revendiquer le droit d'exister (et de bien exister) à tous les cinémas non états-uniens. Si financièrement, les Etats-Unis sont loin devant et seuls, il n'en a pas toujours été ainsi. Et quand bien même on s'en tiendrait au cinéma d'aujourd'hui, le talent s'exprime partout, et peut être plus virulemment encore, chez ceux dont l'héritage est fort.
L'héritage, parlons en, tiens. Quel héritage plus fort que celui du cinéma italien ? Cinecitta, Federico Fellini, Michaelangelo Antonioni, Roberto Rossellini, Luchino Visconti, Francesco Rosi, et j'en passe... A cette longue liste de créateurs prestigieux pourrait venir se greffer le nom de Nanni Moretti. J'ose encore dire « pourrait », alors que la chose est évidente. L'acteur-réalisateur a été mondialement révélé en 1989 pour Palombella Rossa. En 2001, la reconnaissance est totale : son film La Stanza del Figlio décroche la Palme d'or cannoise. Le sujet de ce film est le deuil. La Stanza del Figlio est très construit et très épuré. On peut, en le regardant, le diviser en actes distincts.
Premier acte : la présentation de la famille. Giovanni et Paola sont des parents jeunes, beaux et épanouis. Irène et Andréa, leurs enfants, sont élevés dans l'amour le plus complet, cultivant la pratique du sport et la sensibilité aux études et à la culture. C'est une famille bourgeoise sans aucun reproche, unie, qu'on nous présente là. Une famille dont les membres communiquent, partagent de nombreuses activités, s'intéressent les uns aux autres. Au sommet de cet équilibre, le couple parental, épanoui et confiant, tant physiquement que spirituellement.
Deuxième acte : le décès d'Andréa. Un deuil qui se fait dans une douleur extrême et qui vient bouleverser la vie idéale de notre famille. Boulot, vie quotidienne, confiance en soi et en les autres... Rien ne va plus. Le deuil détruit les familles, même les plus unies semble-t-on lire à travers ces images. Tout le génie de Nanni Moretti explose alors. Tout en sobriété, le réalisateur démontre l'intensité de la douleur d'un deuil. Les remords : Giovanni, le père, se repasse mille fois dans sa tête le film de cette journée, en y changeant tel ou tel acte déterminant, en fantasmant sur une réalité qui aurait été autre. Pour continuer à vivre, chacun doit étouffer sa peine comme il le peut, pour affronter le quotidien. Mais cette peine remonte vite à la surface, sous diverses formes. On observe la tristesse des personnages à travers plusieurs actes qui nous bouleversent, nous, spectateurs, pour leur caractère universel. Il y a le recueillement en immersion et en réflexion, dans la rue, lors de longues balades. Il y a aussi le recueillement musical, une même musique repassée mille fois pour retrouver les sensations d'avant. Une musique rattachée à un événement de la vie, qui développe une souffrance qu'on ne peut s'empêcher d'aviver. A ce titre, la chanson By this river de Brian Eno a été judicieusement choisie. Mélancolique, sensible, symbolique du génie du compositeur, elle place les personnages face à leurs propres vies (« Here we are - stuck by this river »).
Troisième acte : la reconstruction. Avec le temps va, tout s'en va, comme disait l'autre. Même les pires traumatismes. Humaniste, La Stanza del Figlio laisse ses personnages évoluer dans la souffrance, avant de les faire se replacer les uns par rapport aux autres, en laissant entrevoir une lueur d'espoir, un avenir qui s'éclaircit malgré tout.
La Stanza del Figlio est une composition maîtrisée de Nanni Moretti, qui n'a pas volé sa palme d'or à Cannes, pour ce film, en 2001. Un indispensable du cinéma italien de ces dernières années.