Casablanca
Cinéma / Critique - écrit par gyzmo, le 15/07/2005 (Tags : casablanca maroc ville hotel film mosquee hassan
Par son casting, sa mise en scène, ses dialogues, sa musique ou l'assurance de son message engagé, Casablanca est reconnu pour être une brillante réussite hollywoodienne.
Seconde Guerre mondiale.
La France est occupée par l'armée allemande.
Des immigrants américains et européens sont bloqués à Casablanca, ville marocaine administrée par le gouvernement de Vichy. La population cosmopolite s'active pour essayer d'acquérir auprès du Capitaine Renault une lettre de transit, document indispensable pour fuir le contexte oppressant. C'est dans Le Café Américain, cabaret réputé, que des tas de gens viennent se détendre et tenter leur chance au jeu. Son propriétaire, Rick Baine, est un homme cynique qui ne vit que pour lui, jusqu'au jour où Ilsa Lund, la jeune femme responsable de sa déchéance, ressurgit du passé au bras de Victor Laszlo, l'un des chefs de la Résistance pourchassé par la Gestapo. Le couple doit à tout prix quitter Casablanca pour la sauvegarde de la Cause. Heureux détenteur de deux sauf-conduits, seul Rick Blaine peut les aider...
Au royaume des bobines de pellicule, Casablanca de Michael Curtiz atteint toujours le haut de la pile aux côtés de Citizen Kane ou Autant en Emporte le Vent lorsque les américains évoquent les grands chefs d'oeuvre de l'histoire de leur cinéma. Les raisons de cette notoriété unanime sont nombreuses. Si Casablanca ne se démarque pas de ses homologues pour l'inventivité de sa mise en scène, somme toute très classique, le petit budget qui lui a été alloué ne l'empêche cependant pas de nous proposer une réalisation élégante : débutant sur les plans d'une gigantesque mappemonde et l'entrée panoramique dans les rues de Casablanca où deux individus se font assassiner sous le regard d'une affiche énorme du Général Pétain. Passée cette introduction prestigieuse et digne d'un grand film d'aventure, le mélodrame de Michael Curtiz va mettre de côté l'esbroufe et se concentrer sur une direction artistique simple et intime.
La réussite esthétique du film repose en grande partie sur les compétences d'Arthur Edeson, le directeur de photographie, qui a fait un travail remarquable sur les éclairages et les atmosphères, simulant avec soin le clair/obscur enveloppant les personnages du film dans les séquences nocturnes du cabaret Rick's Café Américain. Max Steiner, le compositeur à qui l'on doit les bandes originales de King Kong ou de L'Insoumise, agrémente l'image d'une partition musicale inspirée de divers horizons qui prend souvent aux tripes. Deux moments d'émotion jumelant image soignée et puissance sonore ont marqué ma mémoire : la scène où les clients du Café Américain reprennent en choeur «La Marseillaise» pour couvrir le chant nazi «Die Wacht Am Rhein» braillé par les hommes du Major Heinrich Strasser ; la séquence du quai de gare dans laquelle l'encre de la lettre d'Ilsa lue par Rick se dilue sous les impacts des gouttes de pluie. Sans oublier As time goes by, célèbre chanson déclinée en thème récurrent qui, parfois frôlant le mielleux (typique des films d'Hollywood), illustre avec convenance la tragédie amoureuse. A cela, les frères Epstein ont apporté leur finesse cérébrale aux mémorables répliques qui ravissent l'esprit et chargent le film d'une inspiration parfois épatante pour qui découvre ces fameux dialogues devenus, eux aussi, adulés par les connaisseurs.
Mais une belle image, une belle musique et un beau script ne seraient rien sans un casting légendaire. Le couple Rick Baine/Ilsa Lund est magnifique. Rapproché par la guerre. Coupé en plein vol par le passé. Ilsa, interprétée par la resplendissante Ingrid Bergman, disparaît comme un charme et Rick, joué par un Humphrey Bogart qui trouve ici un rôle phare dans sa carrière, se raccroche au cynisme égocentrique. Et puis cet amour est à nouveau ressuscité "grâce" au conflit. Il brûle encore d'une intensité immense, tellement qu'il serait capable de mettre en danger la situation délicate dans laquelle une partie du monde joue sa liberté. Car entre les deux entichés, la Cause, symbolisée par l'exemplaire Victor Laszlo (Paul Henreid), requiert tous les sacrifices, même celui de l'amour. J'étais suspendu à cette romance torturée, sans savoir ce qu'il allait advenir de leur couple, jusqu'au bout. D'ailleurs, pendant le tournage, le trio d'acteurs ne savaient pas non plus comment leur histoire allait se résoudre, le scénario et les dialogues n'étant pas finalisés et livrés au compte goutte à Michael Curtiz ! Evidemment, les codes simples d'accès, les stéréotypes dans Casablanca vont bon train. En utilisant un cliché, vous obtenez le ridicule ; en accumulant les clichés, vous créez un mythe. Ces mots de Umberto Eco à propos du film de Michael Curtiz soulignent justement ces petits défauts qui deviennent une première vertu. La réalisation cinématographique imposante touche au mieux tous les spectateurs et favorise l'identification élémentaire aux personnages du film, servi par des seconds rôles remarquables. Claude Rains en tête, interprète un Capitaine Renault pernicieux et surtout opportuniste à qui je ne confierais pas la garde de mère-grand. On notera d'autre part que Sam (Dooley Wilson), le pianiste du cabaret de Rick, est le premier rôle important joué par un acteur afro-américain dans l'histoire d'Hollywood. Naturel pour un film qui se veut avant tout combattre la pensée nazie.
Durant la Seconde Guerre mondiale, le film de propagande envahit tous les fronts : Japonais, Russes, Nazis et, plus tard, les Américains. Je dis «plus tard» car à l'origine, le président Roosevelt tenait à conserver la neutralité vis-à-vis des évènements extérieurs à son pays - et ce malgré le bouleversant et visionnaire Dictateur (1940) de Charlie Chaplin, autre film engagé qui a échappé de peu à la censure. Il faut malheureusement attendre que la terrible attaque de Pearl Harbour bouscule les Américains pour les faire réagir face aux régimes totalitaires en expansion. Dès lors, le gouvernement d'Oncle Sam mobilise toutes les ressources culturelles de son pays et incite à la propagande pour recruter en masse. Entre 1942 et 1945, pas moins de 500 films de ce genre seront produits par Hollywood ! Les héros imaginaires les plus populaires se voient mettre en scène dans des oeuvres insolites telles que Tarzan contre les Nazis. Hitler et consorts deviennent ainsi le déclencheur d'une prolifération cinématographique hallucinante à laquelle quelques-uns trouveront à redire - et là, je m'excuse si j'en choque certains : une aubaine pour Hollywood qui bénéficie du conflit mondial pour édifier son «âge d'or», tout en servant la Cause, mais se souciant très peu de la qualité de la plupart de ses productions, enchaînées à la va-vite. Casablanca, par le biais des pressions imposées par la Warner, pourrait être associée à cette idée sous-jacente et dérangeante d'une stratégie commerciale mais sans doute salutaire pour l'Histoire. En effet, les producteurs tenaient absolument à ce que Casablanca soit terminé avant que les Etats-Unis n'entrent officiellement dans la Seconde Guerre mondiale. La sortie du film précède d'ailleurs de quelques jours le débarquement des Alliés en Afrique du Nord. Belle opération, vous me direz. Or, cela n'enlève en rien ses qualités, et il convient de garder à l'esprit le contexte extrême qui a provoqué l'émergence d'un film à petit budget, réalisé à partir d'un scénario en chantier (adapté d'une pièce de théâtre médiocre) et dont le succès fulgurant s'est avéré être une surprise générale. Casablanca revient donc de loin et sa valeur reste, finalement, inestimable.
Par son casting, sa mise en scène, ses dialogues, sa musique ou l'assurance de son message engagé, Casablanca est reconnu pour être une brillante réussite hollywoodienne. Son triomphe couronné par trois Oscars (meilleur scénario, meilleure réalisation, meilleur film de l'année) sur huit nominations, n'était pourtant pas si évident à envisager comme nous l'avons vu avec les conditions particulières du tournage. Et si les passionnés de cette «citation de mille autres films» ont tenté de reproduire la magie inaccoutumée de Casablanca à travers une séquelle cinématographique avortée (Brazzaville), deux séries télévisées (de 1955, et de 1983) et un roman de Michael Walsh (As Time Goes By), le film de Michael Curtiz est la muse intarissable de nombreuses autres créations, pastiches, hommages, allant même s'infiltrer jusque dans les entrailles d'un certain Indiana Jones...