Le bruit des glaçons
Cinéma / Critique - écrit par riffhifi, le 19/08/2010 (L'originalité d'un sujet ne suffit pas à faire un long métrage, même quand on s'appelle Bertrand Blier. Reste le plaisir de voir Dujardin et Dupontel incarner respectivement un écrivain alcoolique et son cancer.
Depuis cinq ans, on était sans nouvelles de Bertrand Blier, l'homme à la pipe et aux films atypiques. C'est armé d'un sujet surprenant et un duo d'acteurs vendeur qu'il remonte au front, avec son goût de la provocation et de l'absurde. Comme les glaçons du titre, le résultat est rafraîchissant mais fond trop rapidement.
Charles (Jean Dujardin) est un écrivain alcoolique qui a depuis longtemps arrêté
d'écrire pour privilégier la partie buveuse de sa personnalité. Toute la journée, il erre dans sa maison coupée du monde, négligeant sa compagne russe à peine majeure (Christa Theret) et promenant un seau à glace perpétuellement rempli d'une bouteille de vin blanc sous le regard inquiet de sa domestique Louisa (Anne Alvaro) ; il vit ainsi, au rythme du bruit des glaçons, lorsque débarque un jour son cancer (Albert Dupontel). L'homme et la maladie vont entamer une discussion à bâtons rompus, avant que Louisa ne soit elle aussi confrontée à son cancer (Myriam Boyer).
Provoc, humour noir, mélange de désespoir et de distanciation surréaliste : tout Blier tient dans le pitch ; il avoue d'ailleurs l'avoir en tête depuis bon nombre d'années. Pourtant, on peut trouver qu'il s'agit en partie d'une redite des Côtelettes de 2003, où Michel Bouquet s'invitait dans la vie de Philippe Noiret « pour le faire chier ». Le cancer incarné par Dupontel (excellent comme toujours, et malsain à souhait) prend plaisir à pourrir le moral déjà bas de son client, joué par un Dujardin inhabituel : la barbe grisonnante, l'air désabusé, l'acteur semble approcher de la cinquantaine alors qu'il affiche à peine 38 balais au compteur. Les performances des deux Du, bien que souvent bridées par la théâtralité imposée des dialogues très écrits de Blier, éclipsent celles de leurs partenaires féminines, délibérément laissées dans l'ombre... à tel point qu'on se demande pourquoi il était nécessaire d'inclure dans le scénario ce deuxième cancer, tant la relation entre les femmes apparaît redondante par rapport à celle des deux hommes. Anne Alvaro, en fin de compte, sert la soupe d'une romance bien convenue par rapport au sujet de base, audacieux et dérangeant. Il est vrai que les échanges entres Dujardin et Dupontel épuisent leur substance au cours du premier quart d'heure (on aurait pu
croire que la vie, la maladie et la mort fourniraient davantage de matière), et qu'il s'avère donc nécessaire de meubler la suite. On dérape alors d'une idée percutante, introduite bille en tête par un cinéaste qui ne perd pas de temps, vers une histoire d'amour prévisible au cours de laquelle le héros et son crabe humanoïde continuent néanmoins leurs palabres répétitives pour le principe... En chemin, Blier amorce plusieurs pistes incompatibles, dont aucune n'est réellement exploitée. Qui voit les cancers, quel est leur pouvoir exact sur les individus qu'ils hantent, pourquoi se manifestent-ils physiquement ? Refusant de choisir entre la métaphore fantaisiste et le fantastique tangible, le film affiche des règles de jeu si floues qu'on peine à s'y intéresser. On reste donc à la surface des dialogues, et on déplore qu'un cinéaste aussi original se soit contenté d'un scénario de court-métrage pour remplir un film d'1h30, sans même s'autoriser de débordements loufoques comme il lui est arrivé d'en user pour conclure ses histoires.
On peut cependant continuer de croire à la capacité de régénération de Blier, dont on retrouvera le verbe sur scène à partir du 9 septembre au théâtre Antoine, avec sa nouvelle pièce Désolé pour la moquette, interprétée par Anny Dupérey et Myriam Boyer.