Arrête-moi si tu peux
Cinéma / Critique - écrit par Nicolas, le 12/02/2003 (Tags : film peux frank spielberg steven abagnale leonardo
Tom & Jarod
En l'espace de cinq ans, le jeune Frank Abagnale, encore mineur, usa de ses dons de faussaire pour détourner quelques deux millions de dollars à l'aide de chèques plus vrais que nature, à travers non seulement les Etats-Unis mais aussi une trentaine de pays étrangers. Sans cesse relancé par le goût du risque, ses petits jeux criminels l'amèneront à se faire passer tour à tour pour un co-pilote de la Pan American Airlines (sans jamais prendre les commandes), un pédiatre de Georgie, un avocat de Louisiane, et enseignera pendant un semestre la sociologie au collège. Il sera arrêté en France lors de sa vingt-et-unième année.
Ceci est une biographie extrêmement résumée de Frank William Abagnale Junior, selon certains le plus grand menteur que le monde ait jamais connu, tirée de sa propre autobiographie « Catch Me If You Can ». L'itinéraire très atypique de cet adolescent, placé sous la caméra expérimentée de Steven Spielberg, n'est-il pas un moyen pour le cinéaste de faire passer quelque chose de plus personnel ? Probablement oui, selon les dires du réalisateur, divisé dans sa jeunesse par des parents séparés, trait qu'il partage avec le héros de son nouveau film. Peut-on alors parler de Arrête-Moi Si Tu Peux comme d'un drame familial ?
Et bien oui et non. Si Spielberg s'attèle à construire une profondeur relative au personnage de Abagnale, il choisit de remettre entièrement l'histoire sous le joug de la comédie. Le traumatisme de l'enfant rampe alors doucement sous les rires de la foule, se dévoilant ponctuellement entre deux escroqueries honteusement couronnées de succès, selon le thème récurrent de l'être esseulé en quête d'une présence réconfortante.
Suite au divorce de ses parents, le jeune Frank William Abagnale (Leonardo DiCaprio) s'éloigne de l'autorité familiale et survit quelques temps en émettant des chèques sans provision. En observant la vie royale que mènent les pilotes d'avions de la Pan Am, il met au point un stratagème audacieux lui permettant de se faire passer pour un jeune co-pilote séduisant, et ainsi écouler sans suspicion des bons de salaire trafiqués de la compagnie aérienne...
Certes une comédie, mais avant tout le portrait d'un enfant désespéré obsédé par l'idée de réconcilier ses parents. L'argent est le problème ? Qu'à cela ne tienne, il en aura. Et pas qu'un peu. Frank est surtout un rêveur, quelqu'un qui se donne la possibilité de corriger les prétendues erreurs du passé (en l'occurrence la reconstitution de sa famille), même si cela se fera dans l'illégalité. Une entreprise qui se révèlera très vite vaine, et l'emportera dans une autre spirale plus abstraite : son propre bonheur.
Et son bien-être, il le trouvera dans un premier temps dans le reflet de son existence dans les yeux des autres. Tellement important qu'il devient une des personnes les plus recherchées par la justice américaine, à travers le minutieux travail de l'agent Carl Hanratty (Tom Hanks), un chat de plus qu'il faudra berner. C'est là toute la philosophie interne de « l'oeuvre » de Frank : tant qu'elle se battra, la souris existera. Mais la solitude a son double-tranchant, subtilité qu'il apprendra à ses dépens et qui le poussera à s'attacher à son poursuivant.
Que dire de l'interprétation des interprètes principaux ? Ce serait perdre du temps que de couvrir Tom Hanks d'adjectifs mélioratifs, tout simplement parfait dans le rôle un peu austère de Hanratty, cet agent du FBI un peu gauche mais intelligent et pas dénué de coeur. DiCaprio cependant tire à lui la quasi-totalité de la couverture, en transformant un véritable escroc en adolescent attachant, surprenant de justesse dans chacune des vestes que Frank devra enfiler. Nathalie Baye et Christopher Walken, quoique relativement minoritaires, brillent de talent dans chacune de leurs apparitions et donnent un relief particulier au couple déchiré.
Si Spielberg confie ouvertement qu'il a un message à passer, une réflexion sur sa propre jeunesse, il s'efforce néanmoins de la brider et d'éviter qu'elle happe le plaisir des spectateurs. Aussi à l'aise dans la science-fiction avant-gardiste que dans la comédie, Spielberg poste sobrement son Arrête-Moi Si Tu Peux, sans véritablement chercher à démarquer sa réalisation. En d'autres termes, la caméra prend ce dont elle a besoin, appuyée par les rythmes très Jazz de John Williams, mais s'attarde parfois un peu trop sur tel ou tel élément du scénario. Oui, sur les 2 h 20 du film, des longueurs deviennent parfaitement identifiables, et semblent se répéter dangereusement. Plus de peur que de mal, fort heureusement, elles se classeront finalement dans un banal rapport minoritaire (un petit jeu de mot un peu faible ne fait jamais de mal).
Et que penser de l'histoire de Frank ? Evidemment, le passage à la comédie romancera le parcours de criminel du jeune Américain, illustrant plus sympathiquement Abagnale Jr pour le dresser en héros attachant. Un scénario à ne pas prendre au sérieux en définitive, à la fois très proche du récit originel tout en se constituant les principales caractéristiques de la comédie familiale typique.
Inspiré des faits réels de l'autobiographie de Frank Abagnale Jr, et donc un peu distante de la réalité, Spielberg livre une belle comédie policière relativement bien maîtrisée et encore mieux interprétée. Quelques longueurs alourdissent un peu une oeuvre forcément moins percutante que les autres titres de la filmographie du maître, ce qui n'empêche pas ce quasi-caméléon de charmer de bout en bout.