9/10J'ai toujours rêvé d'être un gangster

/ Critique - écrit par riffhifi, le 30/03/2008
Notre verdict : 9/10 - Café sans cigarettes (parce que les deux ensemble c’est interdit) (Fiche technique)

Tags : film benchetrit toujours reve samuel gangster cinema

Samuel Benchetrit, le Jim Jarmusch français ? On ne l'attendait pas sur ce terrain-là, mais on est content de l'y trouver, en bien bonne compagnie de surcroît. C'est ce qu'on appelle un coup de cœur.

L'affiche, déconcertante, fait penser à la pochette d'un disque de country ou de rock. Pourtant, malgré la bande-originale enthousiasmante du film, on n'y trouve pas trace du visuel annoncé. Pas de seins donc, mais beaucoup de cœur. Pas de bébé, mais des enfants de tous âges, et de l'humour en demi-teinte joliment contenu dans un écrin noir et blanc...

Quatre histoires, avec comme fil rouge une cafétéria paumée au milieu de nulle part. Une sorte de saloon, qui voit passer un braquage, un kidnapping, un bras de fer entre caïds et une réunion d'anciens. Sauf que tous sont paumés, hésitants, à côté de leurs pompes.

On pense à Pulp fiction, pour la forme du film à base de saynètes sujettes à l'interpénétration, mais aussi pour sa propension à s'attacher aux soucis les plus Mouglalis au pays des merdes vieilles
Mouglalis au pays des merdes vieilles
triviaux des gangsters. Les gangsters en question ne paient pas de mine, d'ailleurs, ce sont des wanabees et des has-beens en quête d'un peu d'aventure ou de sens. Entre les jeunes qui veulent mourir et les vieux qui veulent vivre, les personnages de Benchetrit sont cocasses et attachants, pleins d'humanité et de candeur. Dans les cadres (presque tous fixes) amoureusement composés par le cinéaste, les personnages entrent et sortent à leur rythme, révélant les acteurs sous un jour nouveau. Jamais auparavant
Edouard Baer n'avait ressemblé à Edward Norton, Alain Bashung à Dustin Hoffman et Roger Dumas à Jean Gabin. Benchetrit pose un œil neuf sur ces visages connus, et les immerge dans un monde poétique et décalé qui rappelle terriblement celui de Jim Jarmusch. Les critiques n'ont pas manqué d'épingler le réalisateur sur ses influences, d'ailleurs : Tarantino, Jarmusch, le Godard de A bout de souffle... Pourtant, le résultat n'appartient qu'à lui, et s'il faut bien admettre qu'on pense fortement à Coffee & cigarettes pour le ton, le découpage et le décor, la ressemblance entre les deux films est la même que celle qui existe entre deux westerns ou deux comédies musicales.

Bashung bâche Arno avec hargne
Bashung bâche Arno avec hargne
Usant de la bande originale avec ingéniosité et intelligence, le réalisateur ne tombe pas pour autant dans la facilité. Il ne profite pas de la nature entraînante d'un morceau pour l'étirer jusqu'à la fin de la scène, ni de la présence de Bashung et Arno pour ressortir leurs chansons en fond sonore. La scène entre les deux hommes est particulièrement croustillante : paumés avec leurs gangs de zikos dans une cafétéria en plein désert, loin du feu des projecteurs ou des journalistes, ils parviennent pourtant à se lancer dans un concours de bites digne d'adolescents en quête de reconnaissance.

Pas mal de journalistes sont passées à côté du film, décidant de l'emplafonner pour son atypisme et sa galerie d'acteurs (trop connus pour que leur présence combinée dans un petit film soit tolérable). Ce qu'on loue chez Jarmusch, on ne le pardonne pas au réalisateur du trop médiatisé Janis et John, qui met ici en scène sa compagne Anna Mouglalis comme il mettait en scène Marie Trintignant peu de temps avant sa mort. Pourtant, il y a beaucoup de plaisir à prendre dans ce film drôle et frais, ni élitiste ni populiste, fait par des gens qui en avaient manifestement envie et le communiquent. Personnellement, j'ai toujours rêvé d'être un réalisateur de films aussi sincères que J'ai toujours rêvé d'être un gangster.