Les Affranchis
Cinéma / Critique - écrit par iscarioth, le 20/12/2006 (Wiseguys
C'est plus ou moins évident selon les individus, certains cinéastes ont une carrière clairement divisible en périodes. Certains se sont centrés un temps sur un genre, d'autres sur un thème, ou encore sur un acteur. Martin Scorsese est un réalisateur à acteurs. Aujourd'hui, le cinéma de Scorsese, c'est DiCaprio. Hier, c'était Robert De Niro et toute une clique d'acteurs italo-américains qui ont marqué en profondeur le septième art. Du « You talkin' to me » (Taxi Driver) lancé par Travis Bickle aux « Bring it ova » vociférés par Jake de la Motta (Raging Bull), se sont multipliés les scènes mythiques, les répliques désormais inscrites au fer rouge dans notre mémoire cinéphilique collective. Goodfellas (Les affranchis), c'est le chant du cygne de cette époque faste, dernier film « italo-américain » du réalisateur, dernière collaboration fructueuse avec De Niro. Un bijou.
"As far back as I can remember, I've always wanted to be a gangster"
L'affiche est trompeuse, on croit voir un film tout entier centré autour de Robert De Niro, comme ce fut le cas souvent avec les réalisations de Scorsese, alors que le personnage principal est incarné par Ray Liotta. Goodfellas est une sorte de biographie. L'histoire est celle de Henri Hill, que l'on suit dès l'enfance, un homme qui a toujours rêvé d'être gangster. L'histoire de cet homme, c'est celle de la Mafia New-yorkaise, sur trente ans. Les années fastes, les années soixante où la Mafia était une grande famille protégeant les siens, distribuant des billets à tout va, remplaçant la police dans sa mission de maintien de l'ordre... jusqu'aux années quatre-vingt - quatre-vingt-dix, où les trafics de drogue s'organisent plus péniblement sous la pression des investigations. Comme tout bon film de gangsters, Goodfellas peut se diviser en plusieurs actes : la montée, le sommet, le déclin et la chute. Et comme tout bon film de gangsters, Goodfellas distille son quota de scènes cultes. On se souviendra de Tommy DeVito (Joe Pesci, récompensé pour son énorme performance par l'Oscar du meilleur second rôle), bombardant le torse d'un jeune serviteur un peu trop résistant de balles, pour une bête histoire de mots. On retiendra Henry Hill (Ray Liotta), éclatant à coup de crosse de revolver le nez de celui qui a osé brutaliser sa femme, qui, quelques années plus tard, braquera son mari au réveil pour s'être pris « une pute ».
"How the fuck am I funny ? What the fuck is so funny about me ?"
Le film est une adaptation du roman Wiseguy, de Nicholas Pileggi, auteur avec lequel Scorsese est en parfaite harmonie. Indéniablement, ce long métrage de plus de deux heures possède de très grandes qualités de narration. C'est la plupart du temps par le prisme d'Henri Hill (Ray Liotta), en voix off, que l'on pénètre cet univers mafieux. Goodfellas n'est pas de ces films qui enchaînent moments de violences et d'actions. C'est littéralement le quotidien, le patrimoine d'une génération qui est livré là pendant plus de deux heures, d'où l'impression de lenteur possible pour certains spectateurs. Malgré la violence qui se déchaîne ça et là, la Mafia est présentée comme une institution calme, aux rouages bien huilés et ancrés. Henri Hill nous relate ce qui est pour lui le quotidien. On est loin de l'hécatombe du gigantesque Godfather de Coppola, l'angle de vue est différent, même si les deux films se rejoignent assez largement sur l'idée de clan, de communauté, le thème de la famille. Une famille en déliquescence dans Goodfellas, au fur et à mesure des décennies qui passent et de l'âge d'or qui s'en va. Le film est aussi et bien évidemment une remarquable réussite par son casting, qui réunit des géants au sommet de leur forme. Ray Liotta, trop souvent mis à l'écart de la reconnaissance à laquelle il a droit, trouve ici un rôle principal à sa mesure, on sent l'acteur véritablement incarné. Joe Pesci, comme à son habitude, interprète un sanguin, un fou-nerveux, quant à Robert De Niro, il se fait plus rare sur ce film, une discrétion accentuée par son rôle, celui de Jimmy Conway, d'un calme glacial. A saluer notamment, la prestation de Lorraine Bracco, que l'on remarque à tort moins souvent.
Acclamé par la critique, nominé six fois aux Oscars, Goodfellas n'a pas seulement marqué l'année 1990, il s'est inscrit dans la filmographie de Scorsese comme l'une des plus grandes réussites du réalisateur et dans le patrimoine mondial du cinéma comme une référence incontournable du film de gangsters.