Le Parrain
Cinéma / Critique - écrit par Jade, le 06/03/2006 (Le cinéma c'est bien
Le Parrain est l'une des plus grandes sagas issues du cinéma. La trilogie réunit de grands acteurs donnant vie à un roman écrit par Mario Puzo et mis en scène par Francis Ford Coppola.
Tout débute donc par la sortie du roman Le Parrain dans les années 60 et son tirage dépassant rapidement les 10 millions d'exemplaires à travers le monde, succès qui s'explique par le goût du public pour les histoires de bandits à une époque où la mafia devient une réalité de tous les jours, aux Etats-Unis du moins. Le crime organisé a quelque chose de très séduisant, ce que les médias ont bien vite compris, tout comme Hollywood qui s'empare des droits de l'oeuvre avec les encouragements de son auteur.
Mario Puzo est un auteur italo-américain qui aura su gagner la renommée grâce à ses romans épiques et violents, où la vengeance et la trahison ont une place de choix. Décédé en 1999, sa carrière longue de plus de quarante ans est parsemée de chefs d'oeuvres, autant d'hommages à l'Italie et à son passé sanglant.
Décrivant le fonctionnement de la mafia italienne dans l'après-guerre, le film, dont le respect envers la lettre et l'atmosphère du roman est absolument hallucinant, nous présente un Vito Corleone au sommet de son prestige, parrain de la famille la plus influente de l'Etat de New York. Refusant de protéger un dealer de drogue, celui-ci se réfugie derrière une autre famille et tente de le faire assassiner et l'envoie à l'hôpital avec cinq balles dans le corps. Ainsi commence une guerre des gangs, où la famille Corleone devra avant tout identifier qui est leur vrai ennemi.
Le Parrain est donc pour commencer une histoire de gangsters, superbement filmée et mise en scène. Francis Ford Coppola prend le pas lent et posé du roman pour raconter son histoire avec une sobriété et une efficacité qu'il faut souligner. Rarement un récit cinématographique n'aura été si esthétique. Chaque plan, chaque scène, chaque réplique est posé avec soin, sans aucune fioriture et va droit au but. Cette netteté explique en partie que le spectateur puisse se laisser emporter dans un spectacle de trois heures sans sourciller. La longueur du film par rapport à son intrigue contribue par ailleurs à l'immerger dans le New York de 1945, à le rendre familier avec chacun des personnages, à les comprendre.
La mort est un élément redondant du film, qui contribue à lui conférer cette atmosphère non pas macabre, mais mélancolique, grâce à la splendide musique de Nino Rota.
Ce premier volet de la trilogie est aussi le premier acte d'une tragédie au sens antique du terme. Tout ce qu'il y a d'inéluctable dans la destinée de Michael est mis en relief par des références religieuses constantes, et ce durant les trois films. S'ouvrant sur un mariage et s'achevant sur un baptême religieux en parallèle avec le baptême du sang de Michael en tant que Parrain, le premier film est une oeuvre qui à la fois se suffit amplement (il s'agit bien après tout de l'adaptation d'un roman de 400 pages) tout en s'inscrivant comme une base idéale sur laquelle Coppola et Puzo construiront les deux films à venir. Ce sur quoi insisteront les deux séquelles, c'est le choix délibéré de vie de Michael, motivé par avant tout par l'amour de sa famille et l'envie de protéger ceux qu'il aime, et sa soif de pouvoir.
Mais en 1968, il n'est pas encore question de deux suites au Parrain. Francis Ford Coppola à déjà bien du mal à imposer son casting et ses idées. En tant que réalisateur, Coppola doit encore faire ses preuves, et si son casting coule aujourd'hui de source, impressionne même, il n'en n'a pas toujours été le cas. La Paramount ne veut pas de Marlon Brando pour jouer Vito Corleone, n'arrive pas à voir en un Al Pacino débutant un Michael Corleone en puissance, ce qui peut paraître de nos jours assez incroyable. Robert Duvall, James Caan, Diane Keaton, entre autres, compléteront la sélection.
Force est de constater que rarement un casting aura été aussi inspiré. Chaque acteur est à sa place, joue son personnage avec une force exemplaire. Dans un film comme celui-ci, où l'intrigue est lancinante et où une grande partie de la puissance du scénario repose sur les conflits entre les personnages, il s'agit non seulement de choisir de bons acteurs, mais aussi des acteurs qui seront capables de les faire vivre. Et en cela, le Parrain est une réussite parfaite. Marlon Brando, par exemple, dont le talent n'est certainement pas à démontrer, et lui seul, aurait réussi à apporter une lumière au personnage de Don Vito Corleone, à le porter pendant trois heures sur ses épaules, à illustrer sa chute en partant d'un homme élégant et influent, fort de toute son organisation respectée à travers l'Amérique, pour en arriver à un vieil homme dénué de toute autre chose que sa propre peau pour le protéger de l'extérieur, des blessures morales infligées par ses ennemis telles que la mort de ses proches.
Car quoi qu'il puisse accomplir, quelles que soient les précautions dont Vito Corleone pourra s'entourer pour se protéger, lui et ceux qu'il aime, il reste un homme fragile et faible. Le pouvoir n'empêche pas une simple balle de tuer quelqu'un, même si cet homme contrôlerait toute la planète. C'est face à cette réalité qu'est soumis le personnage de Brando. C'est un homme meurtri au plus profond de son ego, violemment exposé à sa simple condition d'être humain que le spectateur observe pendant le film, de sorte qu'au final, Vito Corleone n'a pas seulement été défiguré par l'age, mais aussi et surtout par les terribles épreuves qu'il traverse. Et dans ses derniers instants de retraite, ce n'est pas la peur ou la douleur qui transparaissent, mais plutôt une sorte de joie de vivre qui aura transcendé toutes les expériences vécues, une sorte de béatitude apportée par le bonheur de pouvoir voir grandir et prospérer ses petits-enfants et sa famille en général.
On imagine alors aisément quel type de monstre devait être Marlon Brando pour avoir réussi à rendre aussi tangible le personnage de Don Vito Corleone. Mais un tel exploit ne relève pas seulement du simple talent : Brando est Vito Corleone. Aucun autre acteur, aussi génial fut-il, n'aurait pu mieux rendre compte du personnage.
En parallèle à cette chute, la montée de Michael Corleone est tout aussi vertigineuse. Al Pacino joue un personnage plus introverti, moins expressif. Son sort reste néanmoins tout aussi intéressant que celui de son père. Ce jeune homme honnête, décidé à ne pas participer au business familial, se trouvera coincé dans l'engrenage de la violence quand son père se retrouve au milieu de la tentative d'assassinat. Cherchant d'abord à le protéger, il est confronté lui aussi à des gens qui n'hésitent pas à tuer tout ceux qu'il a de plus cher pour l'ébranler. Cédant alors à la violence pour protéger son entourage, il ne lui restera plus qu'à reprendre le titre de Parrain à la suite de son père. La scène de fin montre l'avènement de Michael en tant que chef de famille et sa perversion en tant qu'être humain, acceptant Dieu durant le baptême de son neveu alors qu'au même moment ses hommes de main assassinent tous les chefs de la mafia New Yorkaise dans une scène mémorable, montrant le goût pour la vengeance qui a envahi Michael.
Cette scène annonce la folie meurtrière du personnage dans la deuxième partie, comme le dernier plan du film annonce le rôle à venir du personnage de Kay, la femme de Micheal.
Le Parrain est un de ces chef-d'oeuvres du cinéma, indémodable, une leçon de cinéma pure et simple. Chaque détail y est soigné, l'ensemble tellement cohérent, que l'on ne peut que ressentir une admiration sans borne pour les acteurs de cette réussite. Un Oscar du meilleur film bien mérité, ainsi qu'une triple nomination pour l'oscar du meilleur acteur (Al Pacino, James Caan, Marlon Brando) et un accueil triomphant auprès du public contribueront à conférer à ce film le statut de mythe.