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Cinéma / Critique - écrit par Kassad, le 18/04/2004 (Tags : decimales cercle frac displaystyle calcul archimede siecle
AbracadaPI
Les vrais créateurs sont inclassables. Le film de Darren Aronofsky (qui plus tard réalisera le fameux Requiem for a Dream), Pi, fait partie de ces objets culturels non identifiés. Tourné avec moins de 60 000 dollars, dont la plus grosse partie vient d'amis personnels d'Aronofsky à qui il promettait 150 dollars en échange de 100 prêtés (ils sont tous remerciés dans le générique de fin !), en noir et blanc "reversal" (c'est à dire très contrasté sans gris : vraiment noir et blanc et rien d'autre) le tout baignant dans une ambiance sonore Jungle/electro ce film est une preuve de plus que le talent et l'imagination font plus que les tonnes d'effets spéciaux, les têtes d'affiches et les campagnes de promotions dignes du troisième reich réunis par les blockbusters hollywoodiens. Présenté de cette manière on pourrait croire que Pi serait un petit film sympa "à la" Blair Witch, une surprise de type étoile filante dans le ciel étoilé du cinéma contemporain. Il n'en est rien. Si Blair Witch est bien le film emblématique d'une époque, et qui une fois sorti de son contexte se révèle être le digne représentant de l'air du temps d'un moment donné, c'est à dire une enveloppe de vide, Pi est lui destiné à rester. Je ne voudrais pas commettre de blasphème mais je vois bien un futur à la Metropolis pour ce film.
Max est un mathématicien prodige. Le jeu favori de sa petite voisine est de lui soumettre deux chiffres et une opération et de vérifier que le résultat qu'il lui donne est bien correct. Il travaille sur les prévisions boursières, ce qui lui vaut un pressing
constant de la part de "chasseurs de têtes" travaillant pour les banques. Il est sur le point de trouver la formule magique, la véritable pierre philosophale de notre temps, qui lui permettra des prédictions d'une précision absolue sur l'évolution des cours. Cependant les golden boys ne sont pas les seuls intéressés, d'autres religieux, des juifs étudiants la cabbale, sont eux aussi en lice pour soutirer le secret du cerveau de Max...
Que ce soient les financiers de Wall Street ou les Hassidim les plus intégristes, ce ne sont que leurs visions du monde qui change, mais dans le fond c'est le même ressort qui les anime. Ils souhaitent dominer les autres. Ce message particulièrement fort est une des thèses centrales de Pi. Plus profondément c'est tout le problème du mérite qui est soulevé dans ce film. Le seul qui comprenne le message se désintéresse des applications qu'il pourrait en tirer. Les manipulateurs eux n'y ont pas accès, aveuglés qu'ils sont par leurs ambitions. Cependant la Connaissance n'est jamais gratuite, comme en témoignent les violentes migraines et la quasi-schizophrénie dont souffre Max. Comme Icare, à trop vouloir savoir on se brûle les ailes... La solution serait-elle celle de son ancien professeur qui lui a arrêté ses recherches quand son ordinateur à explosé, bloquant sur une sorte de mur conceptuel ?
Vous l'avez compris, le champ de ce film est essentiellement intellectuel. Bien sûr ne vous attendez pas à de longues et coûteuses (pour le producteur) poursuites automobiles ou à des scènes d'action du type Ong Bak. Cependant même si vous n'êtes pas mathématicien professionnel, je suis sûr que vous serez tenu en haleine par Pi. La progression de l'intrigue est très bien maîtrisée et débouche sur une fin renversante. Ce film, dans sa forme me fait beaucoup penser à du Palahniuk. Des répétitions (notamment dans les scènes qui précèdent les terribles migraines de Max) qui se modifient insensiblement au cours du récit et des séquences/phrases chocs qui tombent comme des couperets signent un style très personnel. Le choix de la technique "Noir OU Blanc" est aussi esthétiquement très réussi, cette augmentation artificielle des contrastes colle bien avec cette image d'un Max vivant dans le monde éthéré de l'esprit mais poursuivi sans relâche par les plus bas aspects matériels (par exemple le bug de son ordinateur). D'ailleurs le format même du film n'est pas le fruit du hasard, il ne s'agit pas de 16/9 ème, le rapport entre longueur et largeur est égal au nombre d'or (1,61...), celui là même qui est utilisé dans l'architecture grecque et dans les spirales des coquillages. Il me semble donc normal de mettre pour note Pi au carré soit 9.8696044...