8/10Valhalla Rising : le silence de l'amer

/ Critique - écrit par athanagor, le 09/02/2011
Notre verdict : 8/10 - Tiens, Valhalla du boudin ! (Fiche technique)

Tags : film valhalla rising cinema refn films guerrier

Mystérieux et silencieux, ce film est une longue hypnose qui installe le spectateur dans l'esprit du personnage principal. Sur ce mode paisible et violent, le réalisateur nous guide alors dans un examen instinctif de la mystique et de l'esprit religieux. Il faudra ensuite choisir son camp : c'est fascinant vs. c'est ultra-chiant.

An 1000, Highlands d’Ecosse. Gardé dans une cage, un homme à l’œil crevé est préparé au combat. Le jeune enfant qui veille à ses repas inscrit des symboles à la peinture noire sur son corps, puis il est mené par des laisses rigides sur un ring de boue où se déroulent des combats à mort avec d’autres captifs. Muet et docile, il se montre d’une efficacité redoutable dans cette activité qui rythme ses jours. La nuit, ce sont des rêves prophétiques qui peuplent son esprit, et qui lui indiqueront comment gagner sa liberté. Il exercera alors ses talents sur le clan qui le possédait jusqu’alors. L’enfant qui s’occupait de lui, et qu’il épargne, le suivra, poussé par un mélange de curiosité, de crainte et d’habitude, et aussi, il faut le reconnaître, parce qu’il est maintenant orphelin. A la faveur de leur errance, ils se joindront à des guerriers chrétiens, en route pour la reconquête de Jérusalem. Mais après plusieurs jours de dérive dans un épais brouillard, ils accosteront finalement sur une terre inhospitalière, couverte de forêts.

Découpé en sept chapitres, ce film impose un rythme hypnotique et irréel, creusé dans un silence lourd, qui fait écho au mutisme du personnage principal. Dérangée par des scènes de dialogue, surprenantes et parcellaires, mais toujours dans le fil de l’action, l’ambiance générale jouit d’un caractère onirique et calme, où plus rien n’a réellement d’importance.
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La violence des scènes de combat est alors étonnamment amortie, et on y assiste avec un détachement surprenant, malgré les bruits ostensibles de viscères pendouillantes et de sang fuyant les artères. La musique ne viendra d’ailleurs pas mettre plus de désordre dans cette volupté et contribuera, au contraire, à l’ensemble, en préparant ses moments de furie par de longues montées. La lumières qui habille les décors amplifiera encore le phénomène, en donnant une identité irréelle à tous les environnements, jusqu’à les apparenter par leur manque d’éléments saillants. Bien que verdoyante et garnie de pins, la terre d’accostage, qu’on comprend être la côte américaine, est aussi morne et silencieuse que le furent les Highlands. Bref, tout est fait pour nous mettre dans l’esprit du personnage monolithique et effrayant d’efficacité martiale, baptisé One-Eye par le jeune garçon, et autour duquel tout se construit. Guidé par ses rêves et rompu à une vie brutale, tous les évènements lui sont équitablement triviaux, que ce soit la boucherie d’homme ou le tourisme.

Revenons tout de suite sur certains résumés, probablement écris par des gens qui n’ont pas vu le film (ou qui ont dormi devant), où il est dit que le jeune garçon libère One-Eye, qui découvrira alors ses origines en s’embarquant sur un bateau viking. Ceci pourrait laisser croire que les thèmes en sont le sentiment d'injustice éprouvé par les cœurs purs et le retour aux sources. En fait, le garçon n’intervient en rien dans l’évasion du guerrier, et ce qu’on sait de ses origines (information donnée par le garçon) correspond tout aussi bien à une origine scandinave, bien plus probable en regard du titre Valhalla rising. C’est d’ailleurs très probablement ce même titre qui a porté à croire qu’un bateau rempli d’Écossais est un bateau viking.

Les thématiques développées ici sont plus accrochées à un côté mystique, introduit bien sûr par la quête chrétienne, mais aussi par l’opposition établie entre le paganisme et l’avènement du dieu unique. Ouvrant son film par une évocation de la domination naissante du christianisme sur les anciennes croyances du nord, battant son plein en cette période, Nicolas Winding Refn construit un film à travers lequel il mélange les codes religieux pour donner à son personnage principal les attributs d’un sauveur païen. En sept épisodes, qui renvoient à des références chrétiennes, comme les pêchés capitaux (le premier épisode est d’ailleurs baptisé Wrath, la colère), au jour de la semaine (pendant lesquels Dieu créa la terre) et aux sacrements catholiques, il transforme peu à peu son personnage clairvoyant en figure mythologique, en pendant viking du Christ.
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Le spectateur est d’ailleurs accompagné dans cette compréhension, rendu témoin de la progression de son caractère extraordinaire, des attitudes étonnantes des débuts (les rêves prémonitoires, le fait de savoir instinctivement qu’il navigue en eau douce) à l’affirmation pure et simple d’une essence divine, capable de prémonitions et ne s’exprimant que par la bouche du jeune garçon, devenu son prophète. Rétrospectivement, c’est la scène d’hallucination collective qui en est la charnière : alors que tous les guerriers, autoproclamés soldats de Dieu, détruisent ou errent, One-Eye, que le mutisme (dont on ne saura pas s’il est choisi ou subi) préserve des déclarations fausses, s’efforce de construire un cairn. Il devient alors celui qui sait, ses origines, son devenir et ce qu’il doit faire. Entre ce moment et la fin, la notion de grâce divine sera encore accentuée par des effets de lumières, nimbant ceux qui l’auront suivi et auront accepté le destin qu’il leur aura prophétisé, par la bouche de l’enfant. Pour conclure, et désolé pour l’ensemble du spoil, l’attitude finale de One-Eye, dont le détail le plus significatif n’est pas accentué et demande une certaine attention, renforce encore l’image de messie païen prêté au réalisateur à son personnage, mélangeant la notion de sacrifice et la référence au crépuscule des dieux germaniques, tombés sous les coups des géants.

Loin d’être divertissant, ce film se caractérise surtout par son ambiance hypnotique et par la façon dont ses thèmes sont développés. On pourrait aisément le qualifier de chiant, mais on pourrait tout aussi bien, intrigué par la teneur de son sujet, se laisser emporter dans ce cours mystérieux qui s’attache à donner à la violence la même valeur émotionnelle qu’un bol de soupe. Les avis sont partagés chez Krinein, mais ils les sont aussi ailleurs. Comme quoi l’hypnose, ça marche pas sur tout le monde.