9/10Leaving Las Vegas

/ Critique - écrit par knackimax, le 23/04/2008
Notre verdict : 9/10 - Alcoolique en Cage rencontre petit Shue Volage (Fiche technique)

Tags : vegas film leaving figgis mike cage nicolas

Film maîtrisé et intense dont la chaleur corporelle dégage les envies les plus froides et les désirs les plus morbides, définissant un univers possible pour toute âme qui aurait pu sombrer. Un travail d'orfèvre à regarder et à écouter, une pause dans un contretemps incertain entre deux battements de coeur.

Ben est un scénariste anciennement productif de la grosse machine hollywoodienne. Ces derniers temps, il boit beaucoup trop et se retrouve progressivement en marge du système de valeur américain. Après avoir foutu en l'air le peu qu'il lui restait de dignité humaine, le voilà remercié par un gros chèque accompagné des regards de pitié dans les yeux de ses anciens amis et de mépris outré dans le regard des inconnus. Il revend alors toutes ses possessions et prend sa voiture pour faire un dernier voyage dans la capitale des jeux et du vice où il a bien l'intention de mourir dans un flot continu d'alcool et d'oubli. Il rencontre dès son arrivée une prostituée au regard d'ange du doux nom de Sera. Ces deux âmes en peine se percutent et s'épaulent dans leurs besoins respectifs, mourir pour l'un et survivre pour l'autre.

Nicolas Cage, sacré pour l'occasion meilleur acteur par le petit peuple des oscars, tient ici un des plus beaux rôles que l'on a pu voir au cinéma. Cet homme brisé et sans avenir, dont les regards perdus s'abandonnent à lorgner les restes d'une bouteille sans fond, possède la douceur des âmes en peine qui ont perdu le goût de leur propre cœur. La composition du personnage et son interprétation lui offrent la palette d'émotions dont rêvent les plus grands et que très peu peuvent se permettre l'orgueil d'avoir maîtrisé. Sa sensibilité porte à elle seule ce film si peu écrit mais si criant de vérité. L'homme est devenu le miroir de ses pensées les plus noires, un reflet qui plane sur une Terre inerte et morte et qui connaît les circonstances de son atterrissage. La fin sera d'une violence féroce et le lire au fond des yeux d'un être humain dont la profondeur crève l'écran est un des plus beaux cadeaux que peut nous offrir un acteur. L'importance de ce personnage est celle de la mort par rapport à la vie. Pour cette seule raison le film est déjà un monument.

Au-delà de cette magnifique fresque intérieure dont les limites de l'intimisme seraient palpables des pupilles si celles-ci n'étaient pas si émues et embués au contact de cette histoire d'amour improbable, le film est complété par de somptueuses qualités techniques. Ce qui serait, dans un autre film, considéré artificiel tel que l'accompagnement musical ou le jeu des lumières et des ombres, transforme la pellicule argentée en Or. La voie chatoyante de Sting juxtaposée aux spots épars de Las Vegas, accompagnée d'un jazz chaud et langoureux, donnent une proportion rêveuse à l'histoire la plus triste de notre époque. La mort de l'humanité. Ce conte, mis en contact avec ces éléments maîtrisés par le dieu Figgis, transforme la chute de l'homme en une magnifique histoire d'amour.

Elisabeth Shue, qui n'avait jusque là pas brillé de tous ses éclats dans notre univers visuel, se transforme en objet de fantasme et de désir dévoilant au contact de Ben sa fragilité et une âme d'une tristesse infinie, ainsi que des qualités que l'on ne retrouve que chez les grandes artistes. Son rôle d'ange perdu sur la terre et forcé à faire le trottoir pour combler son besoin d'humanisme est des plus troublants. Les mots qui sortent de sa bouche sont d'une dureté insolente et font se recroqueviller les pires intensions de ce monde souterrain dans lequel elle évolue avec calme et dextérité. Un personnage feutré qui lui offre l'occasion de nous prouver sa grande valeur, ce qui ne lui était pas permis avec son rôle dans Karaté Kid par exemple ou plus récemment dans Hollow man.

Le film en soi est presque irréprochable. Il donne envie de se perdre dans les ruelles d'un inconscient collectif trop tape a l'œil pour admirer la détresse. Les lunettes noires et la Vodka malgré leur Glamour connoté et la mort imminente qu'ils dessinent à la craie le long du corps de Nicolas, restent gravées dans un univers parallèle ou l'homme sans vie se permet de sourire sans plaisir et sans désir. En bref il transcende tout ce que le monde possède de négatif pour nous faire rêver dans la douleur et accepter une réalité avec bonheur. Le dernier souffle lève alors le voile sur la composition lumineuse d'une histoire de cœur, nous remettant en route la pendule du temps alors que sur l'écran le générique nous laisse admirer les acteurs de cette tragédie en pleurant, seuls mais pleins d'envies. Notre mécanique interne qui ne battait plus se laisse alors aller à revivre avec, dans la tête, un tableau moderne et censé, une de nos lointaines vies possibles dont le destin a échoué et qui nous rappellera ce que nous avons décidés d'aimer et surtout pourquoi.