La Comtesse
Cinéma / Critique - écrit par Lestat, le 02/05/2010 (Les liens d'amour et de sang de la Comtesse Bathory. Une oeuvre intimiste et surprenante tournée par une Julie Delpy qui ne démérite pas dans le film en costume.
Il est rafraîchissant de voir qu'au sein des livres d'Histoire, certains personnages sont davantage connus pour les légendes qu'ils ont engendrés que pour leurs faits d'armes avérés. Vlad Dracul en est un et nul doute que le sanguinaire Prince de Valachie se serait entendu comme larron en foire avec un certaine comtesse hongroise. Femme de sang bleu sans grand relief historique, Erzebeth (Elisabeth) Bathory n'en a pas moins traversé les siècles en compagnie des 300 vierges dont, à la recherche de la jeunesse éternelle, elle se serait baignée du sang. Plus ou moins redécouvert par les milieux alternatifs, la Comtesse Bathory se retrouve logiquement dans l'art du mouvement gothique mais n'a pas oublié d'influencer sporadiquement le cinéma. On se souviendra du sympathique Hammer Comtesse Dracula, où déambule Ingrid Pitt dans le plus simple appareil, ou plus récemment du Bathory de Juraj Jakubisko, qui semble opter pour une approche aux allures de conte macabre.
Pour cette nouvelle vision, une fois n'est pas coutume, c'est une femme qui s'y colle et nous retrouvons derrière et devant la caméra une Julie Delpy que l'on attendait pas spécialement sur ce terrain, et qui prouve par la même occasion son statut d'artiste aussi éclectique qu'insaisissable. Probablement lésée par un budget que l'on devine peu riche, Julie Delpy traite son histoire de sexe et de sang sous l'angle intimiste, préférant s'attarder sur la dégringolade mentale d'Elisabeth Bathory qu'aux tortures de jeunes filles en fleur qu'elle aurait pratiqué. Une démarche qui se défend, qui en plus d'être culottée, se permet d'introduire une ambiguïté de bon aloi quant aux réelles exactions de la Comtesse Bathory. Meurtrière psychopathe ou victime d'une machination ? Le dernier acte, qui exploite avec brio la contrainte d'un hors-champ forcé, laisse planer le doute. Ce même doute qui forme les mythes.
C'est tout à l'honneur de Julie Delpy d'avoir dénué sa Comtesse de tout aspect outrancier et c'est paradoxalement ce qui perd son film, auquel il manque peut être le côté cruel voire un tantinet bisseux qu'appelait le sujet. On aurait tort cependant de penser que la réalisatrice méprise le registre que son film appelait. De fugaces visions gores à l'apparition iconique d'une Vierge de Fer en passant par quelques déambulations nocturnes chandelier au poing, La Comtesse n'est parfois qu'à une chiquenaude de basculer dans un fantastique à la Ricardo Freda. Des instants où la peinture vénéneuse des amours d'Elisabeth Bathory avec un fougueux vampire adepte des jeux SM trouve un juste écrin.
Le film définitif sur la Comtesse Bathory, croisement idéal entre réalisme historique et errances populaires, reste encore à faire. Julie Delpy n'en livre pas moins une oeuvre souvent surprenante, au sens esthétique certain et, n'ayons pas peur des mots, d'un féminisme assez pertinent. Avec son portrait de femme jetée trop tôt dans le panier de crabes du pouvoir, Julie Delpy donnerait-elle à Elisabeth Bathory des circonstances atténuantes à ses méfaits ? Si tant est qu'ils soient tous avérés, non, tout comme elle évite de juger sa veuve noire. D'aucun diront que de toute façon, les hommes s'en sont chargés voici quatre siècles...