C’est la fin… de leur carrière !
Cinéma / Critique - écrit par Guillom, le 28/10/2013 (Vous voulez voir un bon film traitant de jeunesse, de drogue, de sexe et de fin du monde avec humour ? Kaboom, de Greg Araki, est fait pour vous. Malheureusement, ce n’est pas le sujet de cette critique.
De tous les films sortis un jour en salle, il y en a peu dont j’ai honte. Et encore moins qui m’ont donné envie de quitter la séance avant le générique de fin. Pourtant, le trailer de C’est la fin mettait dans de bonnes dispositions : il promettait un film hilarant et décalé. Publicité mensongère ! On a déjà vu un film réunissant James Franco et Danny McBride et on connaît le résultat. Pouvaient-ils faire pire ? Au-delà même ! L’appellation « navet » serait flatteuse, « mauvais » serait toujours trop bien pour cet étron cinématographique. Le terme « étron » vous choque, alors n’allez pas voir ce film, car l’humour pipi-caca-sperme en est le principal leitmotiv.
Un buddy movie bien gras
Seth Rogen a réuni tous ses petits camarades pour nous servir C’est la fin. Franco, Baruchel, Hill… Ces acteurs ont joué ensemble à un moment ou à un autre de leur carrière, certains dans des chefs d’œuvre (Million Dollar Baby, Dragon, Django Unchained), les autres dans des productions un peu plus… douteuses (40 ans, toujours puceau, Spring Breakers, Votre Majesté). L’histoire ? Le film raconte les retrouvailles entre Seth Rogen et Jay Baruchel (tous les acteurs du film jouent leurs propres rôles). Après une séquence « jeux vidéo, drogue et malbouffe », Seth décide d’emmener son pote à une fête organisée par James Franco, ce à quoi Jay consent, à contrecœur, puisqu’il ne supporte pas les starlettes californiennes. Sur place, orgie d’alcool, de célébrité et de drogue. Tous les camarades de Franco, de Mickael Cera à Rihanna en passant par Chris Mintz-Plasse, sont là. Et Jay s’enfuit, entraînant Seth à l’extérieur de la villa, où ils sont témoins du début de la fin du monde. Ils retournent chez James Franco, où personne ne croit Jay (même Seth nie avoir vu quoi que ce soit). Avant qu’un tremblement de terre entraîne tout le monde dehors, face à face avec Hollywood en flammes. Michael Cera nous gratifie alors d’une mort qui se trouve désormais dans mon Top 10 des décès les plus ridicules de l’histoire du cinéma. Un massacre plus tard, les principaux protagonistes se retrouvent dans la maison de Franco où ils se préparent à résister à l’apocalypse… ou à l’invasion extra-terrestre, on ne sait pas très bien. Mais les tensions entre les habitants forcés de cohabiter, la menace venue de l’extérieur, et caetera et caetera… Inutile de vous spoiler davantage.
Oh mon Dieu, un mauvais film !
C'est la fin est une énième parodie de film apocalyptique. Rien de très original, ce genre de film est plutôt simple à scénariser, si on ne veut pas trop se prendre la tête en tout cas. Le point positif ici consiste à caricaturer le monde hollywoodien. C’est une très bonne idée : les acteurs jouent sous leur vrai nom, donc le principe est de présenter à l’écran non pas un personnage, mais la représentation que le public se fait de l’acteur. Ils ne jouent pas, au final, leur propre personnage, mais le personnage qui correspond à ce que le spectateur pense être leur propre personnage. Vous avez du mal à suivre ? Pour simplifier, c’est du génie, tout simplement (même si c’est un peu du déjà vu). C’est l’occasion pour les acteurs de porter un regard critique sur leurs filmographies respectives et pour le public d’avoir cette vision d’apocalypse d’un Hollywood où règnent les faux-semblants et où sont célèbres ceux qui font l'apologie du mauvais goût et de la médiocrité intellectuelle. Sur le papier, ça sonne 100% second degré !
Sur le papier… La réalité est bien différente. Cette ironie, voire autodérision, est certainement présente dans le film, le duo de réalisateurs l’avait probablement en tête lors de l’écriture et du tournage. Sauf qu’elle a été coulée sous une chape de plusieurs tonnes de déjections et de fluides humains ! Vous voulez rire devant C’est la fin ? Buvez d’un trait une bouteille de vodka bon marché avant… ou alors fumez un bon kilo d’herbe à chat, parce que je ne vois pas d’autres solutions. Les vannes à l’humour gras se succèdent sans avoir réellement d’intérêt ou de sens. Même l’exposition du film est gâchée par ces blagues profondément débiles. La première blague scatophile du film arrive au second dialogue : les personnages ne sont pas encore définis pour le spectateur et le gag arrive sans prévenir. On aurait pu s’attendre à un minimum de finesse mais non… c’est de l’humour facile, placé là dans le seul but de faire rire un adolescent à peine pubère. Entre potes, sur un canap’, on peut se marrer, mais au cinéma, il faut avouer que ça passe mal. De ce projet grandiose de critique d’un Hollywood déliquescent (métaphore du Jugement Dernier, dans le film), il ne reste qu’un mix de buddy movie et de stoner movie sans aucun charme ni propos. Tout le propos disparaît derrière cet humour lourdingue et le jeu des acteurs (comment ça, ils ne surjouent pas ?). Disaster Movie fait figure de film intellectuel en comparaison.
Satyre du cinéma hollywoodien...
Pourtant je suis sûr que Danny McBride est un bon acteur et qu’il peut interpréter autre chose qu’un gros beauf libidineux, ressort comique perpétuel. On ne peut à proprement parler d’une « gueule », qui l’enfermerait dans ce type de personnage. Alors pourquoi s’obstiner à lui donner ce rôle ? Je vous entends déjà me rétorquer « n’as-tu pas écrit plus tôt que le film s’articulait autour de l’image que les acteurs renvoient ? On a toujours considéré McBride comme un stéréotype de stoner movie : C’est la fin est donc cohérent sur ce point ». Et vous avez raison, enfin presque… Pourquoi mettre l’accent sur ce caractère, alors que James Franco est présenté comme l’exact contraire de ce qu’une grande majorité du public peut s’imaginer, considérant sa filmographie.
"Mmh... Je suis un personnage concentré"
Outre le côté « beau gosse », on l’a vu incarner des personnages profonds, voire sombres. Le prince pré pubère et crétin de Votre Majesté est l’exception qui confirme la règle. Et ici, il interprète un sale petit con égoïste et vulgaire, aux antipodes de ce que Franco représente à mes yeux. Et par pitié, arrêtez avec les blagues sur son homosexualité supposée ! Au mieux, de la grosse vanne bien lourde (peut-être le réalisateur-scénariste-acteur sait-il des choses que le spectateur ignore), au pire, de l’insulte homophobe. L’un ne vaut pas mieux que l’autre. Quel est l’intérêt dans ce cas de nous présenter le casting comme représentatif de la vision du public ?
La raison est toute simple : les privates jokes. Rappelons que la fine équipe est issue de l’écurie Apatow, ils se connaissent et partagent certaines références. Références que Seth Rogen a dû considérer comme jubilatoires lors de l’écriture. Pas de doute, c’est excellent… pour qui a vu la filmographie entière de chaque acteur présent au casting. Mais ça ne marche pas, le spectateur lambda ne comprend pas à quoi renvoie telle ou telle réplique, de sorte à ce qu'il ne puisse adhérer au parti pris scénaristique. Pour lui, tout ne sera alors question que d’autopromotion, mélangée avec une énorme dose de médiocrité. Les Hill, Baruchel et autres mentionnent leur filmographie respective et, privé de la compréhension de ces private jokes, le public risque de n’y voir rien d’autre que du marketing. Sont-ils critiques à propos de Spiderman 3 ou du Frelon Vert ? Oui, sans doute, si on connaît déjà ces films et qu’on y accroche. En tout cas, c’est l’intention de base, paraît-il. Sinon, il ne vous reste plus que la résignation devant cet étalage de plaisanteries pathétiques (« Oh oh oh, tu as joué dans le Frelon Vert, tu n’as pas honte ?! »).
Moi, j'y vois une métaphore....
Pourtant, Rogen avait de bonnes idées à partir de ce postulat critique. Tourner une suite à Délire Express, avec les moyens du bord alors que la vie des personnages est menacée à tout instant (et une décapitation gratuite, et une !), donne une impression de Soyez sympa, rembobinez qui n’est pas désagréable. Cela peut même avoir un excellent effet dans ce contexte de fin du monde. Imaginez, un groupe de survivants, barricadé dans une villa aux allures de forteresse quand l’apocalypse se déchaîne à l’extérieur, se raccroche au passé en le singeant, afin de ne pas sombrer dans la folie. Merde, c’est un super scénario, avec beaucoup de dérision et même de la promo gratuite et intelligente ! Tellement plus que les vannes débiles sur l’interprétation franchement mer… mauvaise de James Franco dans Spiderman 3 [1]. Cette séquence est réellement bonne mais mal exploitée. Elle n’est qu’une anecdote, à peine cinq minutes de vrai rire dans ce flot d’ineptie. Preuve qu’il ne suffit pas d’avoir des idées et un budget pour réaliser un bon film. Encore faut-il avoir du talent…
Y a-t-il un scénariste pour sauver le monde ?
Tant qu’on parle de talent, étendons-nous sur ma partie favorite dans une critique, celle où je me lâche sur l’écriture du film. Le scénario est mal ficelé et foutraque. Ça part dans tous les sens, ce que le réalisateur a voulu exprimer par une splendide métaphore sur l’éjaculation masculine, déclamée d’un ton de maître par un Danny McBride lyrique. Il est dommage, quand on veut parodier les codes cinématographiques, d’en utiliser inconsciemment les clichés. Par exemple, on connaît tous ces petites remarques anodines balancées en début de film qui ont, plus tard, une importance capitale (« Regarde Peter, cette machine pourrait répandre sur une ville entière un remède contre une maladie, mais on ne l’utilise pas hein ! »). Alors pour la mention de la villa de Channing Tatum à côté de celle de Franco, on attend le caméo. Banco… Pour vraiment détourner ce type de gimmick, encore eut-il fallu que Seth insiste lourdement sur ce point, pour ne pas faire apparaître Tatum dans le film. Le spectateur est surpris, peut-être déçu (si si, les fans de Tatum existent). Ces facilités scénaristiques ont de quoi mettre en rogne. Deuxio, nos héros ne se posent pas de questions. Ils s’interrogent un peu sur ce qu’il se passe dehors, mais dès que quelqu’un est susceptible d’apporter un éclairage, personne ne lui demande. Quand Emma Watson débarque, elle déclare qu’il s’agit d’une invasion de zombis. Intéressant… peut-on en savoir plus ? Qu’a-t-elle vu qui lui permette d’affirmer cela ? Mais tout le monde s’en fout, la seule question qui leur vient à l’esprit est « qui a dit qu’on devait la violer ? » ce qui est très utile pour l’histoire… Quand Jonah Hill est possédé, personne ne se demande comment le démon est entré en lui (dans le film, d’une façon très directe). En fait, ce que le spectateur sait, les protagonistes le savent aussi.
Est-il vraiment nécessaire de commenter cette image ?
Ce qui pose un problème de taille : C’est la fin n’a aucun enjeu. La rédemption ? Mon œil ! La satire du monde du cinéma ? Non ! La survie des personnages ? On s’en fout ! L’aspect survival n’est qu’un prétexte. Ce qui est dehors est sans importance, seul compte ce qui est dedans. Dans l’absolu, ce n’est pas trop mal amené, puisque c’est l’extérieur qui est menaçant et que le spectateur n’a pas besoin de savoir ce que c’est pour savoir que c’est là…. Mais même dans cette situation, des enjeux sont nécessaires. A la base, si on sort, on meurt direct, par décapitation de préférence. Ben… en fait, Emma Watson a survécu seule dans un tuyau et Danny McBride n’a aucun problème quand il quitte la maison. Donc, en étant prudent, on peut s’en sortir. Ils attendent quoi ? On reste constamment dans les relations entre personnages sans s’intéresser au contexte. Ça n’aide pas trop quand on veut se montrer critique à l’encontre d’Hollywood. Heureusement, l’évolution des personnages ne comporte pas d’erreur, pas plus que d’originalité. Quoique… J’ignorais jusqu’à l’existence de Craig Robinson en allant voir ce film. Je ne le connais pas plus à la sortie de la séance. Mon ressenti ? Robinson représente le quota de diversité dans ce film. Pour ce qui est de la dramatisation, mieux vaut ne pas aborder le sujet. Qui vit ? Qui meurt ? Quel personnage doit gagner à la fin ? Peu importe, tant qu’on parle de caca.
Pour toutes ces raisons, on ne voit pas où les réa veulent en venir. Il a été nécessaire que je me penche un peu sur l’explication qu’en donnent Evan Goldberg et Seth Rogen pour saisir le côté satirique. C’est la fin peut alors paraître cohérent, mais ça n’en fait pas un bon film. Ça équivaut, pour les créateurs, à venir dans chaque salle avant la projection dans le but d’expliquer ce qu’il faut comprendre dans le film. Si ce n’est pas perceptible dans l’écriture, c’est mauvais ! [2] Pour toutes ces raisons, ce film est haïssable. On peut y voir un comique régressif, destiné aux fans de comédies US qui y retrouveront les acteurs qu’ils connaissent et l’humour qui les fait vibrer. Mais au commun des mortels, C’est la fin laissera un goût étrange dans la bouche. Un goût de m…
[1] A ce point de la critique, le lecteur se demande pourquoi je parle constamment de Spiderman 3… Ce film m’a dégoûté de la franchise toute entière et je pleure chaque nuit sur la dépouille du génie que fut Sam Raimi, tout comme Loïc se lamente sur celle de N. Shyamalan.
[2] Attention, je ne dis pas qu’il faut que tout soit explicite, au contraire : certains chefs d’œuvre se focalisent sur l’interprétation que peut faire le public (merci Lynch et Kubrick), en laissant des pistes ou des symboles pour orienter son imagination.