9/10Bloody Sunday

/ Critique - écrit par camite, le 18/12/2003
Notre verdict : 9/10 - ça IRA (Fiche technique)

Tags : sunday bloody irlande nord britannique armee rapport

30 janvier 1972, à Derry en Irlande du Nord. Le député local Ivan Cooper prépare la grande marche pacifique qui doit rassembler le mouvement pour les droits civiques et, de ce fait, tous les catholiques de la ville. Entre les jeunes qui lanceraient bien quelques pierres sur les soldats anglais et l'IRA qui prône le recours à la force, pas évident d'éviter les débordements. Et l'histoire étant connue car authentique, la manifestation va se terminer dans l'horreur lorsque les officiers de sa gracieuse majesté vont tirer à balles réelles sur des civils.

Trivia

La tragédie du Bloody Sunday (« dimanche sanglant ») marque le début de la guerre civile en Irlande. L'objectif de l'armée britannique était d'arrêter 500 personnes (dont les meneurs et fauteurs de trouble connus) en exemple. A l'arrivée, treize civils ordinaires ont été froidement abattus, et quinze autres ont été blessés.

Le réalisateur Paul Greengrass est un ancien journaliste. En 1982, il fut le premier à interviewer les membres de l'IRA emprisonnés et grévistes de la faim. L'un d'entre eux, Raymond McCartney, s'était engagé dans la lutte armée clandestine au lendemain du Bloody Sunday auquel il avait pris part en tant que manifestant. Son témoignage a en quelque sorte poursuivi Paul Greengrass depuis.

Bloody Sunday est une coproduction anglaise ET irlandaise. Un symbole d'autant plus fort que la volonté de Paul Greengrass était de raconter la tragédie avec plusieurs points de vue différents.

La plupart des acteurs et figurants jouant dans le film sont des non professionnels ayant vécu de près ou de loin la tragédie. Certains des manifestants l'étaient déjà le 30 janvier 1972, d'autres ont perdu des membres de leurs familles ce jour-là et les soldats sont des anciens officiers britanniques ayant servi en Irlande du Nord. Point d'animosité sur le tournage cependant, puisque tous avaient envie de contribuer à ce « devoir de mémoire ».

Jim Sheridan, producteur de Bloody Sunday, est par ailleurs le réalisateur de Au nom du père et The Boxer.

La célèbre chanson de U2 également inspirée par le dimanche sanglant se retrouve dans une version live au générique de fin du film.

Bloody Sunday a reçu l'Ours d'Or au festival de Berlin 2002, ex-aequo avec Le Voyage de Chihiro. Un bon cru, donc.

Point de vue

Lorsqu'un cinéaste décide de raconter dans un film un événement historique de triste mémoire, il part avec un avantage certain. D'abord parce que toute la matière dramatique nécessaire au récit est là, préexiste au film, il n'y a donc plus qu'à la ramasser pour un faire un bon script. Ensuite parce qu'il est a priori toujours noble et louable de revenir sur ces sombres périodes où l'être humain oublie qu'il est différent des animaux, d'où complicité immédiate avec le public.

Pourtant, la puissance évocatrice du cinéma se retourne parfois contre ceux qui s'en servent. Le dimanche sanglant de Derry était un parfait terrain pour ralentis poignants et musiques larmoyantes interprétées par l'orchestre philharmonique de Sophia (enfin je dis Sophia, ça pourrait être Prague, mais là n'est pas le propos) saupoudrés par une exaltation hollywoodienne de l'héroïsme militaire ou des « martyrs » de l'IRA.

Or, dans Bloody Sunday, rien de tout cela. Juste des caméras qui filment façon documentaire, images granuleuses, secouées ou obstruées par un dos ou une épaule, au gré des événements. Et des fondus au noir pour passer d'une séquence à l'autre, avec une alternance des points de vue qui témoigne du souci d'objectivité émis par Paul Greengrass. Si l'armée britannique n'avait évidemment pas à tirer sur des civils, il n'était sans doute pas très malin de la part de certains manifestants de jeter des pierres sur les soldats un jour de marche pacifique.

En ancien journaliste, Greengrass sait exactement ce qu'il faut filmer pour donner tout son poids à ce « faux documentaire ». Et le résultat est là. Le spectateur sera tour à tour édifié ou ému quand il faut et pas à un autre moment. Et comme rien n'est romancé ou exagéré dans le film, difficile de reprocher quoi que ce soit à une telle maîtrise du sujet et à sa mise en image. Même si le prévisible Bloody Sunday de U2 vient faire la morale de manière insistante plusieurs minutes après la fin du générique.